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Toute l'affaire semble commencer par un décret n° 2008-632, daté du 27 juin et publié au Journal officiel de la république française en date du 1er juillet. Ce texte porte théoriquement la signature du Premier ministre François Fillon. En réalité il émane du ministère de l'Intérieur lui-même.
Ce texte "porte création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Edvige" c'est-à-dire d'un fichier que "le ministre de l'intérieur est autorisé à mettre en œuvre".
Autorisé par qui ? "Au nom du Premier ministre" il semble bien que Mme Alliot-Marie s'est accordée elle-même ce nouveau pouvoir, au bénéfice de ses propres bureaux.
Ce fichier de police sera destiné à collecter des informations sur toute "personne physique ou morale ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui joue un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif", mais aussi sur toute personne à partir de 13 ans ou sur tout groupe ou organisation "susceptibles de porter atteinte à l'ordre public".
Dans le passé on avait soulevé divers projets considérés, en leur temps, comme scandaleux.
D'abord, dans les années 1970, sous Giscard d'Estaing, avec le mirage de l'informatisation, l'Insee, organisme statistique et non policier, avait conçu un fichier Safari se proposant de quadriller tous les Français.
L'alerte générale qui résulta de la connaissance d'une telle hypothèse donna naissance à la Commission nationale informatique et libertés.
On ne saurait dire d'ailleurs que le rôle de cet organisme corresponde vraiment à celui qu'ont pu imaginer ses inventeurs.
Aujourd'hui celle-ci présidée par M. Alex Türk, exprime ainsi, en ce 4 septembre, sur la page d'accueil de son site internet la qualité et la direction de sa préoccupation :
"Le temps des vacances est pour beaucoup d'entre nous celui de la liberté retrouvée. Comme Président de la CNIL et du groupe des CNIL européennes, je suis un vacancier préoccupé. Préoccupé par le fait que nos libertés sont remises en question par les nouvelles exigences américaines imposées aux voyageurs européens vers les États-Unis."Plus tard dans les années 1990 est venu le projet, réalisé dans les faits, mais non en droit, du recoupement des fichiers sociaux et fiscaux : ceci, appuyé par l'un des personnages les plus liberticides de l'époque, M. Brard ci-devant maire communiste de Montreuil avait rencontré l'hostilité légitime des syndicats, y compris de la CGT. Dans ce cas le prétexte invoqué est celui de la fraude fiscale.
On sait aussi d'autres préoccupations plus ou moins vagues et légitimes : "lutte contre les sectes", "blanchiment de l'argent noir", répression de la pédophilie, du terrorisme, etc. arguments contre lesquels il paraît toujours difficile de lutter puisque tout cela fait horreur aux bons citoyens.
Or si on compare le projet qui reflète l'attachante personnalité de Mme Michèle Alliot-Marie, à tous ses prédécesseurs, on se rend compte qu'il va beaucoup plus loin et qu'il fonctionnerait dans un propos essentiellement policier, sachant que, hélas, un fichier accessible à une corporation de 150 000 personnes peut sans trop de difficulté bénéficier à diverses autres institutions : pour ne donner qu'un exemple les compagnies d'assurances et les banques ne manquent pas de souhaiter un accès commode à la liste des citoyens séropositifs.
Cette objection nous a semblé suffisamment grave lors de la mise en place de la carte Vitale dont, en principe, les données seraient protégées, nous dit-on, affirmation vertueuse qui nous semble au fond assez risible dans la pratique.
La vraie question qui se pose ne porte pas sur le fichage, largement inéluctable, mais sur la centralisation, sur le regroupement des données et, en définitive, sur leur transmission à une administration quelle qu'elle soit.
Si par exemple la police établit un fichier du grand banditisme nous considérons qu'elle fait son métier. De même si une administration spécialisée recueille des informations sur les bandes de jeunes délinquants. De même si le fisc réétudie les valeurs locatives en matière d'impôt foncier, si l'assurance-maladie recueille des informations à caractère médical, si une banque cherche à connaître la solvabilité de ses emprunteurs.
En revanche, si n'importe quel bureau centralisateur accède librement aux données personnelles de citoyens, de contribuables sans qu'ils le sachent, le péril pour les libertés devient évident.
Or ce danger se trouve aggravé par la médiocrité de l'information.
On oublie toujours cet aspect, je me permettrai de le souligner. Un rapport des renseignements généraux se trouve en général parsemé d'erreurs, plus ou moins graves, plus ou moins ridicules, plus ou moins destinées à la diffamation. Sa provenance anonyme interdit tout recours.
D'une manière générale, d'ailleurs, toute liste se révèle approximative : déconnectée de sa source et des réserves que connaissent et doivent observer les spécialistes elle devient d'autant plus dangereuse.
Le projet Edvige donne, certes, à une opposition essoufflée une occasion de se regrouper. Raison de plus pour s'y opposer. En deux mois 700 associations, les centristes comme les socialistes, 91 585 signataires, d'après le Canard enchaîné du 3 septembre, ont déjà manifesté leur désir de l'enrayer. Le président du Modem a lancé le 1er septembre un mouvement de "refus républicain". Des recours seront déposés devant le Conseil d'Etat.
Il me semble de l'honneur de quiconque, de droite comme de gauche, se veut attaché aux libertés de s'opposer à ce fichage systématique technocratique, imbécile et centralisé des Français.
JG Malliarakis
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