Tout d'abord on doit se garder de la tentation de prendre parti, vu de Paris ou de Bruxelles sur le fond, entre Turquie "laïciste" et Turquie "islamiste". Ni l'une ni l'autre ne cherche en quoi que ce soit à prendre sa place dans une Europe dont la seule définition solide tient aux racines judéo-chrétiennes communes. Ce marqueur identitaire se révèle caractéristique de tout le continent. Et on doit y inclure aussi les pays qui s'en sont partiellement détachés. Cela peut valoir pour l'Albanie au XVIIe siècle, comme pour la France, à partir de la fin du XVIIIe siècle, et au cours du XXe siècle. Si on oublie cette donnée, la grosse patate consommatique des 27 États-Membres actuels et ses institutions, ne signifient pas grand-chose. L'Union, telle que dessinée à Maastricht en 1991, puis par le lamentable traité de Nice actuellement en vigueur, cesserait alors de s'assimiler à l'Europe.
Cela ne veut pas dire que nous devions exclure d'avance les adeptes d'autres religions, ni les incroyants. Cela implique simplement que les fondements que nous reconnaissons à la loi morale demeureront toujours ceux du Décalogue. Cela se traduit également dans l'expression culturelle de l'Europe, dans la peinture comme dans la musique ou l'architecture. Un village sans église nous paraît étranger.
Dans les principes juridiques, nous avons certes dépassé le "cujus regio ejus religio" du XVIe siècle. Même la plus dure réglementation, la loi française de séparation de 1905, proclame sans faille, et elle assure, la liberté du culte catholique qu'elle tendait et qu'elle parvient toujours à abaisser. Au contraire les atteintes concrètes infligées aux églises, en Union soviétique depuis 1917 et en Europe de l'est à partir de 1945 avaient constitué la marque majeure d'infamie écartant de notre communauté de pays, jusqu'en 1989, les gouvernements de ces nations captives.
Or la liberté du culte chrétien ne trouve aucune reconnaissance vivante dans l'ensemble des 56 pays de la Conférence islamique, actuellement dirigée, détail tout sauf innocent par un secrétaire général turc.
Quand elle ne se trouve pas purement et simplement niée comme en Arabie saoudite, elle se limite dans le meilleur des cas au simple fonctionnement liturgique.
Et sur ce plan, contrairement à une imagerie très répandue, la révolution kémaliste a donné le signal dès les années 1920. Elle s'est située en retrait par rapport à l'évolution ottomane dont les réformes du XIXe siècle tendaient à l'égalité concrète entre chrétiens et musulmans de l'empire. Le raidissement à l'encontre de ce courant libéral et modernisateur est venu de l'élément militaire, sous l'emprise de l'idéologie du jacobinisme français : tel fut le drame de ce mouvement Jeune Turc apparu à Paris le 14 juillet 1889, date choisie volontairement en accord avec le grand orient de France qui avait proclamé lui-même son athéisme en 1877. Ce parti avait pris le pouvoir en 1909. En 1915 il s'illustre dans le génocide arménien. Les loges "Vatan" créées par Kémal continuèrent son programme de réduction de la nationalité turque à l'élément musulman habitant l'Asie mineure. L'éviction politique, et même la persécution, des traditions islamiques, des confréries, globalement plus tolérantes, puis l'encadrement de la vie religieuse par l'État, représenté par les 60 000 fonctionnaires de l'administration de la Diyanet, implantée dans chaque village d'Anatolie, excluant les versions minoritaires "alevies", donne au concept de laïcité une coloration de nature à surprendre ses admirateurs et ses laudateurs français.
Rappelons à ce sujet que la définition légale de notre loi de 1905 consistait à dire que la république ne reconnaît ni ne salarie aucun culte, tout en laissant à chacun la liberté de sa conscience. Les "laïcistes" français proclament à l'envi vouloir ramener la religion à la sphère qu'ils appellent privée. On ne peut donc assimiler à cette attitude la pratique, rigoureusement inverse, de leurs homologues turcs : vérité laïciste en-deça du Bosphore, erreur au-delà.
Il existe en effet une notion de "respect" dont l'interprétation change tout.
Sous prétexte de ne pas offenser la religion du Prophète Mahomet et son Coran, — "incréé" car simple récitation cela va sans dire, – tout ce qui contrarie la vigilante susceptibilité de ses docteurs s'expose aux pires persécutions, incluant tout simplement la peine de mort. Quand celle-ci a été supprimée formellement, pour complaire aux critères européens, on l'inflige par le bras d'un jeune assassin exalté que les gendarmes laisseront courir ou que les tribunaux relâcheront. Cela aussi fait partie de la réalité turque.
L'exilé de quelques jours a pu apprendre ainsi, en Italie, privé de l'excellente presse parisienne, et dépourvu d'accès à la toile, dans "La Repubblica" du 31 juillet l'atroce annonce de "7 chrétiens brûlés vifs" dans la province de Pendjab, au Pakistan.
Certes dans ce pays en proie à des troubles terribles le gouvernement d'Islamabad a pu attribuer ce crime horrible aux hors-la-loi du parti Sipah-e-Sahada, coupable d'avoir incendié des églises (le 1er juillet), etc. Et le journal italien de citer aussi des exemples du même ordre en Égypte (2009), au Nigeria (2008) et même en Inde.
Faute de place, sans doute, "La Repubblica" ne cite pas les cas analogues en Turquie. Il est vrai que ce pays compte désormais beaucoup moins de chrétiens que le Pakistan, où ils sont 3,8 millions, mais où le même principe juridique permet de punir toute offense contre le saint Coran, ce que comme chacun sait les chrétiens sont susceptibles de faire tous les jours, tous les dimanches par leurs signes de croix. Mieux vaut prévenir que guérir.
Pour cette raison et pour nombre d'autres je tiens pour fort dommageable, voire saugrenue, l'idée de forcer ces pauvres Turcs à faire semblant de devenir Européens.
JG Malliarakis
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Un "Cahier de l'Insolent" consacré à "La Question Turque" paraîtra le 15 septembre. Il formera un petit livre de 128 pages et coûtera 10 euros à l'unité. Conçu comme un outil argumentaire, contenant une documentation, des informations et des réflexions largement inédites en France, vous pouvez le commander à l'avance, au prix franco de port de 8 euros (valable jusqu'au 31 août expédition le 15 septembre) pour un exemplaire, 35 euros pour la diffusion de 5 exemplaires. Règlement par chèque à l'ordre de "l'Insolent" correspondance : 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique sur le site de Lumière 101
Sur Lumière 101 aujourd'hui :
"Un village sans église nous paraît étranger". Tout est dit... et Jacques Tati a cassé sa pipe!
Rédigé par : minvielle | vendredi 07 août 2009 à 08:50