Le message que, d'habitude, nous recevons des institutions bruxelloises transpire l'ennui. Remarquons par ailleurs le peu d'écho médiatique qu'on donne aux décisions, directives, ou débats au sein des instances communautaires. Leur importance devrait souvent alerter nos informateurs. Mais on ne nous parle, décidément, que des aspects soporifiques, courtelinesques ou dérisoires : querelle du vin rosé, guerre de la banane et autres maquignonnages subventionnaires agricoles, où l'on enlise le beau projet de Robert Schuman.
Nos dirigeants ont misé sur une trop courte campagne. Et on l'a cantonnée dans des registres généralement fort ternes.
Pourtant, une question cruciale a cheminé dans l'esprit des gens qui se préoccupent sincèrement du destin de l'Europe. Il s'agit de la candidature d'Ankara. Et une actualité foisonnante aurait permis d'enrichir chaque jour le sujet. Certes, bien d'autres questions, notamment institutionnelles, abordées dans le passé, peuvent aussi nous passionner.
Mais il se trouve aussi que celle-ci dessine une ligne de démarcation très nette. Elle opère une séparation entre les conceptions purement consommatiques de la société, et le souci ardent et lucide des destinées de la cité, que l'on se place du point de vue de la patrie ou de celui des libertés.
Il semble donc légitime, eu égard à son aspect de révélateur, d'accorder un traitement particulier à cette question turque.
Or, elle apparaît perçue, à tort, comme principalement liée à celle de l'Islam.
Et je crois aussi qu'elle mériterait qu'on cherche à aller un peu plus loin, au-delà des pétitions de principe.
On m'excusera dès lors, m'exprimant sur ce sujet, de développer mon point de vue en parlant à la première personne du singulier.
J'ai donc travaillé en connaissance de cause, et je continuerai à le faire sans ignorer la ligne de partage qui divise la France en deux camps, bien nets. Je n'y puis rien, je constate.
Les listes issues des diverses droites se retrouvent toutes hostiles à l'adhésion. L'unanimité de la gauche, de Cohn-Bendit (1) à Mélenchon, se prononce, au contraire, en faveur du principe de cet élargissement. Si on devait trouver un seul argument pour souligner le poids de la bipolarisation, cette aveuglante clarté pourrait suffire.
Ne nous attardons pas trop ici à mesurer le degré de sincérité, ni même de cohérence autour de telles prises de position. On les devine d'avance.
On peut quand même recommander la conservation la plus précieuse possible de toutes les professions de foi promettant une opposition sans faille à cette adhésion, pour laquelle, curieusement, on fait mine, par ailleurs, de négocier.
Ne nous compromettons même pas en citant le journal (2) qui publie le dossier de l'appartenance de l'actuel ministre de l'agriculture, tête de liste UMP à divers réseaux unanimement pro-turcs : avec son beau regard clair, le personnage sait ramper de manière suffisamment ondoyante pour ne plus jamais rien murmurer qui puisse déplaire au président de la république, lui-même défavorable à l'adhésion d'Ankara.
Glissons sur la suppression du verrou référendaire de l'article 88-5 inscrit en 2005 dans la Constitution de 1958, et supprimé à l'occasion de la réforme de 2008.
On ne s'acharnera pas non plus en rappelant les deux chapitres de négociation ouverts au second semestre 2008, sous présidence française : certains s'en indignent d'autres s'en gaussent (3).
On posera simplement la question : à quel jeu la technocratie parisienne se croit-elle assez habile pour rouler dans la farine ses interlocuteurs stambouliotes ou anatoliens ?
Par exemple, et à l'inverse, ceux qui se disent, depuis le traité de Maastricht et la campagne référendaire de 1992, hostiles au principe même de l'Union européenne, pourraient se frotter les mains. Ils doivent se féliciter à l'idée que l'entrée d'un tel pays ferait effectivement exploser le cadre actuel. Sa taille réduira en miettes la volonté de mettre véritablement en place un parlement législateur, puisque le bloc d'Asie mineure en désignerait démographiquement le plus important contingent. Son niveau de développement condamnerait les larges politiques de redistribution. Enfin la charte des droits adoptée en décembre 2000, et réaffirmée en février 2001 à Nice, sous présidence franco-chiraquienne, comme volonté unanime des États, et donc en tant que norme juridique, perdrait son caractère vraiment contraignant puisque la société autoritaire turque ne l'assimilerait pas dans les faits.
À l'inverse, pour les mêmes raisons, les gens de gauche qui se prononcent de manière abstraite, pour une Europe sans exclusive autre que laïciste, se trouveront bien obligés de pointer les incompatibilités concrètes au cours des négociations.
