Mais je crois nécessaire aussi d'attirer l'attention sur un autre aspect du marché de dupes que la diplomatie de ce pays entretient en instrumentalisant, à son profit, et toujours à sens unique, le fait religieux.
Ainsi, le chef de l'État turc M. Abdullah Gül s'est rendu en Syrie, du 15 au 17 mai en visite officielle. Sur l'étonnante photo du dîner protocolaire à Damas, on peut voir MM. Assad et Gül aux côtés de leurs deux épouses. Et bien évidemment celle qui arbore son foulard traditionnel islamique vient d'Ankara.
Ce signe, devenu totalement banal n'intéresse pas les médiats, sauf pour les plus radicaux, peut-être les moins aveuglés, à y voir une preuve supplémentaire des distances, que prend, avec la laïcité constitutionnelle de la république, le gouvernement de l'AKP.
Ce commentaire vient immédiatement à l'esprit. Il peut cependant contenir une illusion, et par conséquent un danger. De tout temps la puissance ottomane a su se servir de la religion mahométane : elle n'a jamais sacrifié à celle-ci le moindre de ses intérêts.
Et cela continua même sous un Mustapha Kemal. Si dégagé de l'influence des sultans, si méprisant de la religion ancestrale, il aurait proclamé un jour : "cette théologie putride rêvée par un Bédouin immoral est un cadavre qui empoisonne nos vies". (1) Mais il n'a pas répugné à confier à une administration, le soin d'organiser des prêches du vendredi dans toutes les mosquées, de tous les villages du pays, dans la langue de l'État, et non plus du Prophète, et en conformité avec les directives du gouvernement.
Aujourd'hui l'objectif du gouvernement de l'AKP, théorisé par l'expert Davutoglu dont on vient de faire un ministre, consiste à remettre en selle l'influence de la Turquie dans un proche orient arabe incapable de se structurer par lui-même ni de se fixer des objectifs réalistes dans son contentieux avec Israël.
En cela le passage de Abdullah Gül à la Banque islamique de développement en Arabie saoudite, de 1983 à 1991, va évidemment au-delà du symbole. Ses biographes insistent sur la rupture qui l'aurait séparé du chef historique de l'islamo-nationalisme turc, M. Necmettin Erbakan. Or celui-ci avait été évincé par l'armée en 1997 alors qu'il présidait un gouvernement de coalition. On n'a jamais trop explicité ce qui le rendait infréquentable et ce qui, à l'inverse, permet aux deux compères Gül et Erdogan, ses disciples d'alors, de passer, aujourd'hui, pour acceptables.
L'explication la plus probable me semble tenir au système d'alliance qu'impliquerait aux yeux des musulmans turcs leur appartenance solidaire à la communauté islamique.
Pour Erbakan, l'expression de celle-ci eût conduit à la rupture de l'alliance militaire avec Israël. Cela, l'État-major et le Conseil de sécurité nationale d'Ankara (MGK) ne pouvaient l'admettre.
Pour Gül et Erdogan, plus subtils, il s'agit de se présenter désormais comme les porte-parole naturels et traditionnels des peuples musulmans : les déclarations du Premier ministre en janvier à Davos puis en avril celles du chef de la diplomatie (2) allaient explicitement dans ce sens et le voyage de Damas le confirme. Et, au nom de leurs frères, les compères demanderont à l'État hébreu de faire un certain nombre de concessions, bref de se montrer plus "raisonnable" que pendant les 8 années de la présidence de GW Bush. Cette habile attitude va par ailleurs dans le sens des préoccupations actuelles du département d'État à Washington.
Je n'en retire pas cependant, bien au contraire, la conviction que, par cette démarche, la Turquie prouve son appartenance à la famille des nations européennes. Pour cette raison et pour plusieurs autres je ne crois pas sérieux de vouloir l'imposer au sein de l'Union européenne.
Apostilles
Articles des jours précédents
25.5.09 Fonctionnarisation de professions autrefois libres
18.5.09 Gogol le libre orthodoxe et la transfiguration du monde
15.5.09 Le combat de trop de Martine Aubry
13.5.09 Ambitieuse Turquie myopie de la vieille Europe
11.5.09 Le glorieux Tapie, Bayrou et les informateurs
Vous pouvez écouter l'enregistrement de cette chronique sur le site de Lumière 101
Oui, mais il serait temps de fustiger peut être le vieux propos sur les "races", mais de mettre en "lumière" celui sur les cultures. De vieilles habitudes, d'anciennes casseroles, de périmés discours, autant de murs pour masquer ce qui fait les différences fondamentales entre les façons de penser et de procéder, et celles tout aussi importantes que la façon de manger et de boire, et d'aller au culte. Malheureusement, la haine passe les frontières aussi facilement que les expatriés. Quel monde de serpents! Ou sera notre pierre? Espérons qu'elle ne sera point une stèle.
Rédigé par : minvielle | mercredi 27 mai 2009 à 09:46
bjr cher monsieur ,et alors? ca doit plaire à bush et au nouveau president que la turquie instrumentalise les islamistes, comme ca à la prochaine fausse attaque style 11 septembre 2001 pour justifier d'une guerre à 500 millions de $ par jour ,la premiere puissance économique mondiale aura des boucs emissaire comme al-qaida en son temps...
merci pour vos chroniques et à bientot .
sébastien
Rédigé par : sfourne | mercredi 27 mai 2009 à 11:19