Vous pouvez écouter l'enregistrement de cette chronique sur son lien permanent sur le site de Lumière101.com
J'ai, pour ma part, découvert l'Europe centrale en 1966, à l'occasion des championnats d'Europe d'athlétisme à Budapest. Voilà un petit voyage que je n'oublierai jamais. À l'époque mon père habitait Rome. Et Prague ou Budapest géographiquement plus proches de nous que la Ville Éternelle, se trouvaient complètement coupées de l'ouest du continent. Winston Churchill en 1946 avait donné son nom au rideau de fer. On doit reconnaître d'ailleurs qu'il avait contribué à créer cette situation. Il l'avait paraphée lui-même au crayon bleu lors des négociations bilatérales anglo-soviétiques à Moscou en 1944 puis lors de la conférence interalliée de Yalta en 1945.
Villes magnifiques, parts non négociables de notre identité européenne. La capitale hongroise, des deux côtés du Danube portait encore les stigmates de la révolution de 1956, écrasée dans le sang par les chars soviétiques. La résistance au communisme de ce peuple noble, sans doute le plus romantique d'Europe, ne pouvait alors se manifester que par des signes discrets, malgré le quadrillage policier. Je ne puis effacer cependant un souvenir granitique. Cela se déroule dans l'enceinte du Nepstadion, le premier stade de 100 000 places construit en Europe. Les gradins, archicombles, accueillaient tous les supporteurs des différents pays de l'est. Lors de l'entrée de la délégation soviétique, ces 100 000 hommes et femmes présents, toutes nationalités européennes confondues, accueillirent d'un silence de glace les représentants de l'odieuse oppression. Pas le moindre murmure d'applaudissement. La mémoire de cet instant m'accompagnera jusqu'à mon dernier souffle je pense.
Toute défaite d'un athlète soviétique était saluée par les chants de liesse des Polonais. Au dernier jour, les autorités durent installer, dans un virage, des soldats en uniforme de l'armée d'occupation du Grand Frère, de manière à ce que quelques applaudissements encouragent enfin leurs athlètes.
Faute de Beethoven, faute de Rouget de Lisle, que je n'aime guère, j'avoue avoir ressenti une émotion certaine, et d'une certaine manière, partagé la leur en entendant par exemple nos cousins germains de l'est, dans l'air du soir chanter (juste) sur une certaine mélodie de Josef Haydn lors des victoires de leurs propres compatriotes de l'ouest.
Comment ne pas mettre en parallèle les indifférences parisiennes, et les contresens hexagonaux, et les erreurs dramatiques des dirigeants occidentaux, avec le bouillonnement des patries captives d'Europe centrale et orientale en ces années interminables de notre jeunesse.
En janvier prochain on devrait pouvoir commémorer, la protestation terrible de l'étudiant tchèque Jan Palach, suicidé par le feu en janvier 1969 à Prague.
J'espère donc sans trop y croire que toute l'Europe se joindra, pour l'honorer, à la mémoire nationale d'un pays qui présidera alors l'Union européenne.
En attendant je voudrais évoquer un autre geste, qui l'avait précédé. Il témoigne d'une solidarité effective des peuples de ce que nous appelons aujourd'hui la Nouvelle Europe, alors qu'elle représente peut-être la part la plus consciente de la grande tradition de notre continent. Il s'agit de celle que chantaient les filles de Souli en Épire : "Le poisson ne vit pas hors de l'eau, ni la rose sur le sable, ni le Grec sans liberté".
Voici ce que nous rappelle Radio Prague :
Il y a de cela 40 ans, un Polonais décidait de protester contre l’invasion de la Tchécoslovaquie en s’immolant…
[Le 8 septembre par Jaroslava Gissübelová à 14 h 16 UTC]
Quarante ans se sont écoulé ce lundi depuis la mort du Polonais Ryszard Siwiec, première personne qui s’est immolée, le 8 septembre 1968 à Varsovie, en protestation contre l’occupation de la Tchécoslovaquie. La police secrète communiste a dissimulé son geste. Un concert a été donné dimanche au Rodolphinum, en son hommage.
Le concert donné par l’Orchestre symphonique de la Radiodiffusion polonaise de Katowitz sous la baguette du jeune chef d’orchestre Lukasz Borowicz a été conçu à la fois comme une excuse pour la participation de 25 000 soldats de l’armée polonaise à l’occupation de la Tchécoslovaquie en 1968. Une douleur déchirante ainsi qu’un espoir retentissaient dans les œuvres choisies, dont La musique pour Prague 1968 de Karel Husa, et Eroica de Beethoven.
Une exposition installée devant la salle Rodolphinum rappelle le geste qui reste peu connu de Ryszard Siwiec : professeur, père de cinq enfants, âgé de 59 ans au moment de son acte. Ryszard Siwiec s’est immolé au Stade de la décennie, à Varsovie, en plein milieu d’un festival national pour célébrer la moisson, devant 100 000 spectateurs et des dirigeants politiques polonais. Quatre jours plus tard, le 12 septembre 1968, il est décédé de ses blessures.