De pareilles contradictions se révéleront également au niveau des États-Membres. La diplomatie britannique, dont l'efficacité séculaire ne requiert aucun besoin de démonstration, ne se met jamais en avant. Il lui suffit de trouver parmi les 27 partenaires, voire même à Washington, un ou plusieurs voltigeurs de pointe. Les professionnels ne manquent pas. L'Angleterre désire cette adhésion pour de nombreuses raisons, essentiellement liées à sa stratégie mondiale. La Grande-Bretagne n'avait, d'autre part, jamais accepté ni les conceptions économiques de Jean Monnet et Robert Schuman de 1951, ni le traité de Rome en 1957, encore moins la Monnaie unique et les programmes de convergence de 1991.
Confrontés à toutes ces questions, on regrette de ne pas en trouver l'évocation dans les littératures agréées, qui se révèlent ainsi autant de moyens de manipulations, de "médiatisation" des masses.
Pourtant des sources d'informations abondantes existent sur le sujet. Elles permettraient de suivre sans difficulté, y compris à partir de la presse turque, l'avancement du procès. Constatant l'absence d'écho dans les médiats, "l'Insolent" a résolu de diffuser la connaissance de faits que le public gagne à connaître.
Par exemple celui-ci (4) : dans le courant du mois de juin, le gouvernement "islamo-conservateur" de M. Erdogan va reprendre à une cadence accélérée les réformes supposées normaliser le pays en vue de son adhésion. Ne doutons pas que les lois qu'il fera voter par sa majorité parlementaire détermineront essentiellement des avancées cosmétiques. Elles serviront surtout à présenter une apparence de bonne volonté destinée à complaire aux négociateurs occidentaux. Et cela signifie bel et bien qu'à partir de septembre ou octobre 2009, le parlement nouvellement élu, la commission désignée ou reconduite et le conseil européen des chefs d'États et de gouvernements, sous une présidence suédoise favorable à cet élargissement (5) vont se trouver confrontés à un renforcement de la pression turque, elle-même relayée par d'excellents conseils dispensés par M. Obama et par Mme Clinton.
"Un jour viendra où vous France, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fonderez étroitement dans une unité supérieure et vous constituerez la fraternité européenne" disait déjà Victor Hugo. Il ne parlait pas de la Turquie.
C'est pourquoi nous publierons le 15 septembre sous forme d'un petit volume (6) le rassemblement structuré de tous les arguments, développés dans l'Insolent, plus quelques autres, qui nous font juger inapproprié, dangereux et mensonger, le projet d'accepter ce pays candidat comme État-Membre de l'Union européenne.
Apostilles
- Si l'on veut trouver une raison un plus haute que la misérable émission de Mme Chabot de voir ce qui sépare les deux conceptions on se reportera aux déclarations de François Bayrou en 2007 : "L’Europe repose sur une unité géographique, historique et sociétale : la Turquie n’est pas européenne." et à son discours lors du débat du 14 octobre 2004 sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne qu'on gagnera à lire intégralement sur le site de l'Assemblée nationale.
- Minute n° 2412 du 3 juin 2009 pages 6 à 9 : "Michel Barnier appartient au lobby pro-turc". Jamais le mot anglais "lobby" n'aurait autant gagné à se voir traduire en français par "coulisse".
- Ces deux chapitres ouverts au terme de la présidence française ont été le n°4, relatif à la liberté de circulation des capitaux [considérée comme l’une des quatre libertés fondamentales par l’Union Européenne, elle rendra en l'occurrence de grands services aux sociétés mafieuses domiciliées à Chypre-Nord], et le n°10, concernant la société de l’information et les médiats. Ils portent l'ensemble des dossiers en cours de traitement discret commencé en 2004 à 10 sur 35 programmés.
- cf le journal turc "Zaman" du 4 juin.
- M. Carl Bildt qui prendra la présidence tournante de l'Union le premier juillet s'est d'ores et déjà prononcé pour la Turquie, pour des raisons qui rejoignent dans les faits, celles de Londres.
- Ce petit livre de 192 pages est désormais disponible au prix de 20 euros, port compris on peut se le procurer via la page catalogue des Éditions du Trident, ou, par correspondance, en adressant un chèque du même montant aux Éditions du Trident, 39, rue du Cherche Midi.
