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Pas plus que la transformation du KGB en FSB n'a entièrement supprimé le passé de la Loubianka, la récente absorption des RG n'a liquidé la tradition de plus de 200 ans de basse police en France.
Oh certes l'odeur de sang ne poursuit pas cette organisation de l'Hexagone, comme celle qui persiste à Moscou.
On ne reprochera donc guère à cette nuisance républicaine que le parfum de la fange.
Dans les années 1890, prétextant la virulence des nombreuses oppositions au régime, tant royalistes que bonapartistes, boulangistes ou anarchistes, la IIIe république avait développé avec méthode et un certain sens de l'opportunité l'institution de la police politique. En 1904 l'interpellation du ministre de la Guerre le général André par le député Guyot de Villeneuve déclenche un scandale sans précédent : 25 000 fiches consacrées aux convictions religieuses des officiers français avaient été sous-traitées par une organisation pseudo-philosophique et sectaire privée. En 1911, Aristide Briand, puis Ernest Monis puis Joseph Caillaux, se succèdent à la présidence du Conseil. En cette année exemplaire, le directeur de la Sûreté générale Célestin Hennion, crée alors sans encombre une brigade des Renseignements généraux. Le terme apparaît ainsi pour la première fois dans un organigramme policier. Mais le sigle s'assurera une nouvelle prospérité sous le Front Populaire. En 1937, on parle d'une Direction des services de renseignements généraux et de la police administrative. En 1938, la chose se voit élevée au rang d'une Inspection générale. Faute de moyens budgétaires, à en croire les tristes notices des technocrates contemporains, cette structure échoue. Mais ces nouvelles tentatives de centralisation attestent, en effet, la continuité des efforts entrepris sous ce régime pour mettre en place une police politique. On devra finalement au gouvernement de Vichy, comme pour bien d'autres choses, les fondements du système ayant perduré jusqu'à nos jours. Il repose en effet sur le texte législatif autoritaire du 23 avril 1941 créant un "service des Renseignements généraux". Dès novembre 1941, on en ramifiera l'activité par des services régionaux des RG, eux-mêmes placés sous la coupe des intendants de police.
On ne peut, dès lors, que saluer la disparition de ce sigle nauséabond. Des raisons à la fois techniques et morales justifient de la sorte la migration des tâches inhérentes à la sûreté des citoyens vers un service unifié. Et les ex-RG feront désormais beaucoup moins de mal, fondus depuis juillet 2008 avec la DST, chargée du contre-espionnage, dans une Direction centrale du renseignement intérieur.
Mais ne sombrons pas dans un angélisme dérisoire. Ne rêvons pas que du jour au lendemain on pourra abolir des méthodes et des habitudes de pensée auxquelles de nombreux journalistes et magistrats se prêtent sans honte ni même simple réflexion. Sans éprouver la moindre sympathie pour M. Yves Bertrand on notera objectivement quand même l'étrangeté de la publication de ses carnets. Brouillons de notes disparates, ils auraient été saisis et mis sous scellés dans le cadre de l'affaire Clearstream. Ils ne peuvent donc, dans ce cas, avoir transité vers l'hebdomadaire "le Point", naturellement avide de vendre du papier, que de manière irrégulière. Or à ce jour on n'a pas entendu parler d'une quelconque plainte du parquet pour violation du secret de l'instruction. En dépit de textes répressifs théoriquement assez précis les innombrables télécopies adressées par certains télémagistrats aux journalistes dits d'investigation demeurent, il est vrai, habituellement impunis.
Se présentant à ce titre pour une victime, le fonctionnaire incriminé ne saurait passer pour un enfant de chœur. Tout dans le personnage, jusqu'à sa mine patibulaire de caricature, répugne, en fait, aux honnêtes gens. Ainsi d'après l'AFP du 17 octobre, "en poste à l'Inspection générale de l'administration depuis 2004, il sera en retraite le 1er janvier 2009. Mais depuis la révélation de ses carnets, il lui a été ordonné en haut lieu, selon une source policière, de ne plus mettre les pieds à l'IGA." Or, indique encore l'AFP son principal titre de gloire consisterait à avoir "ferraillé notamment contre l'ancien juge Éric Halphen, en charge dans les années 1990 de l'enquête sur les HLM de Paris. Bertrand a toujours surfé sur la vague s'assurant d'appuis puissants, relève ce proche. Il s'est ainsi attiré les soutiens de Jean-Pierre Chevènement, sous Jospin, du président Chirac pendant la deuxième cohabitation ou encore de Dominique de Villepin."
On conçoit naturellement que du cloaque chiraco-parisien dont il est issu, en liaison intellectuelle évidente avec le grand orient et une certaine clique prétendument "souverainiste", soient aussi sortis des réseaux de solidarité fraternelle, ou de chantages divers. Autour des anciens de la Chiraquie se maintient de la sorte un étrange réseau résiduel dont les jugements actuels se montrent aussi péremptoires qu'avait pu se révéler floue et incertaine la politique suivie pendant 20 ans par le ci-devant ambassadeur de Corrèze. À titre d'exemple notons que le lundi 18 août 2008, un moindre sire de ce sérail, le sinistre et grisâtre Henry de Lesquen, avait reçu cet invité de marque dans une émission. Cet énarque de seconde zone, n'ayant exercé lui-même que de peu glorieuses fonctions administratives aux finances de la municipalité (1984-1987) puis aux HLM de Paris (1987-1990), s'était adressé à l'ancien patron des RG auteur l'année précédente d'un livre de Mémoires paru en 2007, sous le titre élégant : "Je sais rien mais je dirai (presque) tout" comme s'il s'agissait d'un puits de vérité (1).
