En l'occurrence, l'angle d'attaque se développait de manière inattendue, et légèrement grotesque. Outre mon éventuelle "islamophobie", terme qui ne veut rien dire, on me reprochait centralement d'avoir réédité la "Sociologie du communisme" de Jules Monnerot. J'avais donc impunément renouvelé le crime commis en 1949 par les éditions Gallimard, avec l'approbation, à l'époque du général De Gaulle et de la revue "Esprit". Je ne pouvais donc cohabiter, encore moins débattre, dans un cénacle libre avec mes ridicules petits censeurs. Tant mieux. Oublié.
Et puis en confectionnant, imprimant et expédiant ma circulaire de rentrée (téléchargeable ici), ce qui a quelque peu ralenti la rédaction de l'Insolent, je me suis remémoré la chose, en souriant. Et finalement, j'en comprends encore mieux la portée : aussi modeste que demeure ma (toute) petite entreprise, elle dérange sans doute parce qu'elle se situe au service de la vérité historique. Intolérable, bien évidemment.
On peut, en effet, on pourrait comprendre beaucoup de choses sur nos sociétés en découvrant l'Histoire réelle et véridique.
On doit certes pour cela, on devrait, se détourner de l'Histoire mensongère idéologique, si souvent recouverte du manteau et de l'étiquette de mémoire. Ainsi au XIXe siècle, un certain nombre de mythes relatifs au passé de la France ont été fabriqués par un esprit totalement faux, Jules Michelet. On ne le prenait alors guère au sérieux, tant il contredisait ce que les contemporains savaient pertinemment, par le témoignage direct des survivants, quant aux méfaits de la révolution française. Sa mort survint en 1874. Moins de 20 ans plus tard, ses mots d'ordre s'étaient emparés de l'esprit public. Au point que le fameux slogan "la révolution est un bloc" a pu s'imposer. Il avait été lancé par Clemenceau en 1891 dans un contexte répressif (1) et une intention sectaire. Il annonçait le triomphe impudique du radicalisme républicain laïciste et persécuteur de l'époque "combiste" culminant en 1905. Ses effets durent encore. Son affirmation, présentée désormais pour unanime et irréversible, s'est même aggravée ces dernières années, au nom du "préambule de la constitution de 1946", — contre laquelle pourtant s'était élevé en son temps le fondateur de l'actuelle république.
On pourrait évoquer, certes, des exemples analogues à propos de divers autres pays, allant de l'Angleterre à la Russie en passant par l'Italie. Mais pour s'en tenir à ces trois pays, dont les cas, bien évidemment, diffèrent, aucun des héritages de leurs révolutions respectives ne s'y prévaut de l'appui unanimiste imposé à la France par l'historiographie jacobine.
Avec Beau de Loménie, au contraire, on parcourt en sa compagnie les pistes souvent amères des deux derniers siècles de la France.
Et certes cet auteur ne méconnaissait pas le bilan, globalement négatif, de la révolution de 1789.
Mais, contrairement à tant d'autres, il ne s'en tenait pas là : sa critique porte plutôt sur les gens et les choses qui ont succédé à la Terreur et aux guerres napoléoniennes, après en avoir tiré grandement profit. Les continuateurs, moins sanglants sans doute, mais mieux organisés pour l'accaparement des richesses du pays, ont persisté à tracer la courbe descendante d’une nation diminuée.
Car cela s’est aggravé de génération en génération, non seulement du poids de leurs prédations économiques, mais aussi sous l'influence des mensonges de leurs alliés idéologiques.
À larges traits, rappelons ainsi encore la thèse centrale de son immense fresque des "Responsabilités des dynasties bourgeoises". Rédigée et publiée d'ailleurs de manière échelonnée, depuis les années 1940 jusqu'aux années 1970, son Histoire non-conformiste ne s'enferme heureusement pas dans une thèse unique. On la sent tributaire des passions de chaque période de son écriture.
Mais l'éclairage des années de départ, s'interrogeant sur l'effondrement de 1940, mérite toujours souvenance. Les détournements frauduleux des acquéreurs de biens nationaux et autres profiteurs des guerres et bouleversements de la révolution et de l'empire ont prospéré, impunis, sous ces régimes successifs du XIXe siècle, que le pays a subis, plus qu'il ne les a véritablement suscités. Ces énormes fortunes se sont révélées stérilisantes, plus coûteuses encore que les privilèges les plus frivoles associés à l'Ancien régime.
Or, leur survie, puis leur capitalisation ont supposé des “habiletés”, dont les "dérivatifs" successifs on fait tant de mal.
On doit prendre de la sorte conscience des compromissions permanentes de la bourgeoisie, autoproclamée progressiste, avec ce qui s'est appelé successivement le centre gauche, l'alliance démocratique, appoint négocié des radicaux-socialistes d'autrefois, et qu'on nomme aujourd'hui la gauche caviar.
Dans "les Pollueurs de l'Histoire" on trouve dès lors un aspect significatif de ce système : le rôle qu'y joue le parti intellectuel. Il sert aussi bien d'éteignoir de la pensée que d'auxiliaire politique de cette dictature inavouée. Ayant lui-même subi les persécutions mesquines des fabricants de mensonges, des cuistres de Sorbonne et des faux chercheurs du CNRS, Beau de Loménie leur rend coup pour coup, avec une élégance dont on observera une fois de plus l'absence de symétrie.
