Vous pouvez écouter l'enregistrement de cette chronique sur son lien permanent sur le site de Lumière 101.Dans un entretien publié en date du 16 février par Der Spiegel, M. Martin Winterkorn, Président du Directoire de Volkswagen, mettait carrément et nominalement les pieds dans le plat :
"Transférer le protectionnisme de la politique agricole française au secteur de l'automobile, cela n'aidera personne : ni les salariés, ni les entreprises, ni les consommateurs."
De tels propos émanent du premier constructeur européen. Ils devraient inciter à réfléchir dans l'Hexagone, non sur la méchanceté ou la mauvaise volonté de nos cousins germains, mais sur l'intérêt bien compris de nos compatriotes, concitoyens et contribuables.
1. Considérations internationales
Il existe d'abord des raisons internationales de redouter la limitation administrative des échanges.
En cela, la réunion du G7 à Rome des 13 et 14 février a bel et bien confirmé certaines craintes à propos du retour à de telles tendances. L'Europe en avait connu d'analogues à la veille des deux grands conflits qui l'ont détruite au cours du XXe siècle. On peut même considérer, comme un facteur clef de la catastrophe effectivement survenue, la rivalité des puissances qui, dès les années 1900 à 1910, ont prétendu opposer les "exportations continentales", tributaires du transport terrestre, aux "empires maritimes".
Cause permanente des guerres intra-européennes du siècle écoulé, prétexte aux propagandes les plus malsaines, le protectionnisme est devenu un sujet de tensions intercontinentales.
À partir de la victoire de Deng Xiao-ping en 1978, la Chine a choisi l'économie de marché.
Elle évolue progressivement vers l'état de droit. Elle s'est transformée en principale sous-traitante de nos sociétés de consommation. Sa banque centrale détient désormais les plus énormes réserves de dollars, sans lesquels l'État fédéral américain éprouverait les plus grandes peines à financer son déficit.
Or, cet immense pays se trouverait asphyxié par toute restriction de la liberté commerciale.
De même, à une moindre mesure pour l'Inde, plus autocentrée, plus démocratique. Solennellement pour sa part, le gouvernement japonais, le 14 janvier, a qualifié cette hypothèse de "mal absolu".
2. Où conduit "l'État commercial fermé"
Il se trouve cependant, hélas, que de tels arguments, d'ordre mondial, ne sauraient convaincre ordinairement ni les amoureux de l'Utopie, ni les admirateurs de "l'État commercial fermé". Rappelons que sous ce titre, Fichte a modélisé dès 1800, un horrible projet dont les lecteurs découvriront avec effroi dans le texte le programme détaillé. Ce philosophe passe pour un grand esprit. Son mérite, dépassant le petit univers, combien décevant sans doute, des loges médiocres, et déjà rances, de son temps et de sa province, aurait consisté à proposer d'atteindre un "authentique idéal maçonnique", celui d'une "élite dont la mission serait de propager le modèle d'une organisation nouvelle de l'humanité". Je laisse aux francs-maçons, que je ne saurais représenter, le soin d'en réfuter eux-mêmes l'aberration, me contentant en tant que chrétien d'en relever la vieille illusion gnostique.
En fait son programme fut poursuivi à la fois par Staline et par Hitler. Le secrétaire général du parti bolchevik évince Trotski en 1926 au nom du "socialisme dans un seul pays". À partir de 1928 commence le premier plan quinquennal. Ce prototype programmait à la fois une industrialisation rapide et la liquidation massive du secteur privé de l'économie. Imprévu de Marx et Engels, il servira de modèle à des expériences redoutables. La plus récemment observée s'est déroulée entre 1975 et 1979 au Cambodge sous la dictature des communistes prochinois surnommés Khmers rouges. Mais on peut aussi trouver une affinité avec le régime totalitaire allemand dont la radicalisation économique se précisa avec l'élimination du fameux "magicien de la finance" Hjalmar Schacht en 1937. De manière beaucoup moins sanglante, mais tout aussi ravageuse, le système péroniste institué en Argentine à partir de 1943, jusqu'à son échec de 1955, développa des schémas du même ordre sous la houlette de son désastreux planificateur Miranda. Admirateur et compatriote de celui-ci, le ministre de l'industrie de Cuba, un certain Ernest Guevara (1), se révéla encore plus catastrophique et répressif puisqu'il théorisa et pratiqua l'interdiction totale du droit de grève pour les ouvriers. Il fait aujourd'hui figure de martyr pour tous les adorateurs du tropical-socialisme.