Car enfin ne dissimulons pas ce dont il s'agit.
Lionel Jospin, sachant de quoi il parle, en fait dans Le Point du 16 octobre une description assez éloquente : "Constamment protégé par le président de la République Jacques Chirac de 1995 à 2007, Yves Bertrand était un amateur de basse police". L'ancien chef du gouvernement de la dernière cohabitation, aujourd'hui retiré de la vie politique, s'interroge même sur un possible "scandale d'Etat". "Alors que j'étais Premier ministre (1997-2002), ajouta-t-il sur LCI, [Ÿves Bertrand] a, dans le vain espoir de me compromettre, fouillé dans ma vie, celle de ma famille, de mes amis et de membres de mon cabinet. Il apparaît clairement que ce haut fonctionnaire indélicat et nuisible a été maintenu en fonction et protégé par le président Jacques Chirac pendant douze ans."
De son côté son prédécesseur à Matignon, Édouard Balladur n'a pas hésité à préconiser sur Canal + : "Il faut tout faire pour mettre un point d'arrêt à un certain nombre de pratiques détestables et je dirais même méprisables".
Seul, Dominique de Villepin prend sa défense, ayant eu, semble-t-il, pas moins de 33 rendez-vous avec M. Yves Bertrand, de janvier 2001 à octobre 2002. Ceci nous ramène deux siècles en arrière, aux temps de Fouché.
Heureusement rapportée aux proportions de la médiocrité du règne, l'alliance manifeste des deux personnages et de leurs réseaux de basse police nous renvoie au fameux cauchemar bien réel de Chateaubriand en 1815 : "entre silencieusement le vice appuyé sur le bras du crime, M. de Talleyrand marchant soutenu par M. Fouché ; la vision infernale passe lentement devant moi".
Qu'une plainte pour dénonciation calomnieuse, de caractère rarissime en ce qu'elle vient du chef de l'Etat, soit "à l'étude" au parquet de Paris ne peut que renforcer le désir d'un assainissement. L'abcès doit être crevé. La magistrature syndiquée pourrait, certes, décider de la classer ou, au contraire, d'ouvrir une enquête préliminaire.
Le délit invoqué tombe sous le coup de l'article 226-10 du Code pénal.
Rappelons-en donc ici la partie législative qui ne saurait être qualifiée d'anecdotique :
La dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
La fausseté du fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu déclarant que la réalité du fait n'est pas établie ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée.
En tout autre cas, le tribunal saisi des poursuites contre le dénonciateur apprécie la pertinence des accusations portées par celui-ci.
De 1992 à 2004, en 12 ans, M. Bertrand a dirigé les Renseignements généraux. Il a survécu;, dans ce rôle névralgique, à la ronde de 8 ministres de l'Intérieur. Et pendant ces années ni les archives, ni les méthodes, ni les fonctionnaires n'ont vraiment alterné. La permanence de M. Bertrand, la diffusion des "blancs" et autres "rapports", aussi anonymement diffamatoires que bourrés d'erreurs, continueront d'intoxiquer hommes de l'État et gens de Médiats amateurs d'historiettes et d'informations de caniveau. En France il paraît qu'on n'attache pas d'importance aux coucheries éventuelles des grands de ce Monde et aux petits secrets de leurs existences : quelle hypocrisie ! Les RG n'ont jamais servi qu'à cela.
La police française et la communauté du renseignement disposent heureusement d'autres titres à mériter le respect. Espérons qu'à l'arrivée, une fois nettoyées et, si j'ose dire libérées du colportage de ces vains ragots, elles pourront se concentrer sur les vraies nuisances qui menacent les citoyens de ce pays. Rappelons que l'Europe, à frontières matériellement ouvertes, devra de plus en plus se préoccuper d'abord, mais non exclusivement des réseaux islamo terroristes.
Jusqu'ici la DST d'hier ou la DCRI d'aujourd'hui ne les combattent pas trop mal, avec des moyens modestes. Une brillante opération récente a permis à son actuel patron de recueillir lors du voyage présidentiel en Syrie des fichiers de Damas, fraternellement transmis par des frères arabes, jamais décevants quand il s'agit de régler leurs comptes.
Mais n'oublions pas non plus que le grand banditisme, la délinquance ordinaire et les différents réseaux de l'immigration illégale ou de la drogue permettront, eux aussi, pendant de longues années, à ces services de préserver leurs personnels du chômage sans qu'ils doivent se préoccuper de la vie privée nos chers politiciens.
JG Malliarakis
Notes
- Menée sans talent, cette émission semble avoir particulièrement déplu aux auditeurs, si j'en crois deux fils de discussion de cet indispensable Forum libéré. J'en profite pour recommander celui-ci à tous mes lecteurs qui s'intéressent au sujet, non parce que j'y interviens volontiers mais parce que je le trouve souvent désopilant, résolument incontrôlable, toujours vigilant et remarquablement documenté : cf. Le fil de l'émission et aussi
et aussi.
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût…… pour les Éditions du Trident
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