À l’occasion du 40e anniversaire de l’événement, l’historien Petr Blazek de l’Institut d’études des régimes totalitaires, a sorti un livre intitulé : "Torche vivante au Stade de la décennie." Pour les documents, il a puisé dans les archives de l’Institut de la mémoire nationale de Varsovie, où hélas, pas plus que quelques dizaines de pages se sont sauvegardées :
Ryszard Siwiec s'est immolé au Stade de la décennie à Varsovie, Ryszard Siwiec s'est immolé au Stade de la décennie à Varsovie.
"Par exemple, la transcription du message de Siwiec enregistré sur un magnétophone caché, à l’hôpital, comme l’a fait aussi Jan Palach quelques mois plus tard, et ce document démontre clairement que la police secrète polonaise a voulu complètement étouffer son acte."
Selon la version officielle il s’agissait d’un geste de quelqu’un souffrant d’une maladie mentale. Seulement en 1991, un documentaire "Entend mon cri " du réalisateur polonais Maciej Drygas – a contribué à élucider le geste.
On écoute Petr Blazek :
"Ryszard Siwiec ne s’est pas immolé pendant le discours de Wladyslav Gomulka, premier secrétaire du Parti ouvrier unifié polonais, mais un instant après, au moment où les jeunes Polonais se sont mis à danser la Polonaise – leur danse nationale. C’est ainsi que son geste n’a pas été tout de suite compris comme un acte politique. Son incompréhension est due aussi au fait que Siwiec a été le premier Européen, du moins dans le bloc soviétique, qui ait eu recours à une forme de protestation aussi radicale. "
L’historien Blazek ne pense pas que son acte ait pu être un déclencheur pour Jan Palach, en janvier 1969 :
"Jan Palach ignorait ce qui s’était passé quelques mois auparavant, à Varsovie. Des parallèles entre les deux hommes sont pourtant nombreux : Palach et Siwiec avaient tous les deux un intérêt profond pour l’histoire de leur pays, les deux ont voulu réveiller les gens et les inciter, par une forme de protestation choquante, à une résistance contre l’occupation et le régime totalitaire."
L’un des fils de Ryszard Siwiec qui était présent dimanche au concert a remercié Vaclav Havel pour avoir été le premier homme politique à décerner, en 2001, une haute distinction à son père - l’ordre Tomas Garrigue Masaryk.
Aujourd'hui je vous propose donc une pensée pour ces héros de la Liberté du temps de la guerre froide, du temps de l'occupation soviétique de l'Europe centrale et orientale.
Nous espérons bien, en effet, ne plus revoir jamais ni le temps de la guerre froide, ni celui de l'oppression intra-européenne.
JG Malliarakis
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût… pour les Éditions du Trident
À propos des filles de Souli
Cet épisode célèbre de l'histoire de la Grèce moderne vaut le détour. Les filles de Souli, en Epire, préférèrent se jeter dans la mer plutôt que de tomber aux mains des Turcs. Sur les filles de Souli et sur les origines de la Guerre d'Indépendance grecque on doit consulter le livre irremplaçable de Francois Pouqueville : "Histoire de la Régénération de la Grèce, comprenant le précis des evénements depuis 1740 jusqu'en 1824"
La copie numérisée est téléchargeable sur Google Books (il coûte aujourd'hui entre 800 à 1300 euros sur Chapitre.com)
Voici le lien :
http://books.google.fr/books?id=kM8GAAAAQAAJ&printsec=titlepage&source=gbs_summary_r&cad=0#PPP9,M1.
Un bon article de Wikipedia est consacré au grand Normand François Pouqueville (1770-1838), médecin, diplomate, voyageur et écrivain philhellène français, membre de l'institut de France et membre de la commission des Sciences et des Arts ayant accompagné l'expédition d'Égypte de Bonaparte.
Voici le lien : http://fr.wikipedia.org/wiki/Francois_Pouqueville
Un tableaau romantique évoquant les femmes de Souli a été réalisé par le peintre hollandais Ary Scheffer, dont la maison fut foyer d'inspiration et cénacle romantique dans les années 1830, Il accueille aujourd'hui les souvenirs de l'artiste et de son amie et voisine, la romancière George Sand. Cet endroit, situé dans le quartier de la "nouvelle Athènes" est connu sous le nom de musée de la Vie romantique. [Hôtel Scheffer-Renan 16 rue Chaptal - 75009 Paris tél. : 01 55 31 95 67 fax. : 01 48 74 28 42]
Voici le lien du tableau des Souliotes :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Image:755px-The_Souliot_Women_1827.jpg
Rédigé par : Emile Koch | jeudi 25 sep 2008 à 08:39
Le lien que l'on peut faire , par rapport aux tragiques faits historiques qui ont meurtri la Tchécoslovaquie , déjà en 1948 , la RDA , en 1953 , la Hongrie , en 1956 , et de nouveau la Tchécoslovaquie , en 1968 , et la Pologne en 1980 , justement , avec la Colombie , d'une part , et , avec , malheureusement , la mort d'Alexandre Soljénitsyne , d'autre part , c'est que l'on peut supposer que Alvaro Uribe ait lu Soljénitsyne , Constantin Virgil Gheorgiu , dans le combat contre le totalitarisme communiste . Le fait est que la liberté est une dimension , si fragile , qu'il faut se battre sans cesse pour la conserver , en vue d'établir un certain humanisme .
Rédigé par : Philippe-Arnaud BRUGIER | vendredi 26 sep 2008 à 18:35