S'intéressant aux récentes déclarations de M. Éric Woerth à propos du déficit 2009, on se gardera d'abord de tout procès d'intention. On polémiquera encore moins à l'encontre de ce ministre particulier.
Rappelons seulement que son parcours a dessiné de lui une image rassurante, notamment en direction des marchés financiers, en tout cas du point de vue des opérateurs monopolistes français. Il s'agit en effet d'un homme politique de centre droit. Âgé de 56 ans, de formation HEC, typique d'une génération postérieure à la guerre d'Algérie et aux remous de l'après 1968, sa carrière s'ancre sereinement dans la droite institutionnelle. Fondateur d'un hypothétique "club de la boussole", il fait partie des 38 députés UMP ayant juré fidélité à Chirac et à son Premier ministre. À partir de 2002, cependant il se rallie progressivement au panache du maire de Neuilly. Par ailleurs on le sait proche de l'excellent Hervé Novelli et de ses Réformateurs.
Même son aspect de cadre supérieur discret, sa coupe de cheveux triste, sa manière de sourire et de s'habiller, tout en lui respire le sérieux professionnel. Un employé modèle. À la limite de l'ennui. Qui hésiterait à souscrire auprès de lui une assurance obsèques ?
Or, toute cette imagerie n'empêche que depuis les glorieux et regrettés Samblançay, Fouquet, Law ou Bérégovoy, jamais argentier public n'aura attaché son nom à un Budget d'État atteignant le déficit historique de l'an de grâce 2009.
"La faute à la crise" dira-t-on peut-être ?
On doit quand même rappeler que le projet de loi de finances a été déposé par M. Woerth et enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale en date du 26 septembre 2008. La loi de financement de la sécurité sociale ayant été promulguée le 17 décembre, avec 407 milliards de dépenses pour l'ensemble des régimes obligatoires et 9,1 milliards de déficit toutes branches confondues, le budget de l'État date, lui, du 27 décembre. Cette loi de Finances pour 2009 (1), doit donc être considérée comme postérieure à la tourmente financière. Elle s'appuie sur une très faible prévision de croissance pour 2009, comprise entre 0,2 % et 0,5 % – contre 1 et 1,5 % dans le projet initial de septembre – et prévoit un déficit de 67 milliards d'euros.
Soulignons qu'entre-temps on a appris que la France a renoué avec la croissance au 2e trimestre. Et cependant ce dernier chiffre a été multiplié par deux.
Le déficit absolument record des finances publiques françaises s'explique donc en partie, mais non entièrement, par ce qu'on appelle "la crise". 86 milliards d'euros sur le premier semestre, contre 32 milliards pour la période correspondante en 2008, il devrait atteindre entre 125 et 130 milliards d'euros (2).
Du jamais vu par conséquent. Cela correspond à 900 milliards de francs.
En fait l'excédent des dépenses de l'État par rapport à ses recettes représente presque 50 % de celles-ci.
M. Woerth plaide ainsi sa propre cause : "Les autres pays (...) ont des déficits bien supérieurs au déficit français, et la vraie réponse, c'est de solliciter la croissance. C'est cette croissance qui nous permettra de sortir de cette situation de finances publiques tendue".
L'argument : "ni plus ni moins que les autres" vient en trompe l'œil. Il doit faire l'objet d'une grave mise en garde.
Sur les 27 membres de l'Union européenne, la comparaison se révèle très favorable à la France, du moins dans son ambition de demeurer en tête du peloton et de prétendre trop souvent donner des leçons aux autres.
Sur les 192 nations indépendantes membres de l'ONU on trouve des comptabilités publiques parfaitement disparates. Les unes carrément insolvables, ne peuvent pratiquement pas emprunter sur le marché ordinaire des capitaux ; les autres, florissantes, font la joie de financiers à la recherche de placements à rendements garantis.
D'autres structures étatiques méritent également l'examen. Le cas le plus spectaculaire cité par les médiats français paraît celui de la Californie. Or celle-ci constitue la huitième économie mondiale, avec une population de 37 millions d'habitants. Mais on doit savoir aussi que d'autres États américains se trouvent dans une situation budgétaire critique : l'Arizona, le Connecticut, le Mississippi, la Caroline du Nord et la Pennsylvanie. La loi fédérale des États-Unis se trouve doublement violée : formellement parce que le budget de chaque État doit impérativement être voté au 1er juillet, et plus gravement, parce la loi fédérale interdit aux États d’afficher des budgets déficitaires. À ce titre le gouverneur républicain Arnold Schwarzenegger, quoique très "centriste", se trouve en opposition radicale avec une assemblée majoritairement démocrate. Il a donc refusé de signer une loi de finances en découvert de plus de 26 milliards de dollars. Or actuellement l'endettement de la Californie atteint déjà la somme de 67 milliards : comme il s'agit d'un cumul de décisions juridiquement nulles on peut quand même se demander quelle sera la situation des prêteurs. Le trésor public de Sacramento en a été réduit à payer en reconnaissances de dettes, à multiplier les congés de fonctionnaires sans solde.
On n'oserait pas, bien sûr, établir une comparaison avec la Zone euro. Conçue en fonction de règles acceptées souverainement par les États-Membres, elle impose un certain nombre de critères dits de Maastricht, fixés en 1991. Violant des accords internationaux, auxquels la signature des gouvernements français a conféré force de loi sur le territoire de l'Hexagone, l'État central parisien et son administration de Bercy pourraient bien un jour se voir accusés d'avoir créé une dette illégale.
On ne peut certes qu'approuver M. Woerth quand il affirme son opposition à toute augmentation des taux d'imposition : "Le gouvernement constate une chute des recettes mais ne prévoit évidemment pas d'augmentation d'impôts qui conduirait à rajouter de la crise à la crise. Non, pas question ", a-t-il déclaré et répété (3).
Mais alors il lui incombe de présenter rapidement un programme de liquidation des gaspillages étatiques, seule solution compatible avec les données du problème. On tombera d'accord sur le principe qu'il énonce en parlant de "réformes structurelles", en citant le seul exemple un peu convaincant celui du "non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, c'est aussi une réforme structurelle (...) réponse directe à cette crise".
On aimerait cependant recevoir du gouvernement tout entier l'assurance de plus de fermeté, de plus d'effet et de plus de cohérence dans cette conviction apparemment à éclipse.
Apostilles
- n° 2008-1425 du 27 décembre 2008
- prévisions par Bercy au 11 août
- sur TF1 le 12 août
JG Malliarakis
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Un "Cahier de l'Insolent" consacré à "La Question Turque" paraîtra le 15 septembre. Il formera un petit livre de 128 pages et coûtera 10 euros à l'unité. Conçu comme un outil argumentaire, contenant une documentation, des informations et des réflexions largement inédites en France, vous pouvez le commander à l'avance, au prix franco de port de 8 euros (valable jusqu'au 31 août expédition le 15 septembre) pour un exemplaire, 35 euros pour la diffusion de 5 exemplaires. Règlement par chèque à l'ordre de "l'Insolent" correspondance : 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique sur le site de Lumière 101
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