Or, l'indifférence ne semble pas faiblir.
Reconnaissons, d'ailleurs, une qualité au Premier ministre M. François Fillon. S'exprimant rarement, il nous donne peu souvent l'occasion de le critiquer, ni d'ailleurs d'avaliser son propos. Une fois ne créant pas l'habitude, me voilà tenté d'applaudir à son intervention de Ludres du 14 mai, où il affirmait :"le projet d'une Europe politique constitue la seule vraie question" (1).
On lui donnerait volontiers raison sur ce point, mais on craindra hélas que l'écho ne s'en propage guère. Et par conséquent la réponse donnée par les électeurs n'y correspondra pratiquement pas. On fait, en général, trop souvent endosser après coup aux citoyens leur adhésion supposée à des clauses écrites en tout petit, constituant une carte forcée, sur des programmes électoraux livrés clefs en main. Le bon peuple d'ailleurs ne croit plus aux promesses. Aujourd'hui nous nous trouvons donc devant l'illusion inverse. On marque des enseignes et des calicots en lettres fluorescentes, aveuglantes au point que personne ne les regarde.
Ce qu'entendent, de façon plus ou moins confuse les citoyens, laisse dominer pour le moment une impression déprimante de cacophonie.
Or, dans ce registre, le parti socialiste bat tous les records. Parviendra-t-il à un score national de 20 % ? La chose semble beaucoup moins assurée qu'on le dit, car l'évolution des sondages indiquerait plutôt une tendance évoluant en sa défaveur.
Et ceci pourrait s'expliquer d'abord par de nombreux facteurs externes. La concurrence paraît toujours déloyale. À gauche aujourd'hui la règle s'applique sans défaillance. Au cours de l'été prochain, une fois le désastre constaté, un comité discret du grand orient de France cherchera sans doute à arranger les choses. Mais, en attendant, même ces professionnels de la conciliation éprouvent le besoin de se faire désirer.
L'encerclement vient de partout. Par exemple, on attend beaucoup, même à l'Élysée, des listes de Besancenot : peut-être trop. J'écoutais hier (2) le discours de la tête de liste du NPA dans le sud est. L'évidence saute aux yeux. Le camarade Jennar fait avant tout le procès de Jacques Delors. Suivez mon regard. Il rend responsable l'Europe sociale démocrate de Maastricht de tous les maux. Il met le gouvernement Jospin en accusation d'avoir avalisé, en 1999, le "processus de Bologne" et, en 2000, la "stratégie de Lisbonne", causes supposées du démantèlement de notre service public universitaire :
"Nous en avons assez de cette Europe des actionnaires, (…) du tout camion, (…) des pesticides, (…) qui démantèle le droit du travail, (…) qui généralise les emplois précaires (…) qui privilégie le petit nombre qui a tout, (…) au détriment du grand nombre de ceux qui n'ont rien etc. Nous en avons assez de l'Europe capitaliste".De telles imprécations, tous azimuts, dont je ne note ici que des bribes, culpabilisent la mauvaise conscience des bourgeois bien pensants. Elles peuvent faire mouche. Elles revêtent un caractère suffisamment attrape-tout pour drainer des voix venues du PS. Mais rien n'assure, non plus, le plein succès d'un discours, dont le fond de nihilisme gauchiste n'échappe à aucune personne tant soit peu sortie de l'adolescence.
Car, par ailleurs, certains sondages, dont les amis de Ségolène Royal font leurs choux gras, montrent que l'alliance entre les dissidents de son parti et les résidus de l'appareil stalinien pourrait éventuellement dépasser les 2 % de voix naturelles restant à Mme Buffet. Insurmontable, angoissante, impression de flache-baque. Où ne va-t-on pas ? On tremble. Si maintenant les vieux cocos pourris se mettent à sortir impunément de leur tombe à la pleine lune, si ces vieilles batteries se rechargent vaguement à force de ne pas servir, si le monstre se réveille de son électrocardiogramme plat, si le canard refuse de mourir, qu'ira-t-on lire dans le Figaro ?
Le parti forgé au congrès d'Épinay pour leur manger la laine sur le dos crierait-il au complot ? On sourirait.
On préjugera même que Mme Aubry mène, tel un boxeur usé, un combat de trop. Mais qu'on se rassure quant aux destinées de cette mégère. Songeons qu'un éventuel succès national serait présenté pour le sien, cependant qu'un échec pourrait se voir imputé aux têtes de listes régionales.
On s'étonnera plus encore, en revanche, en apprenant ses déclarations du 7 mai. Dans son discours de "Mobilisation générale" elle se dresse, vent debout, contre toute perspective d'alliance "au centre". Elle rejette avec horreur ce Modem qui pourtant n'a cessé de multiplier depuis des mois les signes de bonne volonté à son égard.
Mais, chère Madame, faites attention à trop jouer les coquettes. Votre dot fond comme neige au soleil ! Le flirt devenait un peu lourd, la cour trop assidue. Le lecteur s'alanguissait depuis des semaines en se demandant combien de temps Lucien Leuwen allait chastement se retenir de passer à l'acte. En amour prétend Clemenceau qui, je crois, s'y connaissait en bouquets de violettes, ce qu'il juge le meilleur "c'est l'escalier".
