Avant de m'absenter, tel un consommateur et un vacancier très ordinaire jusqu'au 1er septembre, je considérerais comme une lâcheté de ne pas dire ce que m'inspire de dégoût, la brutalité avec laquelle les fils d'apparatchiks communistes sont intervenus contre la très ancienne nation chrétienne de Géorgie.
On doit hélas se rendre à l'évidence. La Russie de Vladimir Vladimirovitch Poutine et de Dmitri Medvedev constitue, à nouveau, un danger pour l'Europe.
Faisons un parallèle historique avec les débuts la guerre froide. Nous ne pouvons plus nous contenter des illusions de Yalta (1945) ; nous attendons encore la doctrine Truman (1947) mais nous nous situons déjà entre le long télégramme de Kennan et les deux discours de Churchill à Fulton et Zürich (1946). Nous pouvons même anticiper l'éventuel prochain coup de Prague (1948) : il se prépare contre l'Ukraine. La fermeté et la solidarité occidentales peuvent enrayer cette pente, les concessions ne l'empêcheront pas mais au contraire l'accéléreraient.
Comme au bon vieux temps du soviétisme, où Brejnev frappa la Tchécoslovaquie en 1968 pour intimider la Roumanie, ce qui a été entrepris contre la "révolution des roses" accomplie à Tbilissi de décembre 2003 vise très précisément la "révolution orange" de l'année suivante à Kiev.
L'accord de cessez-le-feu négocié, ou plutôt avalisé à Moscou le 12 août par la présidence de l'Union européenne, équivaut à une capitulation pour la partie géorgienne. On nie sa souveraineté sur un territoire auquel la faillite de l'Union soviétique avait rendu son indépendance comme à l'ensemble des républiques de l'Empire.
De plus je constate que le ministre russe des Affaires étrangères ose revendiquer que ses dirigeants passent en jugement. Je cite l'agence Novosti du 12 août à 15 h 56 :
Le ministre russe des Affaires étrangères "Sergueï Lavrov a appelant le 12 août à la création d'un tribunal international chargé d'enquêter sur les crimes" commis par les autorités géorgiennes en Ossétie du Sud. Les crimes commis par le régime géorgien en Ossétie du Sud méritent d'être examinés par un tribunal international", a-t-il [osé] affirmer lors d'une conférence de presse à Moscou.
"Nous avons la Cour internationale de justice et la Cour européenne des droits de l'homme. D'après les informations dont je dispose, des ressortissants russes victimes de l'agression géorgienne envisagent de saisir l'une de ces instances", a-t-il déclaré [sans la moindre trace d'humour].
Autrement dit les démarches se voulant apaisantes de l'Europe constituent autant d'encouragement pour l'Ours.
Loin d'écarter le danger elles renforcent la tentation de multiplier les initiatives brutales de gens à peine sortis de la voyoucratie soviétique, et d'un État mal libéré des mafias.
On peut se demander pourquoi les dirigeants russes s'engouffrent de la sorte dans cette voie, aussi dangereuse pour eux et pour leur pays.
Après une longue relecture du dossier et des différents points de vue, et malgré toute la sympathie qu'inspire légitimement un jeune président comme Saakatchvili et un petit pays comme la Géorgie, confronté à un gros empire, il ne s'agit pas ici de prendre position entre deux nations, deux littératures, deux musiques, deux cultures.
Il s'agit de choisir entre la liberté des peuples et une oppression impérialiste.
Celle-ci défigure toute l'admiration que mérite, pour une part, l'Histoire de la Russie. Elle restitue l'horreur qu'au contraire inspire cette autre tradition annoncée par les opritchniki d'Ivan le Terrible au XVIe siècle et l'assassinat du métropolite saint Philippe de Moscou (1569), monstrueusement continuée par les crimes du bolchevisme contre l'âme russe au XXe siècle.
Quand on aime vraiment la France, on exècre la Saint-Barthélemy, la révocation de l'État de Nantes, la Terreur et l'héritage jacobins.
Certes, aussi, certains types d'arguments peuvent toujours se renvoyer comme des balles de ping-pong.
Dans cette affaire, de bons esprits faux affectent de chercher à savoir jusqu'où le gouvernement de Tbilissi a été ou non manipulé pour recouvrer le 8 août sa souveraineté sur un territoire séparatiste de 4 000 km2 et 70 000 habitants, tout cela dégageant de fortes odeurs de pétrole, à en croire la presse.
On se demandera en revanche jusqu'à quel point la Russie et son Premier ministre ont pris conscience de la contradiction entre leur attitude dans cette affaire et tout ce qu'ils ont développé autour de celle du Kossovo : comment prétendre s'opposer à toute révision de frontières dans les Balkans et la pratiquer ouvertement dans le Caucase.
Rappelons à ce sujet que le démembrement de la Yougoslavie, — dont j'ai toujours pour ma part dénoncé les dangers, les mensonges et [tous] les crimes – ne peut pas se comparer avec l'éclatement de l'Union soviétique.
