Ce 3 août en Russie l'auteur de L'Archipel du Goulag, âgé de 89 ans, est mort dans sa patrie, qu'il avait retrouvée en 1994.
Retraçons quelques traits de cette extraordinaire carrière. Il naît en 1914 dans un village de la Russie méridionale. Il fait des études de physique et de mathématiques à l'université de Rostov-sur-le-Don. Il s'engage comme artilleur dans la guerre contre l'Allemagne. En 1945 il sera envoyé au Goulag pour avoir osé dans une correspondance privée, se demander si le génie militaire du maréchal Staline répondait vraiment aux besoins du pays.
Cela lui vaut une condamnation à 8 ans de travaux forcés pour "propagande antisoviétique et tentative de création d'une organisation antisoviétique". Réhabilité, il travaille comme professeur de mathématiques dans une école de Riazan, au sud-est de Moscou. Il survivra au cancer.
En 1962, Novy Mir sous la direction du poète Alexandre Tvardovski, publie "Une Journée d'Ivan Denissovitch". Cet admirable et sobre premier roman, suivi de "La Maison de Matriona", lui vaut une immense notoriété nationale et internationale.
Ses livres postérieurs, "Le Premier cercle" (1955-1968), "Le Pavillon des cancéreux" (1968), décrivent plus explicitement la répression stalinienne. Ils lui valent d'être interdit de publication en URSS. Ils circulent dans la clandestinité. À la même époque, il travaille dans le plus grand secret sur "L'Archipel du Goulag", ouvrage fondamental traitant du système carcéral soviétique.
Déjouant les persécutions des services secrets, le premier tome de ce livre culte est publié en 1974 en Occident par la petite maison orthodoxe parisienne de Georges Nivat et Nikita Struve. Et bien que lauréat du prix Nobel de littérature en 1970, Soljenitsyne se voit expulser d'URSS après cette publication. Exilé en Suisse puis aux États-Unis, il fait paraître une série d'articles, de conférences et de récits sur l'URSS. Parallèlement, il entreprend l'écriture d'une épopée historique en 8 volumes, "La Roue rouge", sur les causes de la révolution d'octobre 1917.
Dans son émouvant témoignage sur "les Invisibles", il pouvait enfin expliquer en 1992, après la chute du communisme, par quels réseaux de complicités amicales et héroïques, il a matériellement pu travailler, et notamment en Estonie.
De retour en Russie en 1994, il s'installe à Moscou où il mène une vie retirée jusqu'à sa mort. Le président russe Dmitri Medvedev et le premier ministre Vladimir Poutine ont présenté leurs condoléances aux proches de l'écrivain, rapportent les services de presse du Kremlin et du gouvernement.
Ce 4 août Vladimir Vladimirovitch Poutine qualifiait sa disparition de "grande perte pour toute la Russie". Et l'ancien premier secrétaire soviétique Mikhaïl Gorbatchev saluait, de son côté, un "homme au destin unique" l'un des premiers, selon lui, à "dénoncer à voix haute le caractère inhumain du régime stalinien".
À mes yeux, et quoi que puissent en dire les uns ou les autres, Soljenitsyne demeurera un des hommes les plus importants du XXe siècle. Sa récupération officielle par le régime russe actuel constitue plutôt un message encourageant, même si l'on veut bien considérer, [dans le pire des cas], l'hypocrisie comme un hommage du vice à la vertu.
On insiste beaucoup, dans nos médiats, sur les difficultés de l'évolution démocratique d'un État qui a donné au monde, aussi bien Ivan le Terrible que Pierre le Grand.
On se demande pourquoi, par exemple, le gouvernement de Moscou trouve utile de développer ses contacts avec le Venezuela, recevant Chavez en juillet, et d'affirmer en août vouloir rétablir tous les liens avec Cuba désormais dirigée par Raul Castro.
En revanche on pourrait remarquer les propositions d'alliances à l'occident faites encore ce 30 juillet par le représentant de l'OTSC, (Organisation du Traité de sécurité collective) Valeri Semerikov.
Le vice secrétaire de cette nouvelle alliance militaire comprenant, autour de la Russie : l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l'Ouzbékistan, et le Tadjikistan indiquait ainsi : "Nous ne considérons absolument pas l'OTAN comme un adversaire. L'avenir le prouvera, nous serons amenés à résoudre conjointement de plus en plus de missions, que nous le voulions ou non". Cette déclaration était diffusée par l'agence Novosti depuis Moscou à l'occsasion des exercices conjoints de l'armée arménienne et de l'OTAN "Cooperative Longbow/Lancer - 2008" qui auront lieu le 21 octobre prochain. Organisées dans le cadre du programme de l'OTAN Partenariat pour la paix ces manœuvres visent à optimiser la coopération des pays membres pour le maintien de la sécurité et de la stabilité dans la région du Caucase du Sud. Et elles mobiliseront près d'un million d'hommes.
