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En attendant un prochain rendez-vous avec notre ami Eduardo Mackenzie à l'occasion duquel nous évoquerons la situation d'ensemble de l'Amérique latine, nous publions aujourd'hui un texte qu'il nous a envoyé le 29 juin 2008 à la suite d'un étrange arrêt daté du 27 juin et dont la presse gauchisante parisienne s'est fait complaisamment l'écho.
D'où vient, demande Eduardo Mackenzie, et qu’est-ce qui motive la furieuse offensive de la Cour pénale de la Cour Suprême de Justice de Colombie contre le président Alvaro Uribe ?
Cette motivation ne peut pas venir du champ juridique, parce que le gouvernement d'Uribe, légal et légitime, n'est pas attaqué par cette Cour pour un acte que celui-ci aurait commis. Le gouvernement, de ce point de vue, est jusqu'à présent, irréprochable. S’il ne l’était pas on le saurait déjà. Les deux seuls personnages qui traitent d'« illégitime » le gouvernement colombien ne sont ni des magistrats, ni des juges : l’un est un élément de l'opposition extrémiste, la sénatrice Piedad Córdoba, très proche des Farc, et l'autre est le président du Venezuela, Hugo Chavez.
L'offensive de la Cour pénale ne peut venir que d'un univers politico-idéologique, un terrain interdit aux magistrats, dont les activités et les décisions doivent avoir un référent unique : l'ordre juridique de la nation. Depuis plusieurs décennies, le pouvoir judiciaire colombien a été l'objet d'infiltrations extrémistes. Les effets en étaient, toutefois, plus ou moins contrôlés. Par exemple, Carlos Gaviria, l’ex président de la Cour Constitutionnelle, s’est révélé être un militant marxiste qui en 2006 a accepté d'être le candidat présidentiel du Pôle Démocratique, une coalition fortement inféodée au pouvoir vénézuélien. Ce qui arrive à présent correspond à une phase encore plus avancée de ces efforts illégaux. Le pouvoir exécutif manque, néanmoins, des instruments juridiques cohérents pour combattre cette menace.
L’arrêt de la Cour pénale du 27 juin 2008 est un acte non juridique car il repose sur de graves manquements. Le délit de corruption invoqué en ce qui concerne l’action de l'ex parlementaire Yidis Medina n'a pas été prouvé jusqu'à aujourd'hui. Cette femme, aujourd'hui emprisonnée, avait déclaré qu’elle avait changé le contenu de son vote dans la réforme constitutionnelle, en juin 2004, après avoir reçu, dit-elle, une promesse illégale de rétribution.
Le problème est que la corruption est un délit qui ne peut être commis par une seule personne. Dans ce délit interviennent nécessairement deux acteurs, voire plus : celui qui se laisse corrompre et celui ou ceux qui corrompent. À ce jour, la Cour pénale n'a pas encore établi qui a soudoyé l'ex parlementaire.
Pire : la Cour pénale a refusé d'entendre tous les accusés. Yidis Medina accuse, entre autres, deux hauts fonctionnaires du gouvernement mais la Cour pénale n'a pas démontré la culpabilité de ces personnes. Des deux fonctionnaires seulement un, l'ancien ministre de l'Intérieur et de la Justice, Sabas Pretelt de la Vega, ambassadeur de Colombie en Italie, a été entendu. L'autre, l'actuel ministre de la Sécurité Sociale, Diego Palacio Betancourt, n'a jamais été entendu. Le président Alvaro Uribe n'a pas été entendu non plus. Aucun d'eux n’a été condamné pour avoir corrompu Yidis Medina. La Cour pénale a pris les supputations de celle-ci, telles quelles, comme une vérité révélée.
Malgré ces fautes fondamentales, malgré cette enquête imparfaite, la Cour pénale s’est anticipée et a lancé son arrêt, au moyen duquel elle prétend laisser sans soutien juridique l'acte législatif qui a donné naissance à la réélection présidentielle immédiate. De cette façon la Cour pénale essaie, en outre, de délégitimer le second mandat du président Alvaro Uribe. La Cour pénale veut, par conséquent, détruire la politique de sécurité démocratique de celui-ci, laquelle a démantelé le paramilitarisme d'extrême droite et est en train de mettre en échec le terrorisme d'extrême gauche, en particulier les Farc et l'Eln.