JG Malliarakis
Articles des jours précédents
3.6.09 Faux dialogue avec un faux islam
2.6.09 Un article 216 bien significatif
1er.6.09 La hauteur et les enjeux du scrutin du 7 juin
28.5.09 Fuite en avant des subventions
27.5.09 Un merveilleux outil policier
26.5.09 La diplomatie turque instrumentalise un islam de faux semblants
25.5.09 Fonctionnarisation de professions autrefois libres
18.5.09 Gogol le libre orthodoxe et la transfiguration du monde
15.5.09 Le combat de trop de Martine Aubry
Vous pouvez écouter l'enregistrement de cette chronique sur le site de Lumière 101
Je suis tout aussi opposé que vous à cette adhésion car je n'y vois strictement aucun intérêt pour nous européens sinon de nous islamiser davantage et surtout de nous amener un jour ou l'autre à devoir aider les turcs dans un éventuel conflit régional (il ne faut pas oublier que l'Iran est à leur porte pour ne citer que ce seul exemple!).
Personnellement, je ne me battrais jamais pour eux si la situation l'exigeait...
Mais que faire face à toute cette technocratie qui cherche à nous abuser systématiquement?
Rédigé par : dardevil99 | samedi 06 juin 2009 à 10:47
Revenons svp aux vraies questions !..
A propos de l'unité européenne, je ferais remarquer que le cas Suisse peut constituer un observatoire particulièrement pertinent. La
Confédération est née de la constitution artificielle d'une armée helvétique. La confédération n'avait même pas de capitale. C'est Napoleon qui a écrit la constitution suisse et a fait de Bern la capitale.
Différents par les confessions, les langues, les traditions, les cantons se sont rassemblés autour de l'idée de défence commune.
Le problème de Bruxelles en Europe, c'est qu'elle agit comme Napoleon en Suisse, en oubliant simplement qu'un liant confédéral avait créer, plusieurs siècles auparavent, les conditions de possibilité de l'unité, l'armée commune.
La priorité ne serait-elle donc pas la constitution d'une défense européenne, libérée des injonctions de l'Otan et de Washington ??
Rédigé par : frederic andreu | samedi 06 juin 2009 à 11:25
Est-ce que la Turquie ne va pas commencer par se tendre elle-même sur son propre devenir ? Est-ce qu'elle chemine adroitement vers un rêve ou court-elle à sa destruction ? Quand Erdogan a claqué la porte à Davos, il n'a pas été que teigneux. Il a brouillé adroitement les cartes, et volontairement sans doute. Les jours suivants, Gül et lui-même ont joué atout "Islam", bien aidés par la Maison Blanche. D'accord, ce qu'est un atout. Mais le temps pressant au regard de la situation mondiale pré-conflictuelle, comment la Turquie va-t-elle passer, pour la région, du statut de mendiant au statut de souteneur, puisqu'elle s'est engagée à favoriser les interêts de la surpuissance américaine, pourtant toute fragile, et cela sous les yeux tout doux de la Russie ? Dans les jeux de carte, il est des atouts qu'on ressort souvent, surtout quand on est mis à mal.
Dans l'attente de lire "le Cahier de l'Insolent" de septembre, recevez mes remerciements pour l'éclairage que vous apportez sur la question turque,
Rédigé par : C. | samedi 06 juin 2009 à 17:40
C'est encore pire que ce que l'on peut imaginer :
L'après 7 Juin est déjà connu
http://www.mediaslibres.com/tribune/post/2009/05/13/Le-Forum-de-Crans-Montana
Rédigé par : lecteur | samedi 06 juin 2009 à 18:33
On ne peut qu'approuver vos avertissements sur le danger d'une éventuelle adhésion de la Turquie, mais pourquoi parler si peu des périls d'une immigration non contrôlée ?C'est pourtant bien une seule et même menace pour l'identité de l'Europe
Robert Neboit
Rédigé par : robert neboit | samedi 06 juin 2009 à 22:00
"La priorité ne serait-elle donc pas la constitution d'une défense européenne, libérée des injonctions de l'Otan et de Washington"
Comme si cela était une "vraie" question! Cela fait 30 ans et plus que la France et l'Angleterre font cavalier seul et que tous les autres diminuent leurs investissements "militaires"... comment peut-on seulement être crédible?
L'armée européenne, c'est comme le monstre du Loch Ness : tout le monde en parle mais personne ne l'a jamais vu!
PETITE RÉPONSE
Juste pour dire que la citation entre guillemets en tête de ce commentaire, et qui, pour ma part, ne me choque pas vraiment, ne me semble pas tirée de mon texte que vous commentez ainsi, d'un argument certes pertinent. La question de la "défense européenne" (moyen éventuel) suppose d'abord que l'on s'entende sur ce que l'on entend par "défense de l'Europe" (but).
Comme la notion même de défense suppose que l'on réfléchisse d'abord à la nature et à l'identité de l'adversaire, et comme la France croit ne pas avoir d'ennemi j'attends très peu des dirigeants parisiens sur ce terrain....
Rédigé par : | lundi 08 juin 2009 à 11:46
Ils sont déjà ici, les copains!
Rédigé par : minvielle | lundi 08 juin 2009 à 23:32