À l'inverse, à partir des années 1980, et même avec 20 ans d'avance pour la Corée du sud et Taïwan, tous les pays que l'on dit aujourd'hui émergents s'étaient émancipés de ce modèle implacable de la tiers-mondisation.
Faut-il n'y voir que des exceptions et des anecdotes ? Non. Car on peut dire aussi, de tous ces régimes dictatoriaux, qu'ils ont dégringolé la même pente : économie de plus en plus fermée, massacre des opposants, appauvrissement du peuple, destruction de la propriété privée et de l'initiative individuelle, encadrement corporatif de la production chapeauté par l'État, depuis le "stand" national-socialiste allemand jusqu'à "l'union professionnelle" marxiste-léniniste albanaise, interdisant toute notion de conflit social.
3. Mme Lagarde à la réunion du G7 à Rome
On ne peut donc que saluer l'orientation affichée, désormais, par les ministres des finances des grands pays industriels. N'oublions pas que, lors de la première formulation du plan de relance de Washington on avait projeté une clause "Buy American" universellement critiquée, et pour cela même, légitimement abandonnée par les États-Unis.
Les membres du "G7" se sont de la sorte "engagés à éviter des mesures protectionnistes qui ne feraient qu'exacerber le ralentissement économique, et à ne pas ériger de nouvelles barrières".
Mais écoutons, à l'inverse, l'aveu ou plutôt le système de défense de Mme Lagarde, ministre française de l'Économie. Si l'on devait en croire l'argumentaire, préparé pour cette élégante et séduisante juriste, par les services de Bercy, nos partenaires auraient admis que "quand on engage des fonds nationaux, il n'est pas totalement surprenant d'avoir en contrepartie des engagements nationaux". Paris envisage d'assortir des aides d'État de conditions d'emploi local. À l'entendre, tout le monde s'accorderait donc à n'y voir, qu'une sorte de bonne manière bien naturelle. D'ailleurs, dit-elle, "il n'y a pas eu de mise en accusation de tel ou tel plan, de tel ou tel pays. La France ne se sent pas spécialement visée par les critiques car ce plan n'est pas protectionniste". Christine Lagarde, s'affirme aussi "très sereine et en liaison étroite avec la Commission européenne sur le sujet. C'est un plan destiné à soutenir une industrie, qui est ouvert à tous les joueurs qui ont besoin de ce type de financement et qui n'est pas assorti de conditions de nature à entraîner un protectionnisme".
Regrettons seulement, que, développant son propos le 14 février, elle n'ait pas disposé des déclarations, publiées le surlendemain 16 février, du principal fabricant automobile du continent que nous citions plus haut.
Ce que déclare un ministre ou ce que pense un technocrate gagne le plus souvent à se voir confronté au point de vue des principaux intéressés, en l'occurrence les responsables d'entreprise.
4. La vraie question nationale de la protection économique.
Le problème central devient alors celui l'efficacité, positive ou négative, de la réglementation nationale. Nous ne doutons aucunement de son efficience puisqu'elle entraîne des conséquences : en revanche l'adéquation de ses résultats, par rapport aux objectifs qu'elle s'assigne, mérite d'être mesurée. Si nous pouvons nous permettre de renvoyer à l'aspect langagier de la question, là réside la différence, en français entre efficience et efficacité. Je n'y puis rien si l'ambiguïté du terme anglais "efficiency" en obscurcit l'intelligence.
