Vous pouvez écouter l'enregistrement de cette chronique sur son lien permanent sur le site de Lumière 101.Les plus belles œuvres lyriques souffrent souvent de la niaiserie de leur argument. Ne parlons même pas du ballet. Citons par exemple les bons sentiments si peu crédibles de Tannhaüser. Pourtant supposé indéboulonnable, même le socle d'Alexandre Dumas cède, lui aussi, sous l'échafaudage romanesque improbable de La Traviata. L'aberrant moralisme bourgeois de Da Ponte pourrait entacher le Don Juan de Mozart. Et pourtant personne ne saurait remettre en cause ces admirables créations musicales. Bien qu'associées chacunes à de pauvres récits, elles ont traversé les siècles, à peine assombries par leur façade victorienne.
Au moins avec "Lady Macbeth de Mzensk", on ne saurait à aucun égard reprendre pareille critique. Pas de pudibonderie intempestive en cette demeure.
Créée en 1934 à Leningrad puis Moscou, elle fut représentée 200 fois en 2 ans dans les deux métropoles de l'Union soviétique.
Ah certes, de nos jours, on fera mine de prendre pour argent comptant l'éditorial de la Pravda du 28 janvier 1936. Il était intitulé :
"Le chaos remplace la musique" :
"L’auditeur de cet opéra se trouve d’emblée étourdi par un flot de sons intentionnellement discordants et confus […]
Il est difficile de suivre cette musique, il est impossible de la mémoriser […]
Cette musique est mise intentionnellement sens dessus dessous […]
Il s’agit d’un chaos gauchiste remplaçant une musique naturelle, humaine. La faculté qu’a la bonne musique de captiver les masses est sacrifiée sur l’autel des vains labeurs du formaliste petit-bourgeois […]
Ce Lady Macbeth est apprécié des publics bourgeois à l’étranger. Si le public bourgeois l’applaudit, n’est-ce pas parce que cet opéra est absolument apolitique et confus ? Parce qu’il flatte les goûts dénaturés des bourgeois par sa musique criarde, contorsionnée, neurasthénique ?"
Ce texte non signé émanait de toute évidence de Joseph Vissarionovitch en personne. L'avant-veille, le dictateur communiste, en compagnie de ses fidèles Jdanov et Mikoyan, avait assisté à une représentation de l'œuvre, désormais maudite.
Visiblement donc elle ne leur avait pas plu. Très probablement, à en suivre l'article, ils auraient préféré quelque valse de Strauss. Mieux encore ils auraient apprécié un festival d'accordéon, ou quelque chose que l'on retient aisément, un tube que l'on peut fredonner en déchirant des papiers peints.
Or, de nos jours, de cette mauvaise humeur du vieux terroriste, on tire argument pour ranger Chostakovitch dans le camp de la liberté.
Pas si vite quand même.
N'oublions jamais à cet égard la conclusion de l'obituarium ambigu du Monde en date du 7 mars 1953
: "Staline, répétons-le, avait réussi à réconcilier la Russie et la révolution. Seul pourrait dépasser sa réussite celui qui réconcilierait la révolution et la liberté."
Toute la galaxie trotskiste rode, omniprésente dans les arrières boutiques de la culture officielle. Or, elle voudrait nous faire oublier le rôle liberticide de Trostki. Avant même la montée en graine du secrétaire général du parti, le fondateur de l'Armée rouge avait contribué à construire le système répressif. Il l'avait fait de ses mains sanglantes, en collaboration avec l'ignoble Lénine. Oui je dis bien : l'ignoble Lénine. Que l'historiographie ait bâti un concept dérivé du surnom sidérurgique de Staline ne doit pas nous tromper. En ce sens, en effet il faudra bien admettre que le "stalinisme" a tiré de son anonymat bureaucratique le futur tyran. Au bolchevik caucasien Djougachvili, il a donné son vrai nom, et non l'inverse.
Or, Chostakovitch, même au plus fort de sa relative disgrâce, ne subit pratiquement rien de la terrible répression communiste des années 1930. À peine endura-t-il une simple visite du NKVD, sans aucune suite. Pendant le même temps, des dizaines, des centaines de milliers de chrétiens allaient endurer le martyre aux îles Solovki.
Bien plus, en 1960 notre artiste ira jusqu'à solliciter officiellement son admission au sein du parti communiste de l'Union soviétique.
En un demi-siècle de gloire, son seul acte restrictif vis-à-vis du régime aura consisté à signer en faveur de Sakharov. Or, rappelons aussi à propos de ce dernier, qu'il était demeuré fidèle au parti. Se moquant de lui, ses compagnons d'asile psychiatrique ne manquaient pas de bon sens. Ils lui disaient en effet :
"si tu es resté communiste, après ce qu'ils t'ont fait c'est que ta place se trouve bel et bien parmi nous".
Indiscutablement par conséquent Chostakovitch doit être tenu pour un fils très authentique et très fidèle, suprêmement talentueux, de la Révolution. À sa manière, l'article de la Pravda le reconnaît qui le qualifie de "gauchiste". À 70 ans de distance, nous pouvons mesurer ce que signifie cet adjectif supposé infamant. Donnons-lui un ancrage, politiquement compréhensible, je crois, par tout un chacun en France. Posons simplement la question : qui incarne désormais le communisme dans notre pays ? Mme Buffet ou le camarade Besancenot ?
Car il faut bien comprendre le caractère révolutionnaire de cette œuvre. Inutile à ce sujet de s'embourber dans l'analyse stérile du scénario. La plupart des critiques privilégient étrangement l'analyse de son récit.