Cet arrêt est un acte de barbarie, une provocation inouïe, une tentative de déstabilisation d'un gouvernement élu démocratiquement. La Cour suprême qui est censée défendre la Constitution, paraît aujourd'hui décidée à instaurer l'arbitraire. Les citoyens colombiens ont le droit de demander des explications aux magistrats et de se mobiliser pour la défense des institutions et de la démocratie. Car les institutions et la démocratie sont menacées.
Avec son arrêt, la Cour pénale a outrepassé les principes universels du Droit. Elle prétend donner à une sanction individuelle (contre l’acte illégal d'Yidis Medina) une portée universelle (démolir une réforme constitutionnelle). La Cour a dit que « l'approbation de la réforme constitutionnelle a été l’expression d'une déviation claire et manifeste de pouvoir ». En plus de ne pas avoir pu établir la réalité de la subornation, elle n'est pas parvenue à prouver la « déviation de pouvoir ».
D’autre part, la Cour pénale a envoyé copie de son arrêt à la Cour Constitutionnelle pour que celle-ci révise encore une fois l'acte législatif de 2004. Mais une telle révision ne fait pas partie des attributions de la Cour Constitutionnelle. Il convient de rappeler ici que l’acte législatif a été à son époque l’objet de plus de 50 plaintes cumulées dans trois procès, sur lesquels la Cour Constitutionnelle s'est prononcée et a déclaré sa constitutionnalité.
Comme l’a bien expliqué Fabio Valencia Cossio, le ministre colombien de l'Intérieur et de la Justice, « la Cour Constitutionnelle n'a pas le droit de réviser ses propres jugements, puisque ceux-ci acquièrent l’autorité de chose jugée constitutionnelle. Il n'est pas viable ni recevable que la Cour Constitutionnelle effectue, comme le demande la Cour pénale de la Cour suprême, une nouvelle révision sur de prétendus vices de procédure dans la formation de l'acte législatif approuvant la réélection présidentielle, car la Cour Constitutionnelle s'est déjà prononcée et a déjà exercé, de manière définitive, le contrôle constitutionnel ». Les sages de la Cour pénale paraissent ne pas connaître ce que dit la Charte colombienne.
Les bavures de la curieuse Cour pénale s'accumulent. Cette Cour ne dissimule pas ses sympathies pour les guérillas d'extrême gauche. Elle attribue un sens « politique » aux crimes de celles-ci, mais elle refuse de donner ce même traitement aux guérillas d'extrême droite. En juillet 2007, la Cour suprême a refusé d’appliquer aux paramilitaires démobilisés des AUC le délit de sédition, comme elle l’applique aux guérillas dites de gauche. Les guérillas colombiennes et les paramilitaires sont identiques par leurs méthodes : toutes les deux commettent des attentats, assassinent des civils, massacrent et détruisent des villages, kidnappent et font du trafic de drogue. La seule différence est que les paramilitaires ont accepté de se démobiliser en échange d'une réduction de peines et les guérillas rejettent tout cessez-le-feu et toute démobilisation.
La haine tenace des magistrats de la Cour pénale de la Cour suprême à l’encontre du gouvernement d’Alvaro Uribe élu démocratiquement en 2002 et réélu démocratiquement en 2006, a acculé la Cour pénale dans une impasse. Sa sentence de vendredi est, ni plus ni moins, une tentative contre l'ordre juridique, un acte destiné non à corriger une anomalie de Droit, mais à perturber le climat politique en Colombie.
Il y a quelque mois, le président vénézuélien Chavez déclarait que le gouvernement du président Uribe était « illégitime ». Sous d’obscures pressions, qu'un jour la justice devra élucider et punir, des membres de la Cour pénale cherchent à défenestrer un président qui défie le modèle antilibéral prôné en Amérique latine par la « révolution bolivarienne ».