Tel est le centre de la préoccupation de l'économiste Pareto, analyste magistral du "Péril socialiste" (2), montrant l'étroite imbrication entre les interventions d'État, les fausses solutions se voulant pratiques, et les erreurs théoriques ruineuses.
La contre-productivité des interventions, et de la protection, se révèle de manière éclatante. Signe de décadence et facteur de déclin, le protectionnisme, comme idéologie et comme politique concrète, va complètement à l'encontre des objectifs nationaux dont il se réclame.
Vilfredo Pareto avait commencé une brillante carrière de praticien de l'entreprise, en tant qu'ingénieur puis directeur des chemins de fers italiens. Puis ses articles d'économie révélèrent assez tôt en lui l'un des plus grands théoriciens de son temps. Successeur de Walras dans la chaire prestigieuse de l'université de Lausanne, son mérite consista donc à chercher la réponse à cette interrogation.
Dans une série d'études, il avait évalué les effets réels du renforcement de la protection. Car, précisons-le, tous les États produisent des réglementations, tous dressent certaines barrières, tarifaires ou non, qui entravent, plus ou moins, la libre circulation des biens et des capitaux. Le seul effet mesurable correspond soit à un renforcement, soit à une libéralisation.
Pareto s'est donc employé à le mesurer pour chaque secteur. Procédant de manière scientifique, il construisit l'outil statistique de l'observation, à partir des comptes et des bilans des entreprises, des banques, des chemins de fer, etc. Sa conclusion définitive, et non réfutée depuis lors, met en lumière à la fois le désastre industriel du tarif italien de 1887 et la crise de l'union monétaire dite latine en résultant.
Le parallèle avec l'Europe actuelle peut nous troubler. L'accord signé initialement entre la France, la Belgique, l'Italie, la Suisse et le Luxembourg en 1865, étendu à la Grèce en 1868, puis faisant tache d'huile sur une partie du continent devint explosif au bout de 20 années.
Aujourd'hui l'union monétaire instituant l'euro prend sa source dans les négociations de Maastricht de 1991, il y a 18 ans. Elle commence à donner des signes de craquement, notamment parce que cette année 6 pays sur 27 au sein de l'Union européenne ne respectent pas les critères de déficit. La zone euro, qui concerne 16 États, s'empêtre dans des contradictions inquiétantes sans que nos dirigeants n'avancent dans la direction affichée à Maastricht qui tendait à l'unification politique du continent.
Or, la description très vivante, et même pittoresque que Pareto apporte de la situation italienne au lendemain du processus d'unification de la Péninsule a même quelque chose de poignant.
Qu'on me pardonne alors le détour d'une parenthèse non fortuite. Quand on se reconnaît, tant soit peu, tributaire de la culture transalpine, de sa peinture, de sa musique ou de son architecture, on ne peut aujourd'hui encore que vibrer à l'hymne du Risorgimento "Fratelli d'Italia"… Et j'avoue pour ma part comprendre très difficilement qu'on puisse éprouver de la sympathie pour certaines tonalités du discours de la Ligue Nord. Mes affinités naturelles me portent vers les italianistes de la droite, Silvio Berlusconi et surtout Gianfranco Fini. Je tiens ce dernier pour l'un des rares espoirs de la politique européenne.
J'ignore, par ailleurs, si l'on peut toujours soutenir, en toutes circonstances, et à n'importe quel prix, que "de toutes les libertés humaines la plus précise est l'indépendance de la Patrie". L'auteur de ce bel apophtegme a lui-même consacré un écrit au titre "Le Patriotisme ne doit pas tuer la patrie".
Mais s'agissant de l'Italie, on ne pouvait au XIXe siècle se satisfaire sentimentalement de la cantonner à une simple "expression géographique".