Certes Tito a laissé, à son échelle, un héritage aussi purulent que celui de Staline et Khrouchtchev. Mais le système artificiel produit des traités de Versailles, Saint-Germain en Laye et Trianon instituant le royaume des Serbes, Slovènes et Croates, mis à la sauce communiste, a sombré par les révoltes de ses périphéries. Jusqu'au dernier souffle Belgrade a cherché à le maintenir et il a fallu les bombardements de 1999, demandés à Clinton de son propre aveu par Chirac, pour faire céder la malheureuse vieille capitale gouvernée par un autiste.
Au contraire, l'URSS est morte à Moscou, tout à fait pacifiquement, sans intervention extérieure. La Fédération de Russie elle-même en dressa le constat. En 1991 la métropole a reconnu sa propre incapacité à diriger un ensemble aussi étendu et plurinational. Elle hérite tout de même du territoire le plus vaste du monde, 17 millions de km2 de l'enclave de Koenigsberg ("Kaliningrad") à Vladivostock, englobant 88 républiques, aussi légitimement séparatistes en puissance que l'Ossétie.
Si l'on considère que l'action souveraine de la Géorgie du 8 août mérite sanction, de la part de l'ancien grand frère, que penser de ce que Moscou accomplit depuis les années 1990, sans réussite tellement convaincante, en Tchétchénie ? Vladimir Vladimirovitch désigne le président américain, sous l'aimable sobriquet de "camarade Loup". Et, depuis 2003 il critique toutes ses initiatives en Mésopotamie. Tout son argumentaire s'effondre comme un château de cartes, etc. etc.
Indécrottable nationaliste partisan, dans l'absolu, d'une Europe confédérale et indépendante, qui puisse même un jour servir de trait d'union entre l'Amérique et la Russie, on doit avoir le courage de prendre aujourd'hui la mesure de la situation exacte de l'heure.
Puisque nous devons à nouveau en Europe occidentale considérer la puissance militaire et l'arsenal russes comme des dangers dirigés éventuellement contre nous, et tant qu'une véritable Communauté européenne de défense n'aura pas été instituée, l'OTAN demeure le seul cadre sérieux de notre sécurité stratégique. Car depuis 1966, et le retrait de l'organisation militaire intégrée, jamais les gaullistes n'ont su construire d'alternative crédible à cette défense atlantique, ayant eux-mêmes saboté le projet de défense européenne dès 1954.
On doit donc balayer toutes les arguties et toutes les menteries des neutralistes à sens unique.
Quelle aubaine, dira-t-on, pour la diplomatie américaine.
Je voudrais m'en assurer : je pense au contraire que nos alliés américains désirent plus encore que nous se voir allégés du fardeau de la défense de l'Europe qu'ils assument, à leurs frais, ceux du contribuable des Etats-Unis, du fait de notre carence et de nos divisions.
Oh je reconnais ma capacité d'erreur. Je la considère même comme certaine puisque les médias nous mentent.
Mais il se trouve que nous recevons l'image d'un pays immense, regonflé financièrement par le cours du pétrole et des matières premières, capable d'aligner des centaines de blindés, ayant entrepris brutalement de modifier, à son profit, les frontières juridiques d'un État souverain sensiblement plus petit.
Si cette représentation ne se trouve pas rapidement corrigée par des actes généreux, par exemple en fusionnant en un seul État neutralisé et indépendant les deux "Osséties", celle du nord n'ayant pas plus de raisons de demeurer "russe" que celle du sud de redevenir géorgienne nous serons amenés à ne plus prendre au sérieux aucune des protestations de pacifisme du gouvernement du grand frère.
Nous devons même et surtout regretter les lâchetés et les reculades de l'Europe.
Le 4 avril à Bucarest, sous la pression de la diplomatie allemande, et avec l'assentiment des représentants français, on a différé l'admission dans l'OTAN de l'Ukraine et de la Géorgie pour ne pas déplaire à Moscou.
Plus grave encore le 13 août à Bruxelles on a encore assisté à un début de découplage diplomatique. Dès le 13 juillet dans la Stampa le très influent ministre italien Frattini incitait l'Europe à ne pas froisser, "humilier" la partie russe. Le 11 août il réitérait en demandant que la Russie ne se trouve pas "isolée". De tels sophismes s'opposent aux appels à la fermeté des représentants de la Suède, de la Pologne et des Pays Baltes.
Oui nous savons qu'il existe un débat. Divers courants s'opposent au sein de l'Union européenne. Cela s'appelle la démocratie. Le ministre allemand social-démocrate Frank-Walter Steinmeier apparaît même en désaccord avec la chancelière Angela Merkel. On ne peut pas, à cet égard, sous-estimer les liens d'affaires de l'ancien chancelier Schröder avec Gazprom.
Au contraire le 12 août, le secrétaire général de l'OTAN, le Néerlandais Joop de Haap Scheffer a su condamner à "l'usage excessif et disproportionné de la force par la Russie".