Pour y parvenir les chavistes colombiens devront combattre beaucoup plus violemment. Car Alvaro Uribe, et de vastes secteurs de l’opinion publique, ne sont pas disposés à se laisser asservir. Quelques heures après que la sentence fut communiquée, le chef d'État colombien a proposé d'appeler aux urnes pour freiner le processus de délégitimation de son mandat 2006-2010. Uribe a demandé au Congrès de rédiger une loi convoquant un referendum de ratification ou non de l'élection présidentielle de 2006. À la différence de ce que les agences de presse internationale avaient dit, cette initiative n'a rien à voir avec un troisième mandat présidentiel.
Le Président Uribe a estimé que le geste de la Cour pénale était un « abus de pouvoir » et il a dénoncé une « usurpation de compétences ». Il a ajouté que la Cour avait essayé « d'accuser des fonctionnaires honnêtes comme faisant partie de la supposée subornation ». Il a réitéré que la Cour « avait rejeté des éléments de preuve qui [lui] ont été présentés » pour « démontrer que le délit de corruption n'a pas été commis, et que la personne auto incriminée [Yidis Medina] avait commis d'autres délits, comme le chantage exercé fréquemment sur des fonctionnaires publics », comme le conclurait tout « observateur objectif ».
Qui est derrière les manœuvres de la Cour pénale ? Les paramilitaires mis en échec ? Les guérillas à l’agonie ? Le président Uribe a suggéré que certains cercles, rendus furieux par l'emprisonnement puis l’extradition ultérieure aux Etats-Unis des chefs paramilitaires les plus en vue, pourraient être liés à cette conspiration. Il a rappelé que l’un des chefs paramilitaires, Salvatore Mancuso, avait déclaré que les AUC « avaient infiltré » la Cour Suprême de Justice.
La conduite de certains magistrats de cet organisme est scandaleuse. La presse colombienne a informé qu'en juin 2006, 20 des 23 juges de la Cour suprême ont accepté une invitation pour voyager à la ville de Neiva avec leurs conjoints pour fêter une promotion de Yesid Ramirez Bastidas dans la Cour suprême. Les frais de voyage aérien Bogota-Neiva-Bogota (plus de 10 000 dollars), de l'hôtel et d’autres réunions ont été payés par un certain Ascencio Reyes Serrano, propriétaire d'une agence de voyages. Lequel possède également un immeuble en copropriété avec José Maria Ortiz Pinilla, extradé aux Etats-Unis en 2007 pour trafic de drogues. Yesid Ramirez Bastidas est encore membre de la Cour suprême.
Le journal espagnol El Mundo a établi que Yesid Ramirez Bastidas avait reçu comme cadeau, aussi en 2006, une coûteuse montre offerte par Giorgio Sale. Cet homme d'affaires italien a été arrêté en novembre 2006 pour trafic drogues et blanchiment d'argent. Giorgio Sale était lié à Salvatore Mancuso, le chef paramilitaire extradé aux Etats-Unis le 15 mai 2008.
L’action de Yidis Medina lors du vote de l'acte législatif était-elle un élément de l’opération conçue par ceux qui militaient pour faire capoter la réélection présidentielle immédiate ? Cet aspect, lui non plus, n'a fait l’objet d’aucune recherche de la part de Cour pénale.
Un autre groupe qui se montre très intéressé par l'activité de la Cour pénale est le Pôle Démocratique, lequel aspire à devenir « option de pouvoir » en 2010. Ses chefs approuvent la manœuvre de la Cour pénale et demandent au Président Uribe de démissionner. Avec un indice de popularité supérieur à 80 % dans son pays, Alvaro Uribe obtiendra sans doute un nouveau triomphe si la Colombie est convoquée pour ratifier l'élection de 2006. La mobilisation de l'opposition se centre à présent contre cette option et ces prochains jours les tensions pourraient s’aggraver de façon dramatique.
→ Le livre de Eduardo Mackenzie et Alain Delpirou sur les Cartels criminels (Cocaïne et héroïne, une industrie lourde en Amérique latine)
L'auteur de ce texte est Eduardo Mackenzie
journaliste colombien
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