Or, très justement, Pareto souligne les limites que l'unitarisme italien n'eût jamais dû franchir. En cela, il répond en termes très actuels à la question. L'intervention industrielle des États montre de manière chiffrée ses conséquences polluantes. Dans le sud de la Péninsule, elle a encouragé les pouvoirs mafieux, provoqué la paupérisation et l'émigration, dès lors que le vertueux petit royaume piémontais se fût transmué en gros État subventionneur.
Le travail économique inégalé de Pareto, jamais démenti, et dont il faut avoir le courage de se proclamer les disciples établit le lien logique très fort, inéluctable, entre : - l'intervention économique des États ; - le renforcement des barrières douanières ; - la corruption des réseaux de pouvoir ; - et, à terme, le développement de l'idéologie socialiste proprement dite.
Le vrai péril socialiste résulte donc d'abord de la pratique protectionniste, avant de déboucher en raison de l'imbrication des forces idéologiques et militantes, sur l'Utopie elle-même. Il remarque à quel point les "hommes concrets", ceux qu'aujourd'hui nous voyons prendre des décisions, paradant sur le devant de la scène, avancent en fait, sans peut-être se l'avouer à eux-mêmes, des "solutions" globalement socialistes, et par conséquent destructrices.
JG Malliarakis
Notes
- Je renvoie à ce sujet à ma petite chronique de 2007 sur Lumière 101, où mon italianisme inguérissable m'amène à prononcer incorrectement le nom de famille du "cheu", ce dont les hispanisants voudront bien m'excuser.
Vilfredo Pareto ne fut pas seulement le père de la sociologie moderne. Dans ces écrits, il souligne, combien les réseaux de pouvoirs interviennent de plus en plus dans la banque, dans la "protection" démagogique de l'industrie nationale, avec pour effet de la détruire, et de provoquer le marasme du pays. Ce "socialisme d'État" alimente le “péril socialiste”. Sa formation technique et scientifique permet à l’auteur de donner des preuves tangibles des faits qu'il analyse ainsi.
Or, les lois qu'il dégage, et de son observation, et de sa connaissance de la théorie économique, s'appliquent singulièrement à l'Europe contemporaine et aux fausses solutions que les politiques imaginent d'apporter aujourd'hui à la crise. "Le Péril socialiste". Un livre de 426 pages 29 euros port gratuit à commander par correspondance aux Éditions du Trident, 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris.
Le catalogue février-mars des Éditions du Trident 2009 vient de paraître on peut le télécharger et l'imprimer.
Bonjour,
L'abandon du communisme cité, ne saurait justifier la non ingérence de l'état dans l'économie d'un pays.
La crise de 1929, celle d'aujourd'hui, celle antérieure que Jack London pressentait dans "Le talon de fer" pourraient condamner aussi sûrement le libéralisme.
"On juge l'arbre à ses fruits".
L'arbre ce sont nos modèles de société. J' depasserais le cadre du commentaire.
Rédigé par : Gaudin | vendredi 20 fév 2009 à 14:50
A la réflexion, oui le protectionisme est bien le principal responsable des malheurs de l'Europe, même si je pense que la politique existe, et que sûrement ... " une main cachée dirige ".
Le protectionnisme est cette cause profonde, une arme de Satan. Il a été et hélas il redevient LA source essentielle des malheurs des Européens.
En nous rappelant cela et en nous le démontrant, Jean Gilles Malliarakis vous êtes cet homme libre jamais figé dans des attitudes que pourraient pourtant vous inspirer votre expérience et vos connaissances.
Vous restez toujours fidèle à ce credo : liberté individuelle, responsabilité professionnelle, et propriété familiale. C'est cela, être un " Insolent " ; pour notre bonheur et notre espoir, 24 heures par 24. Merci.