Faut-il encore s'offusquer, par ailleurs, de la manière, très crue, dont l'opéra Bastille le traite ? On la reconnaîtra finalement fidèle à l'esprit d'ensemble. Moins scandaleuse et moins décalée, en tout état de cause, que toutes les mises en scène de Wagner. On trahit Tristan et Ysolde en réduisant leur amour à une affaire charnelle. On ne profane guère ni la "Katerinouchka" nymphomane ni ses compagnons d'ivresse en montrant leur grossièreté, leur ivrognerie, leur pornographie. De toute manière le génie de Chostakovitch n'en porte pas plus la responsabilité que Rossini ne doit être incriminé pour la transformation de son Barbier de Séville en une charmante turquerie la saison dernière.
Considérons d'abord et avant tout la musique. Fracassante, elle s'affirme au nom des pulsions chtoniennes que, pour ma part, je récuse. La très convaincante direction d'orchestre de Hartmut Haenchen paraît totalement en adéquation avec l'esprit de l'œuvre. Cela nous change de diverses prestations assez décevantes infligées ces derniers temps aux fidèles de l'opéra de Paris.
Voilà justement l'expression authentique du "chaos", bolchevik et prérévolutionnaire, comme celui d'un Donatien de Sade annonçant, par l'étalement de la sienne, l'immondice jacobine. On en retrouvera les maléfices et les sortilèges, horribles comme ce qu'ils décrivent, hurlants et brûlants, démoniaques et par conséquent désespérés. Ils racontent sans une seconde d'ennui ou de redite autant de péricopes d'un noir chef-d'œuvre. Les ailes pourpres de l'ange révolté ont certainement caressé le compositeur. Et d'envoûtants interludes permettent au spectateur suffoqué de reprendre son souffle entre chaque action.
Que Staline ne l'ait pas compris, ou plutôt qu'il ait trop bien mesuré l'anticipation métapolitique gênante de cette terrifiante et géniale furia ne change rien à l'affaire.
Oui, que le désordre de la terre et le nihilisme de l'Europe aient trouvé en Chostakovitch leur interprète avant-gardiste, voilà qui prouve son indiscutable part de génie. Cela ne doit faire aucun doute. On pourra, si l'on veut, qualifier de laideur ou d'horreur ce reflet de l'hyper modernité, certainement pas d'indifférence.
J'en demeure d'autant plus convaincu de la justesse de la prophétie bien connue de Dostoïevski : "la beauté sauvera le monde".
JG Malliarakis
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût… pour les Éditions du Trident
Vient de paraître
LA FIN DE L'EMPIRE D'OCCIDENT
Le Ve siècle, si oublié, si lointain, et cependant si proche du nôtre,
à tant d'égards, représente une période essentielle dans l'histoire de
l'Europe. L'effondrement de la partie occidentale de l'empire romain ne
s'y résume nullement en une simple “conquête barbare". De nombreux
facteurs entrent en ligne de compte et notamment la décomposition de la
société. Le parti pris des hommes des Lumières, relayé par celui des
historiens marxistes, a construit un certain nombre de mythes. Grand
spécialiste de la Gaule et de l'Antiquité tardive, Amédée Thierry
répond, non par l'Histoire idéologique, mais par des faits, sur la base
de sources solides, dans une langue claire.
Fascinante se révèle la survie de cet empire qui n'en finit pas de
mourir : "Les rouages administratifs continuèrent à fonctionner. Les
lois restèrent debout ; les coutumes séculaires ne furent point brisées
; enfin le vieil attirail des césars environna le mi-patrice sous les
lambris du palais de Ravenne. Odoacre eut un préfet du prétoire, un
maître des milices, un questeur pour préparer ses lois ou les rapporter
au sénat, etc." ••• 370 pages 25 euros ••• Pour commander ce livre •
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LE PÉRIL SOCIALISTE
par Vilfredo PARETO
préface de Georges Lane.
Vilfredo Pareto ne fut pas seulement le père de la sociologie moderne.
Ingénieur brillant, puis directeur des chemins de fers italiens, ses
écrits remarqués lui vaudront d'enseigner l'économie à Florence, puis
de succéder à Walras dans sa prestigieuse chaire de l'université de
Lausanne.
Dans ces écrits, il souligne, après la période romantique de
l'unification de l'Italie, combien les réseaux de pouvoirs
interviennent de plus en plus dans la banque, dans la "protection"
démagogique de l'industrie nationale, ayant pour effet de la détruire,
et de provoquer le marasme du pays. Et le socialisme d'État alimente le
“péril socialiste”. Sa formation technique et scientifique permet à
l’auteur de donner des preuves tangibles des faits qu'il analyse ainsi.
Or, les lois qu'ils dégage, et de son observation, et de sa
connaissance de la théorie économique, s'appliquent singulièrement à
l'Europe contemporaine et aux fausses solutions que les politiques
imaginent d'apporter aujourd'hui à la crise. ••• 426 pages 29 euros •••
Pour commander ce livre • par correspondance : ••• vous pouvez imprimer notre catalogue en pdf et un bon de commande
Ha..... un peu de musique légère dans cette cacophonie idéologique qui nous tambourine des vieux poncifs. La vieille Europe n'en peut mais de ces refrains trop assénés.. Mais dans cette COCOphonie de moins en moins larvée, Besancenotte s'infiltre, s'engage, s'immisce, car il y a plein de mesures vides dans la partition de notre opéra-bouffe-tout économicoco-pouvoirdarichadatesque... il a beau jeu de reprendre le "ton" glacial du Novo-club du grand soir... au Buffet campagnard se joint une note francophobique : Le sale Opéra! Heu, le salaud paiera (il s'agit bien sûr du Bourgeois, du patron, du mâle dominateur). Sacré Olive! Il me fera toujours marrer. Il a une grosse tête quand même.... PMS.
Rédigé par : pierre mInvielle | mardi 03 fév 2009 à 19:16