Or je lis sur le site de l'Express (13 juillet) au sujet de cette intervention extrêmement claire la phrase suivante :
"Tout au long de son intervention, le secrétaire général de l'Otan a condamné à plusieurs reprises "l'usage excessif et disproportionné de la force par la Russie", MAIS il s'est refusé à critiquer l'intervention militaire menée par la Géorgie en Ossétie du sud, une région séparatiste pro-russe, considérée comme le détonateur de la crise avec Moscou."
Pourquoi ce "mais" ?
Pourquoi cette fin de phrase ? "Considérée" ? Par qui ?
L'Express est notoirement écrit et réécrit par des gens qui savent ce qu'ils impriment : ceci veut dire qu'au sein de la rédaction de ce journal la désinformation fonctionne.
Que penser aussi de l'article éditorial d'Yves Thréard daté du 13 août publié dans le Figaro sous le titre "Incontournable Russie". Tout d'abord une demi-vérité :
"Les remontrances de l'ancien ennemi américain ne trompent personne. Elles sont formelles. Washington, qui a beaucoup d'autres dossiers internationaux sur le feu, ne va pas ouvrir un autre front contre Moscou."
Certes une réaction militaire ne paraît pas à l'ordre du jour. Mais il existe des degrés, un demi-siècle de guerre froide l'a prouvé, et d'autres types de confrontation, de résistances, de contre-feux, que l'expédition coloniale, seul type d'opérations que semblent connaître les fils des cuisiniers de Staline, sans d'ailleurs toujours y exceller.
Voila donc comment on intoxique la France : tout le reste de cet éditorial du Figaro développe tous les arguments coutumiers au parti de la capitulation devant l'Empire et ses maîtres.
Or il existe plusieurs différences notables entre l'ancienne puissance soviétique et celui des maîtres actuels du Kremlin.
Nous ne nous trouvons plus en présence d'un pouvoir communiste. Il ne dispose ni de l'appareil international de son prédécesseur, ni des moyens intérieurs permettant de mettre un budget colossal au service de sa puissance militaire.
Sa population a presque été divisée par deux : 142 millions d'habitants en 2007, deux fois moins que les États-Unis, moins que le couple franco-allemand à lui seul, trois fois moins que l'Union européenne.
Les soviétologues d'hier dénonçaient la russification apparente des républiques d'Asie centrale. Aujourd'hui un journal aussi favorable au gouvernement de Moscou que le Giornale de Milan (30 juillet) pouvait lancer un "cri d'alarme" contre l'islamisation de la Russie qui compte déjà 20 millions de musulmans et que les "spécialistes" prévoient, nous annonce-t-on, majoritairement mahométane en 2050. Sans croire nécessairement en de tels scénarios on ne peut qu'enregistrer les statistiques inquiétantes de la démographie russe, à côté desquelles l'Europe occidentale semble en pleine vigueur nataliste.
Le pétrole, le gaz naturel, l'or et les matières premières constituaient déjà la véritable force de l'économie soviétique. Mais celle-ci donna longtemps l'illusion de l'électrification, de l'industrialisation, des performances de la recherche scientifique. Aujourd'hui : retour sur terre, la Fédération fonctionne comme une immense république bananière. Elle se sent dopée par des cours très élevés que probablement elle a contribué à manipuler, depuis plusieurs années, avec l'appui de ses amis vénézuéliens et iraniens. Mais, outre que les niveaux de prix ne peuvent monter jusqu'au ciel, ils supposent des acheteurs qui se trouvent précisément les pays auxquels elle tend à se confronter.
Son trouble et dangereux partenariat avec la Chine se joue désormais dans un rapport renversé. Les dirigeants de Pékin n'éprouvent plus aucune admiration pour la patrie de Lénine, ils ressentent à son égard plus qu'une pointe de mépris et ils connaissent parfaitement le rapport des forces notamment démographiques en Extrême-Orient. Les limites de l'idéologie eurasiatique se mesurent très vite : vue de l'empire du Milieu, un Russe fait simplement figure de Diable blanc au long nez un plus pauvre que les autres, éventuellement plus méchant.
Tout cela doit nous inciter à défendre une attitude plus ferme et aussi plus solidaire des pays européens.
L'éparpillement de nos nations constitue un terrible point faible. Le partenaire moscovite développe une tactique de relations systématiquement bilatérales notamment dans le domaine énergétique où il croit pouvoir exercer une forme de chantage naïf à l'approvisionnement. Il détient certes 27 % des ressources mondiales de gaz naturel, mais 73 % se trouvent ailleurs.
Dans un tel contexte, outre les inconditionnels de l'OTAN, d'autres pourront dire merci aux brutalités de nos excellents amis russes : elles nous auront démontré la nécessité d'adopter le plus rapidement possible un certain nombre d'accords au sein de l'union européenne et notamment ce Haut-Commissariat à la politique étrangère, disposition certainement irritante pour le Quai d'Orsay et le Foreign office mais que personne ne critiquait ni dans le projet de constitution capoté en 2005 ni dans le traité de Lisbonne.
Dans l'épreuve on découvre et on apprécie toujours ses amis.
JG Malliarakis
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