Rédigé par : Sparte | mardi 24 fév 2009 à 09:02
Je trouve aberrants certains commentaires publiés ici. Je suis moi-même militant chrétien et engagé politiquement. Il est évident que le libre-échangisme mondial, par la concurrence étrangère et les délocalisations d'entreprises qu'il entraîne, détruit notre économie et nos emplois. Il n'y a qu'à constater l'état dans lequel se trouve notre secteur industriel pour s'en rendre compte. Or une économie forte est une économie diversifiée et non spécialisée et pour cela elle doit se protéger. Une protection douanière n'empêche pas les échanges commerciaux. Il ne faut pas confondre protectionnisme et autarcie... D'autre part, comment peut-on se prétendre chrétien et défendre l'ultra-libéralisme économique et le libre-échange intégral qui en est issu ? Le seul système économique viable et valable est celui d'un capitalisme social ou l'Etat à un rôle régulateur et protecteur.
Rédigé par : L'indépendant | dimanche 20 sep 2009 à 14:13
Lorsqu’une méthode, un système, une théorie font la preuve de leur inefficacité, voire de leur profonde nocivité, on en change, dans l’intérêt général. Sauf en économie. Alors même que croule l’édifice inégalitaire et anarchique du libre-échangisme, chacun peut en effet constater que les voix des tenants de l’immobilisme se font plus fortes pour dénoncer un « danger » du protectionnisme, lequel revient bien entendu « de manière rampante », porteur de « xénophobie », de « fermeture », « d’archaïsmes », et annonciateur des « pires tentations ». A croire que les experts intelligents qui monopolisent les écrans, éditoriaux et tribunes parlent de la bête du Gévaudan ou du Yéti, et non d’une pratique économique permettant aux Etats d’intervenir pour protéger leurs entreprises et favoriser leurs produits, en utilisant de manière conjoncturelle des systèmes de compensation et de rééquilibrage vis-à-vis de pays pratiquant un dumping commercial et social permanent. On aimerait que ces mêmes défenseurs de la dérégulation mondialisée emploient leur talent et leur souffle à nous expliquer les raisons profondes de la crise qui nous occupe (celle du libéralisme), plutôt qu’à nous dépeindre avec force adjectifs l’horreur d’une crise qui n’existe pas (celle du protectionnisme à tous crins). Hélas, faire des procès d’intention est plus facile que de faire son autocritique. Ils continuent donc à nous expliquer que le protectionnisme, ce n’est « pas bien », comme ils nous expliquaient hier que le sens de l’Histoire consistait à ressembler au Royaume-Uni, à privatiser les services publics, à choisir la retraite par capitalisation, à investir son épargne en actions, à s’endetter sur fond de hausse continue des prix de l’immobilier, etc. Des recettes dont nous pouvons aujourd’hui constater à loisir la merveilleuse pertinence et les effets bénéfiques.
Il faut repartir des fondamentaux. Dans le cas particulier du libre-échange, concrètement, l’erreur de base est de postuler un échange sans barrières ni régulation entre partenaires économiques alors que ces derniers sont non équivalents. La réciprocité est en effet la condition indispensable pour que le libre-échangisme fonctionne. Dans le meilleur des mondes, chaque pays devrait avoir le même niveau de salaire moyen, de transparence financière, de lutte contre la corruption, de respect de la propriété intellectuelle, de droits sociaux, de normes environnementales. Cela n’est évidemment pas le cas. Et c’est même fatal, car la mondialisation libérale enjoint aux différents pays de justement se « spécialiser » dans un domaine particulier pour exporter (théorie des avantages comparatifs) : mes avions contre tes chaussures produites à bas coût. C’est ainsi, au prix de salaires ridicules et de paysans exploités dans des usines construites à la va-vite, que l’on devient « l’atelier du monde ». Cette course à la spécialisation exportatrice amène les pays les moins regardants sur les conditions de production à profiter de leurs « avantages » (dans la mondialisation heureuse, le travail des enfants est un « avantage ») pour s’imposer dans un système qui tend vers l’écrasement des coûts de production, sans