L'ambiguïté du retour à l'hymne soviétique de 1944, certes musicalement beau, mais dont le même auteur a simplement retouché les paroles, après plus d'un demi-siècle d'horreurs communistes inexcusables, résume le sentiment mitigé qu'il inspire aux gens qui, comme moi, ont la faiblesse d'aimer la culture russe, d'aimer la musique russe, d'aimer la cuisine russe, d'aimer la littérature russe, et certainement d'abord d'aimer l'orthodoxie russe, tout en rejetant radicalement toutes les formes, et toutes les scories, de l'héritage d'un système destructeur et négateur de la véritable Russie comme le jacobinisme a tué la vraie France.
Grâce à ce que nous devons à Soljenitsyne, j'espère qu'une telle ambiguïté sera levée.
Divers signes me le laissent croire. Sans cesser de nous inciter à exercer aussi une nécessaire vigilance.
JG Malliarakis
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût…… pour les Éditions du Trident
Existe-t'il, à votre connaissance, l'équivalent
russe du livre de Jean de Viguerie intitulé "Les Deux
patries" (Dominique Martin Morin éditeur, Grez-en-Bouère,
2000) ?
Peut-on décemment reprocher
aux Russes de n'avoir pas
fait l'inventaire de leur
histoire au XXème siècle, alors que c'est déjà si difficile en France ?
Rédigé par : Denis | lundi 04 août 2008 à 21:01
Ayant également une tendance naturelle vers les sujets de votre dilection et à la recherche du DVD d'un film récent que l'on m'a chaudement conseillé :
"L'île" de Pavel Lounguine, sauriez-vous comment se le procurer ?
Rédigé par : Richard | lundi 04 août 2008 à 23:05
Deux petites réponses
1° Pour Denis
Le "même" livre n'existe pas à ma connaissance. En revanche le livre de Soljénitsyne "Comment réaménager notre Russie" va, selon moi, dans le même sens. Sachant que par exemple la "Russie", quand ce livre fut écrit, n'existait juridiquement que sous forme de république intégrée à "l'union soviétique" et que le "patriotisme soviétique" tuait l'élément russe.
2° Pour Richard
Je recommande aussi ce film depuis le 6 février
http://www.insolent.fr/2008/02/lle-de-pavel-lo.html
Le DVD se trouve à la Procure 3 rue de Mézières 75006 Paris et aussi chez Duquesne Diffusion 27 av Duquesne 75007 Paris
La Procure le vend aussi par correspondance
http://www.crypte.fr/agenda.html
Rédigé par : JG Malliarakis | mardi 05 août 2008 à 09:02
Cher JGM, merci de reprendre votre chronique. Une telle mort ne sonnera pas hélas le glas de la brutalité russe, dont les victimes actuelles méritent mieux que des cocos mal dégrossis, et perfides. Poutine a beau jeu d'aller à l'église et de présenter ses condoléances, etc.... Staline faisait aussi dans le cynisme. L'impérialisme continue, avec la complicité des nostalgiques du célèbre et grand soir. Aucune confiance dans ce serpent, qui fait partie du jeu international de toutes façons. Pourquoi? D'autres Soljenistyne, au moins, et d'autres pauvres gens, sont dans les goulags actuellement. Le système continue. Poutine peut d'une main combattre l'impérialisme d'islam sur ses terres de Tchétchénie, riche en sous-sol, et en tuyaux, et d'une autre main, déstabiliser de l'intérieur des pays à qui il demande leur amitié. Quel monde! mais au moins nous ne sommes pas dupes de la nature humaine. Regardez l'instauration d'une "pétroligarchie" en Ukraine... je pense même qu'en rejoignant l'OTAN, ils peuvent faire des dégâts, in utero.... et ce n'est pas une fanfare revisitée qui me fera accroire le contraire. Et puis j'en ai assez d'entendre que la révolution et la terreur de 1789-90-91-etc, a inspiré les salopards du 20ème siècle. C'est la nature corrompue des grands prédateurs imbéciles et arrogants planqués derrière un livre nauséabond qui fait la sauce... et le peuple qui déguste intimement... bien à tous, PMS.
Rédigé par : minvielle | mardi 05 août 2008 à 09:25
Comme professeur de français à Rio de Janeiro, il m'est très réconfortant de lire cette phrase : "le jacobinisme a tué la vraie France" - une courageuse constatation. Au Brésil, surtout dans le milieu académique, la Révolution Française est partout louée et enseignée comme libératrice. Donc, la "vraie France" nous est largement inconnue, hélas.
M. Malliarakis, je profite de l'occasion de ce bel article sur Soljenitsyne, et de cette phrase éloquente, pour vous remercier de faire la différence dans votre site.
Cordialement,
Norma
Rédigé par : Norma | mardi 09 sep 2008 à 17:59