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Ayant été de ceux qui, dès le départ ont osé remettre en cause le ridicule énoncé de la fin de l'Histoire formulé par Fukuyama, je me vois obligé d'évoquer et de, très partiellement, rendre hommage à un autre adversaire de cette thèse, l'universitaire américain Samuel Huntington, né en 1927, qui vient de rendre l'âme ce 24 décembre.
Mes réserves, philosophiques et, disons-le politiques, tiennent à plusieurs raisons.
Je citerai d'abord celle qui me frappait à l'époque, sur le concept même de civilisations décliné au pluriel. Car en ce sens, bien évidemment le dialogue entre les cultures doit être préféré au conflit.
Sa thèse étant apparue en 1996, et comme elle prétend distinguer "civilisation orthodoxe" et "civilisation occidentale" elle a prodigieusement agacé bon nombre de ceux qui se reconnaissent d'une manière ou d'une autre tributaire de la lumière de l'orient chrétien. Mais également à la même époque, elle heurtait de plein fouet ceux qui éprouvaient, depuis Paris, alors plus de sympathies pour "les Serbes" que pour "les Croates". Car les mêmes réprouvaient par dessus tout la politique nord-américaine et chiraquienne de soutien aux "musulmans" de Yougoslavie. Tout cela doit s'écrire avec beaucoup de guillemets, compte tenu du flou des concepts et de la multiplicité d'aspects du conflit. Je rappelle qu'à l'époque le général Gallois développait en direction de ce milieu la thèse d'un noyautage de la diplomatie des États-Unis par un groupe de pression islamiste. Je ne crois pas d'ailleurs que Samuel Huntington allait tellement dans ce sens.
Pourtant, s'il s'agit de dire qu'entre l'orthodoxie et les deux confessions qui se déchirent en occident depuis le XVIe siècle, il existe des différences fondamentales, quoique mal comprises, et que, d'autre part, l'on gagnera à les mettre au jour, y compris du point de vue de l'Unité des chrétiens, je partage, sans agressivité, cette conviction. Oui, de la théologie de saint Augustin dont se réclament les frères ennemis catholiques et protestants, d'une part, et celle des grands Cappadociens vulgarisée à la même époque par saint Jean Chrysostome, découlent des conséquences concrètes extraordinairement différentes, notamment quant à la liberté humaine que l'augustinisme politique a toujours bafouée. En ce sens un véritable orthodoxe se révèle politiquement un libéral, et un authentique augustinien quasi-instinctivement anti-libéral : si M. Huntington avait compris cela et si M. Poutine pouvait le découvrir le monde pourrait devenir différent.
On comprend immédiatement que l'enjeu des thèses universitaires de ce professeur de Harvard souffrent d'abord de leur instrumentalisation par les politiciens et les médiats.
À publier des ouvrages de grande diffusion un intellectuel américain appartenant à l'aile gauche du parti démocrate, s'engageant dans la campagne présidentielle de 1968 comme conseiller aux affaires étrangères de Hubert Humphrey, avant de devenir en 1977 conseiller pour la sécurité nationale du président Carter, s'expose à influencer les pires lecteurs.
Au moins lui-même déclarait-il avec discrétion : "Les événements donnent une certaine validité à mes théories. Je préférerais qu'il en aille autrement." (1)
Car ce que l'on retenu et ce qui a fait scandale parmi les 17 ouvrages auxquels il a collaboré et ses 90 articles scientifiques demeure bien évidemment The Clash of Civilizations, traduit en 39 langues (2).
Si on considère comme "huntingtoniens" les gens qui considèrent qu'en effet l'islamo-terrorisme menace non seulement "l'occident" (augustinien ou pas) mais également l'ensemble des "civilisés", y compris une bonne partie des peuples réputés musulmans, l'évidence me semble s'imposer depuis les attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center et le Pentagone. Rappelons d'ailleurs que l'islamo-terrorisme frappe avec délice et cruauté en Inde, mais aussi en Indonésie, en Turquie, en Egypte. La "stupéfiante interdépendance de notre époque", invoquée à l'encontre de la thèse du "choc" par M. Edward Saïd, ne me paraît en aucun cas la contredire.
