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À les observer froidement, du regard de l'économiste, les véritables questions concrètes et matérielles qui se posent à l'outremer français ne présentent guère de mystère. Les entraves douanières héritées du mercantilisme, y compris l'invraisemblable octroi de mer, les monopoles de la distribution, les avantages de fonctionnaires venus de métropole, l'aspiration des élites et des plus actifs insulaires par la région parisienne, rien de tout cela ne saurait se résoudre dans le carcan actuel du système de l'Hexagone. Les solutions possibles n'existent pas dans le statut départemental en vigueur. Les liens affectifs et culturels entre la France et ses dernières possessions lointaines, issues du défunt empire, ne seront sauvés qu'au prix de la suppression des archaïsmes administratifs centralisateurs. En termes crus, on désigne en général cela, éventuellement, par le terme d'indépendance, et très certainement au moins d'autonomie. Et cela peut s'accompagner de l'attribution d'un siège à l'ONU, l'adoption d'un hymne national, l'édition d'un passeport et, naguère encore l'existence d'une compagnie aérienne. Ce dernier attribut s'est trouvé démonétisé. On lui a substitué le suffixe internet. Nous disposerions alors d'ambassades supplémentaires comme il en existe à la Jamaïque ou au Vanuatu : les fonctionnaires méritants du quai d'Orsay en fin de carrière ne pourraient que se féliciter d'une pareille perspective. J'écris bien sûr au conditionnel. Je rêve éveillé. Et nous n'en aimerons pas moins l'interprétation de "nos ancêtres les Gaulois" par Henri Salvador.
Reconnaissons quand même au gouvernement de M. François Fillon un mérite dans cette affaire. Il a cherché généreusement à concilier l'inconciliable, à multiplier sagement les cautères sur les jambes de bois, à espérer, pendant un mois de paralysie, que la lassitude viendrait à bout de l'émeute rampante et grandissante. Les syndicats et les représentants nominaux du patronat ont joué leur partition habituelle, à la perfection. Dans ce jeu de rôle, chacun doit donner l'impression qu'il demeure corseté dans des principes contradictoires, dont la plupart des commensaux n'ont que faire. Chacun fait mine de renvoyer l'interlocuteur à des responsabilités dont personne ne lui demandera jamais compte.
Tous ces grands hommes, dont certains appartiennent à ce qu'on appelait autrefois le beau sexe, se taisent maintenant devant le drame : un militant local de la CGT est mort, tué, par balles le 18 février, probablement par des gauchistes, ou bien par des voyous, puisqu'on nous assure que la différence existe.
Comme la victime appartient à la gauche, Mme Royal et MM. Besancenot et Bové (José a osé) sont venus dans l'île endeuillée, qui ne leur demandait rien, ce 22 février aux fins, disent-ils, de lui rendre hommage. Cette récupération éhontée ne leur inspire aucune gêne : elle constitue au contraire le couronnement de leur démarche.
Elle fait partie de leur métier. Jules Monnerot, lui-même natif de la Martinique avant même de se révéler un des sociologues majeurs du XXe siècle, avait consacré à "la Poésie moderne et le sacré", publié en 1945, un livre décisif sur le rapport entre la sensibilité et l'Histoire de la condition humaine. C'est à partir de cette base qu'il soulignera ultérieurement, à quel point l'entreprise de la révolution communiste mondiale mobilisait à son profit exclusif le registre de l'émotionnel.
Ceci se révélait capital à l'époque où il publia la première édition de Sociologie du communisme, écrite au lendemain du coup de Prague de 1948, et sortie en 1949 chez Gallimard (*). De nos jours, bien entendu, d'autres forces, d'autres structures de conseil, de médiatisation, de manipulation, se sont emparés de pareils leviers.
Mais ils demeurent bien évidemment le ressort fondamental des rhétoriques, irrationnelles, de gauche.
Leur fonction consistera toujours à nous entraîner le plus loin possible de la solution concrète des vrais problèmes, à la Guadeloupe comme ailleurs. À notre époque, où le vu devient le vrai, le virtuel prend les commandes du cérébral. Le psychodrame antillais risque donc de coûter très cher. Mme Royal ose interpeller le pouvoir, issu d'élections où elle fut elle-même battue à plate couture, en clamant : "souvenons-nous de la révolution française" ? Qu'est-ce à dire Madame ? Sinon que la gravitude et l'imposturitude se sont emparées d'une gauche caviar dévaluée.
Mais au juste : qu'ont donc réalisé les socialistes concrètement pour les Antilles et l'Outremer français au gré de leurs règnes et ministères successifs et ruineux des trente dernières années ?<
JG Malliarakis
* La réédition de "Sociologie du communisme" par les Éditions du Trident m'a récemment valu une polémique incroyable, significative de l'ignorante goujaterie contemporaines.
De ce livre majeur, on veut me faire le reproche, comme s'il s'agissait d'un texte "extrémiste" donc "maudit", son auteur pourtant reconnu dans le monde entier, étant en France, mais en France seulement, dénoncé comme un affreux anticommuniste. La seule réponse possible figure en annexée du Tome III (Imperium mundi) sous forme de la lettre amicale que lui envoyait le général De Gaulle en 1949, et surtout dans la recension que fit la revue Esprit.
cf. "Les Religions séculières et l'Imperium mundi" troisième partie de Sociologie du communisme par Jules Monnerot a été publiée en tant que Tome III de la nouvelle édition. Un volume de 304 pages au prix de 20 euros port gratuit à commander par correspondance aux Éditions du Trident, 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris
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