Or, aujourd’hui ces textes se révèlent d’une actualité brûlante : car pratiquement rien n’a encore été réformé de l’Université et de la Recherche telles que Beau de Loménie les analyse et les combat comme "les Pollueurs de l'Histoire".
On bénéficie de la sorte, avec le recul des années, et au-delà de telle ou telle réforme superficielle ou partielle d’une compréhension du mal dont souffrent l’Université, l’enseignement de l’Histoire, et plus largement le système éducatif à sa racine. À ce sujet l’actuelle ministre, et “réformatrice”, de l’université reconnaît elle-même que sa loi ne constitue qu’un commencement, contre lequel se braquent dès le départ ceux que dénonçait déjà Beau de Loménie.
Le sujet de la fin de l'empire romain en occident peut sembler d'un tout autre ordre. Grande nous paraît au contraire la parenté des deux époques.
La translation à Constantinople des forces vives de la civilisation reste quant à elle, essentiellement ignorée. Incidemment ceci permet à une certaine propagande actuelle de récupérer le grand passé de Byzance pour les ambitions d'Istanbul. Nous demeurons aujourd'hui encore tributaires, le plus souvent sans le savoir, des vieilles œillères et des opinions préconçues d'un Gibbon (1737-1794). Cet excentrique et brillant auteur britannique rejoint de la sorte son contemporain coreligionnaire en philosophie Voltaire. L'un comme l'autre présupposait le christianisme subversif dissolvant des civilisations sans doute parce que les jésuites de leur temps osaient contrarier les marchands d'esclaves.
Or la vérité profonde, c'est-à-dire, tout simplement la connaissance des affrontements, apparemment chaotiques, de ce Ve siècle qui vit l'effondrement de l'ancienne Rome, prouve exactement le contraire. Seuls les évêques s'y dressent vraiment et constamment pour sauver l'ordre. La population et les classes dirigeantes y sont rongées par le mal récurrent de toutes les décadences, cette sorte de "socialisme" d'État, avant la lettre mais comportant déjà les ingrédients de la chose : interventions toujours démagogiques et fiscalistes du pouvoir dans l'économie, redistribution inconsidérée des richesses, du pain et des jeux, destruction des traditions militaires qui avaient assuré la grandeur de Rome depuis l'époque de la République.
La trame tragique et grandiose des événements décrits par Amédée Thierry nous le confirme, sans parti pris.
À l'inverse l'empire byzantin, a été en proie à des dénigrements de même origine : Gibbon prétend parler de "déclin et de chute", la vie d'une société qui met 1150 ans à mourir, après avoir dominé l'orient méditerranéen, résisté à la vague islamique et surclassé l'occident jusqu'à la date fatidique de 1204, ne succombant définitivement que 250 ans après le coup de poignard dont les marchands de Venise l'avaient traîtreusement fait frapper dans le dos. Et très précisément ce qui a permis à cet empire de durer, ce qui en constituait le ciment et le principe de vie, s'identifie à la foi chrétienne. Parler à son sujet comme un Ducellier, fossoyeur des études byzantines en France et qui fait hélas autorité de "l'échec d'une société chrétienne" c'est prendre la suite funeste de Gibbon, de Voltaire, de Michelet, tous familiers volontaires de ces contresens dont la promiscuité confine à la sottise.
Or, à une époque où l'on présente le socialisme de redistribution et de gaspillage comme la panacée susceptible de redresser les nations et de "relancer" les économies, alors qu'il les projette vers l'abîme, il se révèle indispensable d'opérer certains rappels. Le socialisme des "hommes de l'État", le socialisme pratique des gens qui "agissent dans le concret", le socialisme [avec ou] "sans les socialistes" a toujours constitué le facteur le plus assuré du déclin des cités comme des empires.
Pareto, le premier, le démontre scientifiquement. À une époque où la falsification statistique n'avait pas encore pollué les raisonnements économiques et juridiques, il construit les outils d'évaluation sur la base des comptabilités. Les chiffres ainsi agrégés lui permettent de mesurer l'impact mortifère des interventions de gouvernements acharnés à "protéger" en définitive la médiocrité, et de développer les forces de décadence.
Voilà pourquoi je persiste et je signe dans mon petit travail, discrètement, et mesquinement, persécuté, ce qui me procure, dois-je l'avouer, une certaine forme de joie.
Apostilles
- cf. L'Insolent du 30 janvier "Non la révolution n'est pas un bloc"
JG Malliarakis
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17.8 Le krach des États parfaitement plausible
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12.8 Le fiscalisme ses mensonges et ses proies
10.8 Du pouvoir parisien et de sa dérive gauche
6. 8. Sens et contre sens du laïcisme turc
3. 8 Asie centrale Chine et empire
27.7 France Culture Mistral et la gare de Maillane
22.7 Le dilemme turc
Notre "Cahier de l'Insolent" consacré à "La Question Turque" paraîtra avec quelques jours de retard, début octobre pour tenir compte débats importants ces jours-ci en Turquie. Il formera un petit livre de 128 pages et coûtera 10 euros à l'unité. Conçu comme un outil argumentaire, contenant une documentation, des informations et des réflexions largement inédites en France, vous pouvez le commander à l'avance, au prix franco de port de 8 euros (valable jusqu'au 1er octobre) pour un exemplaire, 35 euros pour la diffusion de 5 exemplaires. Règlement par chèque à l'ordre de "l'Insolent" correspondance : 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique sur le site de Lumière 101
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