Beaucoup de choses ont changé, à Washington et dans le monde non seulement depuis Carter, mais aussi depuis la publication du livre. Ce qui ne change pas, on devrait le savoir depuis Héraclite, s'appelle de toute manière le changement. Et ce qui n'a pas changé, sauf à empirer, me semble aussi la menace d'un écroulement général des fondations sur lesquelles reposent non seulement nos cultures particulières, mais la civilisation en général.
Alors l'étiquette "huntingtonienne" devient un lieu de bonne compagnie où se retrouvent tous ceux qui refusent de capituler et qui d'ailleurs ne la revendiquent pas.
"Huntingtonien" Moubarak? "Huntingtonien" Benoît XVI? "Huntingtonien" le Fatah qui désavoue le Hamas? "Huntingtonienne" l'armée turque? "Huntingtonien" le gouvernement de New Delhi issu du parti de Nehru? On pourrait en citer beaucoup d'autres! Par le jeu de clivages caricaturaux nous nous trouvons ainsi embrigadés dans les rangs des prétendus "huntingtoniens". Nous devons donc en tenir compte, à moins de désirer vraiment la victoire de la Barbarie et de l'obscurantisme.
JG Malliarakis
Notes
- Cité par Le Monde en ligne le 27 décembre à 18h55.
- en France chez Odile Jacob en 1997
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût… pour les Éditions du Trident
Vient de paraître
LA FIN DE L'EMPIRE D'OCCIDENT
Le Ve siècle, si oublié, si lointain, et cependant si proche du nôtre,
à tant d'égards, représente une période essentielle dans l'histoire de
l'Europe. L'effondrement de la partie occidentale de l'empire romain ne
s'y résume nullement en une simple “conquête barbare". De nombreux
facteurs entrent en ligne de compte et notamment la décomposition de la
société. Le parti pris des hommes des Lumières, relayé par celui des
historiens marxistes, a construit un certain nombre de mythes. Grand
spécialiste de la Gaule et de l'Antiquité tardive, Amédée Thierry
répond, non par l'Histoire idéologique, mais par des faits, sur la base
de sources solides, dans une langue claire.
Fascinante se révèle la survie de cet empire qui n'en finit pas de
mourir : "Les rouages administratifs continuèrent à fonctionner. Les
lois restèrent debout ; les coutumes séculaires ne furent point brisées
; enfin le vieil attirail des césars environna le mi-patrice sous les
lambris du palais de Ravenne. Odoacre eut un préfet du prétoire, un
maître des milices, un questeur pour préparer ses lois ou les rapporter
au sénat, etc." ••• 370 pages 25 euros ••• Pour commander ce livre •
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LE PÉRIL SOCIALISTE
par Vilfredo PARETO
préface de Georges Lane.
Vilfredo Pareto ne fut pas seulement le père de la sociologie moderne.
Ingénieur brillant, puis directeur des chemins de fers italiens, ses
écrits remarqués lui vaudront d'enseigner l'économie à Florence, puis
de succéder à Walras dans sa prestigieuse chaire de l'université de
Lausanne.
Dans ces écrits, il souligne, après la période romantique de
l'unification de l'Italie, combien les réseaux de pouvoirs
interviennent de plus en plus dans la banque, dans la "protection"
démagogique de l'industrie nationale, ayant pour effet de la détruire,
et de provoquer le marasme du pays. Et le socialisme d'État alimente le
“péril socialiste”. Sa formation technique et scientifique permet à
l’auteur de donner des preuves tangibles des faits qu'il analyse ainsi.
Or, les lois qu'ils dégage, et de son observation, et de sa
connaissance de la théorie économique, s'appliquent singulièrement à
l'Europe contemporaine et aux fausses solutions que les politiques
imaginent d'apporter aujourd'hui à la crise. ••• 426 pages 29 euros •••
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