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Puis-je avouer, aujourd'hui, mon scepticisme quand certains nous parlent de refonder le capitalisme ?
Tout d'abord, on doit remarquer que ce mot de combat, peut s'entendre dans des sens extrêmement différents. Beau de Loménie par exemple, historien critique des dynasties bourgeoises, lui préférait l'expression de gros argent. D'autres termes s'imposent de préférence, et celui qu'envisagent nos improbables "refondateurs" n'est généralement pas défini par ceux qui l'emploient. On a pu ironiser ainsi sur sa caractéristique "d'exploitation de l'homme par l'homme". On suppose en effet que le communisme représente l'inverse, c'est-à-dire la même chose.
Dans cette acception, mais également s'il s'agit de souligner, et de stigmatiser la mainmise des détenteurs du capital, et d'eux seulement, à l'exclusion même des consommateurs, sur les orientations de l'économie, la plus capitaliste de toutes les sociétés contemporaines a régné jusqu'en 1991 en Union Soviétique où l'appareil d'État s'était entièrement approprié les moyens de production et d'échange.
Si nous entendons, au contraire, chercher la racine de ce mode de production, elle se perd dans la nuit des temps. Nous pouvons observer, s'agissant de l'occident, son apparition historique à Venise et dans les villes de Flandres, au XIe siècle avec la mise au point, par ceux qu'on appelle des marchands, terme qu'il faut traduire par des entrepreneurs, de la comptabilité dite commerciale en partie double. Le cadre même de cette innovation, celui de cités essentiellement catholiques et corporatives, ruine entièrement la thèse fumeuse de Max Weber sur le rôle de l'éthique protestante, récusé d'ailleurs par tous les théologiens calvinistes. Ce mode de calcul permet en effet de rapporter un gain au pourcentage d'une valeur fixe ou amortissable de capital net, et non plus seulement à un flux de travail. Et cela ne semble guère pouvoir s'identifier à aucun phénomène religieux. Dans son livre fondamental sur l'islam, Henri Lammens décrit ainsi comment l'investissement spéculatif dans la grosse aventure caravanière était devenu une passion généralisée à La Mecque, avant l'hégire, aux VIe et VIIe siècle de notre ère. La société par actions fonctionnait parfaitement au siècle de Périclès à Athènes, etc.
Autrement dit le capitalisme, au sens véritable de ce mot repose sur des fondements immémoriaux. Il ne dérive pas seulement de la cupidité éventuelle des individus, mais avant tout sur l'appréciation du risque et sur la rémunération de l'initiative.
La crise mondiale et certainement durable actuelle part de la maîtrise insuffisante d'un secteur et un service particulier, dont on imaginerait assez mal de se passer entièrement dans le futur, et qui s'appelle la finance.
À l'âge de l'information, aucun des opérateurs ne s'est révélé à la hauteur des nouveaux instruments apparus dans cette profession. Aucun journaliste spécialisé, aucun commentateur agréé n'a su tenir compte des avertissements développés très nettement dès 2005, et même 2002, de diverses parts pertinentes quant aux dangers qui se sont effectivement manifestés. Aujourd'hui, tombant dans l'excès inverse, la machine devenue folle, est passée à une perte de confiance non moins irrationnelle, y compris dans de grandes entreprises pour la plupart très saines, et dans le monde entier.
Convenons qu'un certain nombre de manipulateurs des marchés, comme les célèbres Merryl Lynch ou Goldman Sachs, ou la banque mythique Lehman Brothers ont joué un rôle qu'on aimerait bien voir évaluer pénalement par les tribunaux. Faut-il l'espérer dans l'Amérique d'Obama ? Pour elle, certainement ; pour le reste du monde, aussi. Aucune confiance ne reviendra sans la punition des escrocs, sans la remise en cause aussi des agences de notation monopolistes, etc.
