Ah, certes, on ne devrait jamais critiquer ce genre d'exercice de style, si terriblement conventionnel. Le défunt possédait toujours toutes les qualités. Sa famille endeuillée, ses amis éplorés et raréfiés, car il avait atteint l'âge de 87 ans, ses électeurs, etc. partagent une douleur qu'il faut respecter et devant laquelle je m'incline. Je ne cherche aucunement ici à amoindrir les mérites de l'ancien maire de Dinard reconduit de façon pratiquement ininterrompue entre 1962 à 1989, et qui présida de 1986 à 1998 le conseil régional de Bretagne. À vrai dire j'ignore le bien ou le mal qu'il a pu dispenser au titre de ces mandats. Il a certainement dû donner satisfaction aux Bretons puisqu'il fut régulièrement réélu.
Je ne sais pas non plus comment il faut interpréter l'hommage du chef de l'État disant de ce fils de colonel, né en 1921, lui-même administrateur de la France d'outremer :
"homme de conviction, humaniste, il prit une part active au début de sa carrière dans le processus de décolonisation en tant que gouverneur de l'Afrique Équatoriale Française."
À la vérité, je retiens ici exclusivement son passage de 5 ans, de 1975 à 1980, sous la présidence de Giscard d'Estaing, nommé dans le gouvernement Chirac et demeuré en place avec Raymond Barre, comme ministre de la Défense.
Et je m'interrogerai seulement sur l'affirmation suivante, retransmise par Libération du 19 avril :
"Il a laissé la marque de sa volonté exigeante de maintenir la France au rang des grandes puissances militaires. Cette détermination à moderniser nos armées, et en particulier ses équipements, il a su la traduire concrètement en adoptant le Famas dès 1975 ou en prenant la décision du programme Rafale en 1978."
La sincérité de ces affirmations et des choix, ainsi mentionnés si favorablement, ne devrait même pas être remise en cause. Je dis bien : la sincérité.
Ce qui, à franchement parler pose problème me paraît plutôt l'absence de débat, 30 ans plus tard, sur les options militaro-industrielles prises par l'État, et plus exactement, en l'occurrence, nous dit-on, par les ministres.
Partons d'abord d'une constatation, tenue pour inconvenante : très peu de membres d'un quelconque gouvernement, prennent effectivement eux-mêmes les décisions qu'on leur attribue. Le rappeler désacralise la fonction politique. On s'expose donc, en le disant, à passer pour un mauvais citoyen. Leur rôle, leur éventuel mérite, consiste très rarement à opérer véritablement des choix, le plus souvent à débloquer des dossiers, à accélérer des procédures, à mettre l'emphase sur certaines nécessités civiques. Tout le travail, ou toutes les options, émanent des administrations.
30 ans plus tard et sur la tombe du grand souverainiste, et humaniste, Yvon Bourges peut-on enfin s'interroger sur la pertinence des choix effectués en faveur du Famas et du Rafale, cités élogieusement plus haut ? Je me le demande.
Et, s'agissant de la défense nationale la question posée consiste à savoir aujourd'hui aussi, c'est-à-dire, à 10 ans, 20 ans, 30 ans de distance qui a pesé le plus dans la balance des décisions. La préférence est-elle venue de l'État-major, des préoccupations de Défense – ou bien, plus tristement, a-t-elle été imposée à l'Armée par les intérêts militaro-industriels, c'est-à-dire par ce qu'on appelait autrefois les "marchands de canon" ?
Commençons par le "Famas". Ce sigle désigne le fusil d'assaut fabriqué par la bonne vieille Manufacture d'arme et cycles de Saint-Étienne. Sa brillante gestion par une municipalité communiste conduisit cette entreprise à déposer le bilan en 1986, après une gestion Bernard Tapie acquéreur du groupe en 1980. Elle est depuis réapparue et fabrique le fusil.
La liste des pays utilisateurs de cette arme vaut le détour. Le Tchad, la république de Djibouti et le Sénégal peuvent certainement dire merci à la France. Les acheteurs véritables s'appellent l'émirat du Koweït, les Philippines et les Émirats arabes unis : voilà un palmarès un peu mince à l'exportation et certainement injuste pour une arme de conception aussi remarquable. Car il s'agit bien sûr du "meilleur fusil du monde". Ne parlons même plus ici de patriotisme "économique": tout autre discours passerait pour antinational.