égards pour les destructions industrielles engendrées dans les systèmes économiques plus matures et aux salaires plus rigides à la baisse. Pour faire oublier ces réalités, les gouvernements des pays industrialisés (ou plutôt anciennement industrialisés) ont réduit chez eux la part des salaires dans la valeur ajoutée au profit de l’actionnariat, pour maintenir les profits de leurs entreprises, et éviter des délocalisations fleuves et un siphonage trop rapide de l’appareil productif. Mais cela ne pouvait suffire : grâce à l’endettement et au crédit facile, on a dans le même temps incité les citoyens des pays « riches » en voie de désindustrialisation à consommer les résultats de la division mondialisée du travail, c’est-à-dire le flot des produits bon marché importés des pays « émergents ». Papa est au chômage parce que l’usine du Valenciennois où avaient travaillé son père et son grand-père est partie à Shanghaï ? Pas grave ! La banque lui fait crédit sans restriction, on pourra quand même acheter l’écran plat et les jouets de la petite… Sauf que l’endettement des ménages a une limite, et que le cycle de l’économie virtuelle a fini par s’effondrer, minée par son accumulation de faux-semblants et ses folies (titrisation de la dette des ménages américains fragiles et dissémination anonyme de ces bombes à retardement dans les bilans des banques du monde entier). 2009 n’est que le début d’une longue épreuve de remise à plat des mensonges engendrés par une course aux profits obscène, réalisée aux dépens des citoyens et de l’avenir de nos enfants.
Parce qu’il a promu la spécialisation productive tournée vers l’exportation dans un contexte commercial inégalitaire où les mêmes règles ne s’appliquent pas à tous, le principe même du libre-échange est bien à la base de la crise actuelle. On a souvent dit, à la suite de l’économiste Schumpeter, que le capitalisme fonctionnait sur une logique vertueuse de destruction créatrice (les emplois dépassés sont détruits pour que d’autres emplois innovants et créateurs de valeur apparaissent, en un cycle sans fin). Sauf que ce cycle n’est pas infini, on s’en aperçoit aujourd’hui. A partir du moment où, dans les pays « avancés », le capitalisme, tel un Moloch, a détruit tout outil industriel concret au profit de chimères soi-disant à haute valeur ajoutée comme la « finance globale » ou « l’entreprise sans usines », le processus n’est plus celui d’une destruction créatrice, mais celui d’une création destructrice. On ne produit plus rien, sauf des mots, du vent, du charabia pour managers globaux. Foin de l’économie de la connaissance : à force de délocaliser le réel sous prétexte d’optimisation des coûts, on finit en réalité par créer du néant. Et du chômage.
Le protectionnisme propose quant à lui, dans la gigantesque partie de poker menteur qu’est devenue la mondialisation, de mettre en place un système d’écluses tarifaires, de manière à restaurer une certaine équité dans les termes de l’échange. C’est tout ? Eh oui, c’est tout. Il ne s’agit pas, comme certains « experts » démonétisés le clament, de déclencher la troisième guerre mondiale. Ce qui retient encore un peu le tissu des usines en Europe (on observe des phénomènes de relocalisation dans certains cas), c’est la différence de productivité avec les pays émergents. Elle ne durera pourtant pas toujours. Pour sauver ce qui peut l’être, il faut restaurer en Europe un modèle productif en prise avec l’économie réelle, en prenant conscience que la croissance n’est pas infinie, sur une planète aux ressources finies. Cela nécessite une révolution des modes de pensée, et la fin de l’économie de casino. Pour que cette révolution ait lieu à temps pour enrayer la spirale de crise que nous vivons, le protectionnisme est bien une solution adaptée. Transitoire, peut-être. A articuler avec une refonte fiscale, industrielle, financière, comme le précise l’économiste Jacques Sapir. Mais cette étape est la seule réponse possible aux fondamentaux viciés du système global que l’idéologie ultralibérale anglo-saxonne a réussi à imposer ces vingt dernières années au détriment des peuples.
Rédigé par : Patrice | samedi 31 oct 2009 à 12:39