Dans un article écrit cet hiver où le concept de crise battait son plein, M. Jacques Sapir se félicitait de ce qu'il appelle "le retour du protectionnisme et la fureur de ses ennemis" (1). La seule chose amusante de ce lourd papier vient probablement d'un autre intervenant. Peut-être faut-il en remercier le maquettiste du journal, qui ajoute cocassement en surtitre "totem et tabou".
À l'époque stalinienne, une telle facétie eût sans doute occasionné de graves déconvenues à son auteur car elle renvoie à des modes de pensée alors persécutés. Dans la patrie du socialisme réel, on appréciait fort peu Sigmund Freud et ce qu'il écrivait en 1913. Fils d'un psychanalyste, M. Sapir devrait le savoir. À la même date, loin de ces fantaisies "petites-bourgeoises individualistes", Lénine, pour sa part, théorisait, très sérieusement, le contraste qu'il croyait apercevoir entre l'Orient avancé et l'Occident retardataire. Cet écrit de circonstances, qu'on trouve dans ses œuvres complètes permettra à ses épigones de bâtir tout le tiers-mondisme du XXe siècle.
Les gens du groupe "Attac", heureusement en baisse de forme ces derniers temps, "Le Monde Diplomatique" et M. Sapir s'inscrivent dans cette mouvance. Et l'expertise de cet auteur étrange l'amène ainsi à écrire doctement que "le libre-échange entraîne un double effet dépressif, direct sur les salaires, et indirect à travers la concurrence fiscale qu’il rend possible."
On tremble…
On sourit en lisant sous sa plume : "il n'est donc de propriété individuelle, au sens de l'usage comme au sens de la valeur des biens, que dans la mesure où il est conjointement une propriété collective sur le même bien ou service. La propriété est donc, par nécessité, duale". Où le lecteur se retrouve en pays de connaissance… (2)
Mais on frémirait encore plus en notant que la prose typiquement marxiste de ce personnage infatué de ses propres "thèses" trouve un écho certain auprès de gens qui se croient ou se disent "de droite", "villiéristes", "villepinistes", etc. Il est amusant que, propagandiste avoué de M. Poutine, postfacier du consternant ouvrage "Que reste-t-il de notre victoire" manifeste de la nostalgie nationale-soviétique (3), M. Sapir se trouve en contradiction sur ce point avec les déclarations, au moins officielles, de son idole le premier ministre russe (4).
Retour du protectionnisme ? À certains égards, oui et on peut le déplorer.
Convient-il d'y voir, dès lors, comme le titre de Pareto le suggère, un "péril socialiste" (5), lors même que les idéologies socialistes ne progressent plus qu'en tenues camouflées ?
Il se trouve que le thème de la protection fait partie, de leurs panoplies et de leurs masques de prédilection.
À court terme, ce qu'on appelle "la crise" a beaucoup servi. La situation boursière et la panique médiatique ont permis aux hommes de l'État de présenter les plans dépensiers, gaspilleurs et déficitaires les plus impudents. La propagande de Mme Aubry et la démagogie des syndicats tendaient même à demander encore plus de dépenses publiques. Or les peuples n'ont pas marché.
Car, fort curieusement, les élections européennes du 7 juin ont largement démenti l'idée que la conjoncture présentée comme catastrophique pour le capitalisme produirait un raz-de-marée d'extrême gauche et une poussée socialiste.
Souvenez-vous, par exemple, que quelques émeutes hystériques à Athènes, défigurant en décembre 2008 le charmant quartier de "Exarchia", étaient présentées pour annonciatrices d'un printemps révolutionnaire sur tout le continent.
Mais en dehors de la France, où le centre droit est supposé avoir "triomphé" avec 28 % des voix, il atteint aux alentours de 40 % dans toute l'Europe. Et partout les partis marxisants apparaissent en recul. La couleur à la mode des contestataires de salon se veut désormais "verte". On a gommé le fait que le score continental du parti éponyme soit demeuré finalement assez modeste, 7 % des voix et 48 sièges sur 736 au sein de l'assemblée de Strasbourg.