Le Rafale aussi doit être tenu pour le "meilleur avion du monde".
M. Serge Dassault l'affirmait encore, en toute ingénuité et sans contredit, sur France 3 à l'émission de Marie Drucker ce 25 février 2009. Il recevait à ce sujet le soutien moral de l'historien souverainiste et romancier Max Gallo : aucune raison d'en douter. Très sottement, depuis 30 ans que le programme a été "décidé", les éventuels acheteurs étrangers tardent encore à se décider eux-mêmes. Et on apprenait encore le 16 avril que l'Inde renonçait à l'acheter.
Le verdict du ministère indien de la Défense semble ici sans appel :
"Le Rafale n'a pas rempli les conditions habituelles. Dassault ne peut pas soumettre de nouvelles propositions ou offrir des alternatives pour l'évaluation technique. L'entreprise est hors jeu de manière permanente."Il s'agit là certainement d'une affreuse conspiration contre nos gentils avionneurs, que le monde nous envie.
Et le ministre actuel de la Défense se contente de dire, platement, que le Rafale serait un avion "difficile à vendre" ! De mauvais esprits murmurent que son coût d'acquisition se révélerait beaucoup plus élevé que celui des concurrents, le Typhoon du consortium européen Eurofighter, F/A-18E/F Super-Hornet de l'Américain Boeing, ou, depuis peu, le nouveau Gripen suédois de Saab, qui ose voler dans les airs et trouver des acheteurs. Oh l'horrible raisonnement matérialiste !
Ah si Bourges était encore là ! Ah si on écoutait un peu plus les sages conseils [désintéressés] du général Gallois ! Ah si le très populaire M. de Villepin pouvait balayer le vilain usurpateur qui a osé se substituer en 2007 au seul successeur légitime, avec M. Juppé, de Jacques Chirac !
Avec lui, pour sûr, on aurait contraint les méchants Indiens à se procurer le meilleur avion du monde.
JG Malliarakis
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Bonjour, je réagis.... également fils de colonel d'aviation, j'ai été intéressé très tôt à l'armée du vent. Il suffit de lire les écrits de Mermoz des années 30 pour savoir que l'industrie volante française était déjà pleine de bâtons dans les pales, coupée dans ses élans par les industries étrangères, et les compromissions internes. Puis Saint-Exupéry, dont les mitrailleuses gelaient à 10.000 mètres et qui faisaient fondre les effectifs comme "neige au soleil". Puis aussi les moteurs en 39-40, (le Morane 501 était surclassé par le Messershmitt Bf109) dont la qualité fut ralentie pour cause de guerre, retard dur à rattraper. Puis Juin 61, avec le Bréguet deux-ponts, le plus gros porteur de son temps, équipant notamment le groupe du Sahara, et Air France) dont les moteurs étaient poussifs (dixit pater meus) et qui furent remplacés par des Pratt&Withney... ceci dit le Famas fait mouche à mille mètres.
Alors?
Rédigé par : minvielle | mercredi 22 avr 2009 à 11:01
Le FAMAS a été développé en perruque par des techniciens de la MAS quand il s'est dit que le ministère projetait d'acquérir des FAL belges !
Quant au Rafale, le marché donne la réponse, comme pour le Leclerc d'ailleurs.
Hélas pour notre industrie.
Rédigé par : Catoneo | mercredi 22 avr 2009 à 12:03
Cela mériterait une étude comparative des armes sur le marché mondial. Pour l'Inde, USA et Russie doivent avoir quelques arguments extra-techniques.
Propositions pour améliorer la situation ?
Petite réponse :
Voila une merveilleuse introduction à un prochain article.
En attendant la lecture "de base" [quoique ce soit un gros livre] pour répondre à votre question est "l'Action humaine" de Von Mises. (à suivre donc)
Rédigé par : incredule | jeudi 23 avr 2009 à 09:05