On se montrera donc patient. Après tout, entre socialistes et centristes, l'embrassade attend depuis le vote en septembre 1951, de la Loi des "3B"(3). À peine la réconciliation des anciens amants fut-elle esquissée, comme un hardi mais éphémère pas de danse, sous la houlette de "l'Express" de Jean-Jacques Servan-Schreiber par Gaston Defferre en 1964. Puis, après son élection de 1981, Mitterrand l'a fait miroiter pendant plusieurs années à divers interlocuteurs, se gardant bien de concrétiser. L'être désiré réside donc, tout en haut d'une Tour, et, même si l'ascenseur reste en panne, on ne saurait douter qu'un lecteur des romans courtois et de leurs troubadours finisse, un jour ou l'autre, par franchir les obstacles.
Mais notre étonnement sarcastique devant les mufleries actuelles de Mme Aubry pourrait bien quitter son caractère de rire jaune. Madame le premier secrétaire du parti socialiste prétend-elle donc encore gouverner au nom de ce que Jospin appelait la "gauche plurielle" ?
Cela signifie en clair qu'elle consent, très sciemment, à agir, aujourd'hui encore, en fonction des exclusives d'un autre âge, déterminées par ce très vieux parti communiste qui, s'il dépasse les 2 % de voix, n'en mérite guère plus.
On doit donc poser la question : Martine sait-elle compter les voix ?
Elle se refuse en effet à toute alliance, déplaisante pour une certaine dialectique révolutionnaire édentée et éventée.
Elle devrait cependant considérer le simple bon sens quantitatif. La logique lui désigne la seule force, qui compte peut-être 15 % en basses eaux, mais qui pourrait en atteindre potentiellement 20 ou 25 % à la prochaine présidentielle.
La fille de Jacques Delors n'a-t-elle pas compris que le schéma arithmétique de l'alliance s'est totalement inversé depuis l'ère Mitterrand : à l'époque, la fourchette d'appoint indispensable 20-25 % représentait le score potentiel du PCF ? Si le maire de Château-Chinon a fait momentanément, pour un petit meilleur et pour un gros pire, du parti communiste une force de gouvernement, croit-elle qu'il était mu par une vraie conviction ? par une conscience prolétarienne sincère ? par un désir d'imiter, en France, Lénine ou Fidel Castro ? Ou plus simplement parce qu'il avait besoin de cet apport pour battre les gaullistes ?
Si elle appliquait dans sa ville la tactique qu'elle préconise au plan national, elle siégerait en qualité de conseiller municipal, certes, mais dans l'opposition. Et probablement aussi pour une dernière mandature, car les Flamands ne manquent pas de bon sens. Certains l'aiment bien, d'autres la supportent. Elle peut sentir presque aussi bon que Pierre Mauroy, la bière, la fritte, avec un doigt de vin rouge en plus. Mais tous ceux qui ne souhaitent pas voir la droite locale s'emparer du beffroi, la remettraient un jour assez proche dans un beau train très rapide direction Paris, le boulevard Magenta, et Barbès-Rochechouart dont elle ferait comme dans Offenbach une remarquable duchesse.
À Lille, très raisonnablement, elle applique ce qu'elle condamne à Paris. En jouant ainsi les idiotes, espère-t-elle pouvoir concurrencer Mme Royal ? Étrange ambition.
À la masse de ses ennemis, on doit toujours ajouter, pour Martine comme pour tous les autres, soi-même.
Fumer la moquette comme elle le fait nuit gravement au parti qu'elle dirige. Nous saurions nous en consoler.
Élevons quand même le débat pour dire qu'elle pénalise encore plus son pays. Elle l'enferme dans une fausse alternance, entre ce que Pareto appelait, des "socialistes d'État", actuellement au pouvoir, étiquetés réformateurs, alliage de la gauche caviar et des partisans du moindre mal, – et d'autres socialistes, présentement démonétisés, durablement divisés, faisant encore semblant de jouer à l'union de la gauche, avec les vieux débris du marxisme, du léninisme et de la CGT. À nous piéger de la sorte, elle se condamne elle-même.
Apostilles
- cf. France Inter ce 15 mai à 7 heures.
- Sur le site du Nouveau parti anticapitaliste
- Initiales des 3 parlementaires ayant proposé ce texte : Barangé pour le MRP (ancêtre du Modem), Barrachin pour le RPF (ancêtre de l'UMP), et l'indépendant de Baudry d'Asson (lui-même descendant des élus royalistes de l'Ouest). Cette loi, sans doute excellente en elle-même, causa une rupture permanente entre les socialistes SFIO et les démocrates chrétiens du MRP. Il s'en suivit l'absence permanente de majorité dont mourut le régime parlementaire de la IVe république. Il fallut attendre 1958, les événements d'Alger et la constitution du gouvernement De Gaulle pour réunir à nouveau, artificiellement et jusqu'en février 1959, des ministres MRP et SFIO.
JG Malliarakis
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Un beau style, que ne vous lit-on...
Rédigé par : minvielle | samedi 16 mai 2009 à 10:46
[Merci du compliment... N'abusons pas de cette liqueur...] À encouragement exceptionnel, et non sollicité, réaction de reconnaissance : j'ai donc affiné légèrement le texte, précisant peut-être ma pensée.
Rédigé par : JG Malliarakis | dimanche 17 mai 2009 à 12:30
Je confirme l'avis précédent : cela fait du bien de pouvoir lire des personnes ayant quelque chose à dire mais surtout sachant le dire dans un français correct et emprunt de subtilités - tout le contraire de la bouillie que nous servent les médias classiques si sûrs d'eux-mêmes!
Rédigé par : dardevil2007 | lundi 18 mai 2009 à 13:13