Le secteur financier doit être, à l'évidence, assaini, notamment par la responsabilisation de ses acteurs. On en passera même probablement par la nationalisation au moins provisoire de toutes celles des institutions bancaires ou assurancielles dont les actifs toxiques ont été titrisés et disséminés dans le monde. On réservera demain sans doute aussi le vrai métier de banquier à des maisons privées capables de drainer honnêtement et correctement l'épargne thésaurisée par les entreprises et les particuliers. (1)
À l'inverse aussi faudra-t-il renoncer à certaines brillantes réformes comme celle des normes comptables, des bonus excessifs des dirigeants et autres rémunérations par options d'achat de titres. On orientera les traideurs incompétents vers des activités utiles et hygiéniques quoiqu'astreignantes, comme l'agriculture et l'élevage, etc.
Mais en toute honnêteté je ne vois pas en quoi un tel programme réaliste et raisonnable, justifierait même complété et amendé, l'appellation langagièrement incertaine de refondation, et je préférerais entendre parler d'un retour aux sources.
JG Malliarakis
Notes
- Dans une conférence donnée à l'Institut Turgot le 3 mars Marc de Scitivaux, directeur des Cahiers Verts de l'économie, constatant que les banques vraiment privées n'ont pas commis de bêtises suggérait d'interdire cette activité aux sociétés cotées en Bourse et d'imposer qu'on revienne au statut de la commandite.
Je crois aussi que revient une exigence de risque personnel dans le secteur bancaire à laquelle on ne peut mieux répondre que par la "banque privée", la banque familiale qui risque sa peau, au lieu de quoi nous avons eu là et partout ailleurs que des super-employés qui sont restés jusqu'au bout des "employés" dans leur mental, et partent comme des crapules.
Mais ce qui me fait pouffer, c'est d'entendre ceux-là mêmes qui, infoutus de refonder l'Etat, se targuent de pouvoir refonder le capitalisme. Suivez mon regard rue du Faubourg ...
Rédigé par : Catoneo | mercredi 04 mar 2009 à 16:04
Bien qu'un peu hors sujet, je me permets de faire ici une analogie qui devrait, logiquement, faire réfléchir nos refondementalistes.
On reproche (à juste titre) à M. Madoff d'avoir payé des dividendes excessifs à ses premiers investisseurs, au moyen des fonds versés par les investisseurs suivants. C'est une pratique évidemment condamnable.
Mais si nous examinons le fonctionnement actuel de la retraite par répartition, si chère à une grande partie de nos concitoyens, ne peut-on pas dire qu'elle repose exactement sur le même principe ? En effet, on paye les retraites actuelles, dividendes des fonds placés par les anciens cotisants, avec les fonds versés par les cotisants actuels. La suite risque fort de conduire à une catastrophe tout à fait analogue au "scandale" Maloff.
N'y a-t-il pas, en effet, plus qu'une analogie, une similitude parfaite du principe ?
Alors, pour en revenir au fil de votre commentaire, au lieu de refonder le capitalisme, ne devrait-on pas, tout simplement, mettre en lumière des pratiques frauduleuses et les éradiquer... il y aurait d'autres surprises, j'en suis sûr.
Rédigé par : Pierre Allemand | vendredi 20 mar 2009 à 10:30
La retraite par répartition peut être viable à condition qu'on indexe l'age de départ à la retraite sur l'augmentation de la durée de vie, que le nombre de cotisants augmente et que les retraites soient gérées par des sociétés de fiducie responsale devant l'état,qui par ailleur garantit les retraites, de leur capitalisation à 100%. Si la capitalisation, pour cause de crise ou autres tombe en dessous de 80%, les cotisants c.a.d. les employeurs et dans les cas sévères, les employés ajoutent des fonds.
Malheureusement en France on diminue la durée du travail, on diminue l'age de la retraite et on emprumte pour recapitaliser.
Comment voulez vouz que ça marche?.
Rédigé par : Paul Tarjon | dimanche 22 mar 2009 à 23:14