À vrai dire d'ailleurs l'écologie, nouvelle tendance, offre un immense avantage aux délires étatiques car elle permet sans la moindre justification économique des injonctions arbitraires d'argent public.
Or, à plus long terme, on doit bien saisir, et tel me semble l'enseignement fondateur de Pareto, que toute intervention étatique dans l'économie
1° génère du protectionnisme
2° et que la "protection", et le socialisme proprement dit, aboutissent exactement aux mêmes errements.
Il montre, en économiste, qu'il n'existe guère de différence pratique entre le socialisme militant et celui des hommes de gouvernement qui se veulent souvent "de droite", qui s'affirment des "hommes concrets", tournant le dos aux lois de l'économie comme s'il s'agissait de vaines théories.
Question éminemment actuelle dans un pays comme le nôtre où on laisse tenir le haut du pavé aux élucubrations étatistes de M. Guaino ancien commissaire général au plan et conseiller officiel d'un président dont il passe pour rédiger les discours.
Un point capital des travaux de Vilfredo Pareto consiste à souligner, à démontrer de manière tout à fait scientifique, les ravages exercés par cette soi-disant "protection" qui équivaut toujours à une destruction.
Sous prétexte qu'en 1922 il avait conseillé une certaine orientation économique, d'ailleurs libérale, au jeune président du Conseil italien on a souvent présenté Vilfredo Pareto (mort en 1923) comme un "fasciste".
En réalité son message se situe à l'exacte opposite de l'autarcie, du corporatisme administré et de la doctrine ultérieure "statolâtre" caractérisant à partir des années 1930 la "fascistisation" de l'économie.
Comme Milton Friedman le fera un demi-siècle plus tard avec le gouvernement chilien, le grand économiste italien de renommée internationale qu'était Pareto dans les années 1920 recommanda au nouveau gouvernement de son propre pays un programme d'action favorable à la libre entreprise.
Il existe certains discours mal connus du président du conseil italien de cette période, allant dans le sens de la privatisation. Il remarquait que l'État n'a aucune vocation à fabriquer des allumettes. Et ceci explique les succès des dix premières années de ce gouvernement, alors constitutionnel et fort apprécié de Winston Churchill, parmi tant d'autres.
À la vérité les communistes qualifient, aujourd'hui encore, de "fascistes" indistinctement tous leurs adversaires, confondant ce concept vague avec le national-socialisme, y compris lorsqu'ils parlent de la seconde guerre mondiale.
Combattre le libre-échange, plus ou moins sournoisement, caractérise tous les régimes d'oppression. M. Sapir et ses adeptes d'hier et d'aujourd'hui ne s'y trompent pas. Leur seule erreur consiste à ignorer le caractère autodestructeur de leur propre chauvinisme, qui exalte les tares nationales au lieu de les guérir. Cette dernière ambition supposerait de les diagnostiquer.
Pareto militait en faveur du libre-échange pour la raison inverse : il défendait tout simplement la Liberté. Il connaissait cette loi millénaire démontrée depuis l'instauration de la république à Rome et celle de la démocratie à Athènes : les peuples commencent à être forts quand ils deviennent libres.
JG Malliarakis
Apostilles
- publié par Le Monde Diplomatique en mars 2009
- cf. "Les Trous noirs de la science économique : essai sur l'impossibilité de penser le temps et l'argent" ed. Points p. 310
- Natalia Narotchniskaïa "Que reste-t-il de notre victoire ?" ed. Syrtes 2005
- cf. ses déclarations conventionnelles à l'occasion du Forum de Davos le 28 janvier dépêche Ria-Novosti . Il est vrai que Vladimir Vladimirovitch affirme craindre ce qu'il appelle le "protectionnisme excessif". L'État russe a besoin de vendre son pétrole et ses matières premières pour payer ses fonctionnaires.
- cf. Le Péril socialiste préfacé par Georges Lane.
Vous pouvez écouter l'enregistrement de nos chroniques sur le site de Lumière 101
Je répondais tantôt(1) à M. Sapir que "élever des barrières en Occident bloque le développement des pays grouillants et prouverait à leurs opinions publiques que l'égoïsme des blancs n'est pas un argument de propagande raciste, mais un fait acquis. C'est la confrontation que nous avons périodiquement à l'OMC entre l'agriculture de l'Union européenne et celles du Tiers Monde. Et sitôt la Crise passée le ton va sérieusement monter. Bien sûr, nous devons traiter chez nous un désavantage structurel amplifié par la liberté des échanges en prenant des mesures de sauvegarde un peu éloignée de la charité chrétienne mais il nous faut garder à l'esprit que la fin de l'histoire c'est toujours l'entropie globale, sauf à disparaître dans deux générations dans un holocauste nucléaire. Aussi devons-nous nous préparer « tout simplement » à gagner des parts de marché dans les secteurs économiques et financiers où nous avons nos chances sans trop compter sur l’accroissement du gâteau."
Mais les marxistes ne prisent pas trop le déclenchement de l'assaut général par le surgissement des individualités et préfèrent caporaliser la pratique de leur théorie. Les grands projets étatiques m'ont toujours paru soufflés à l'hélium. Je continuais:
"Dans ce combat qui va s’avérer primordial, les socialistes, c'est-à-dire la grande majorité de la classe politique française, ont un réflexe colbertiste qui engage l’Etat à prendre en charge la prospective et lancer des filières. Le colbertisme gaulliste et ses succédanés pompidilo-giscardiens nous ont montré la vanité de faire naître ces mammouths dont aucun n’a survécu. A peine l’idée budgétée, qu’affluent les rats en pantoufles, incapables de réussir en compétition ouverte mais décidés à établir leur rang social, et le fromage grandit à mesure des portées de profiteurs, asséchant les marchés de capitaux au bénéfice du monstre en croissance. C’est le génie de l’Homme qui peut trouver la solution, pas la réunion de fonctionnaires limités désormais au 35 heures."
Ca ne plaît pas !
(1) http://royalartillerie.blogspot.com/2009/05/barrage-contre-la-mondialisation.html
Rédigé par : Catoneo | jeudi 02 juil 2009 à 09:47
On ne comprend rien au commentaire qui précède.
La seule question est :
"ce Sapir est-il un imbécile ou un menteur professionnel, et dans ce cas, a-t-il plusieurs cartes ?"
Rédigé par : Kysymys | vendredi 03 juil 2009 à 19:04
Contrairement à ce qu'affirment les tenants de la pensée unique, le libre-échangisme mondial, par la concurrence étrangère et les délocalisations d'entreprises qu'il entraîne, détruit nos emplois et notre économie.
Une économie forte est une économie diversifiée et non spécialisée, et pour cela elle doit protéger ses intérêts économiques vitaux. N'en déplaise à certains, oui (et heureusement) on peut être de droite et soutenir le protectionnisme (qui n'empêche nullement les échanges commerciaux). Le capitalisme est le seul système qui puisse marcher. Mais pas n'importe lequel !... Sûrement pas l'ultra-libéral qui, tout comme le communisme, va droit dans le mur !
Rédigé par : L'indépendant | vendredi 28 août 2009 à 15:12
Déjà, quand on parle de libre-échangisme en lieu et place de libre-échange, c'est qu'on a bien tout compris.
Ensuite, si l'Insolent dit "Il connaissait cette loi millénaire démontrée depuis l'instauration de la république à Rome et celle de la démocratie à Athènes : les peuples commencent à être forts quand ils deviennent libres.", c'est que c'est vrai.
Le protectionnisme foire systématiquement.
Rédigé par : h16 | samedi 19 sep 2009 à 21:55
A h16. Mon cher, vos idées économico-commerciales appliquées depuis des années ont largement prouvé leur échec. Ce sont les nations qui se protègent qui réussissent (Japon, Corée du Sud, NOrvège, etc). La lecture des ouvrages de Paul Bairoche et de Maurice Allais (Prix Nobel d'économie), vous ferait le plus grand bien.
Rédigé par : L'indépendant | jeudi 03 fév 2011 à 20:59
Je voulais écrire "Paul Bairoch".
Rédigé par : L'indépendant | jeudi 03 fév 2011 à 21:01