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Je trace ces lignes au lendemain de l'échec de la grande manifestation intersyndicale du 17 juin "contre la réforme des retraites et des 35 heures" (18 000 manifestants à Paris). Un tel recul de la contestation suivait celui de la tentative de grève SNCF des 10 et 11 juin "contre la réforme du fret" (6 % de grévistes). Il se situe en même temps que la publication du Livre blanc sur la défense. Tout cela m'amène à reprendre une petite réflexion que je m'étais timidement faite pour moi-même il y a quelques jours à propos du processus de réformes.
Je m'enhardis donc et je reprends la plume et la parole.
Non, nous ne sommes peut-être pas à la veille de l'effondrement général du capitalisme dans le monde.
Or, ayant interrompu la publication de mes notes quotidiennes depuis un mois, il me semble aujourd'hui nécessaire de revenir avant tout sur l'attitude des Français vis-à-vis des destinées et des capacités de leur propre pays.
Une première attitude relève, selon moi, de la dérision. Elle proclame son autosatisfaction. Croire en l'excellence inégalable de nos services publics se fonde sur des impressions, des ouï-dire, des slogans d'autrefois remontant au mieux à un demi-siècle : le meilleur système social, la plus brillante médecine du monde, l'école la plus admirable, la poste la plus efficace. Tous ces vieux poncifs ne me paraissent même plus révoltants. Je les trouverais plutôt touchants, comme le retour plaisant à notre époque des hommes, des parlers et des concepts du Moyen âge dans le film Les Visiteurs. Attention toutefois à la règle cinématographique bien connue : le numéro 2 vaut rarement le numéro 1.
Dans cette affaire qui empoisonne la vie politique et le débat franco-français, depuis la funeste, interminable, présidence de Jacques Chirac, le mensonge souverainiste étatiste ne peut pas être regardé pour innocent.
Qu'il se badigeonne de rouge ou se rengorge de tricolore, son carburant est toujours provenu, – faut-il s'en étonner ? – des fournisseurs monopolistes et profiteurs du système, allant des fabricants de locomotives aux avionneurs militaires et autres marchands d'armes de tous calibres. "On croit mourir pour la patrie, déploraient les pacifistes et antimilitaristes d'hier, on meurt pour des industriels". On pourrait transposer cette réflexion dans notre débat en remarquant que les prétendus partisans de la souveraineté d'État militent surtout pour la survie de leurs privilèges et monopoles. Et lorsqu'on regarde d'un peu plus près le capital des grosses entreprises de presse on y observe trop souvent les protagonistes intéressés de ces systèmes clos : mutuelles affairistes ou munitionnaires. On en vient à soupçonner la magistrature syndiquée de ne pas se tromper de cible quand elle ose mettre en cause les dirigeants adossés au passé chiraquien, assurément blancs comme l'hermine, ès Forgeard, ès Gut, et autres vertueux dénonciateurs de la pseudo-affaire Clearstream.
Comment donc ? Tous ces gens, tous ces villepineux sourcilleux jansénistes, relèveraient-ils soudain d'une autre rubrique que celle d'un patriotisme vigilant et désintéressé ? Je ne puis l'imaginer.
Mais on doit aussi envisager une autre forme d'aveuglement : cette dernière consiste à croire, à proclamer, que la France pourrait bien se révéler définitivement irréformable.
Depuis 1871 et la publication par Ernest Renan de sa fameuse "Réforme intellectuelle et morale de la France", titre dont les éditeurs des dernières décennies ont gommé les trois derniers mots, ce qui donne un sens tout différent à son propos, on doit reconnaître que le travail reste à faire.
Pourtant quelques expériences mériteraient d'être mentionnées, en particulier la commission et le rapport Rueff-Armand 1959-1960, où le grand manitou de la corporation ferroviaire (Louis Armand) contrebalança l'économiste (Jacques Rueff). La part de regain qui en découla pour l'économie et la société françaises ne saurait être négligée ou sous-estimée.
Ainsi donc nier radicalement toute possibilité d'un relèvement fait partie d'une idéologie d'autant plus funeste qu'elle s'abrite éventuellement sous des oripeaux de ce qui s'appela autrefois le nationalisme français.
Or, de toutes les définitions possibles de l'idée nationaliste la seule que je trouve quant à moi supportable, et même désirable, consiste à militer pour le redressement effectif de son pays. Elle apparut au XIXe siècle lorsqu'un certain nombre de peuples ont commencé à revendiquer leur émancipation ou leur unité. Plus tard, dans le XXe siècle cette idée nationaliste fut manipulée par une stratégie internationale des bolcheviks visant à renverser la Paix des Alliés de 1919 et cela donna naissance, notamment, à la décolonisation et au tiers-mondisme. En France, au contraire cette idée s'exprima dans un registre "de droite" par la voix des adversaires du régime républicain. Un tel voisinage a transformé l'idée en une sorte d'impasse schizophrénique identitaire : d'un côté on tend à s'exprimer comme si France irrévocablement devait, pour rester elle-même, devait se voir condamnée à ne pas pouvoir bouger. D'une autre part, on dénigre son peuple.
Invoquant des raisons apparemment inverses, une certaine droite et une certaine gauche se rejoignent de la sorte pour rejeter et la patrie et la liberté.
Or ce pessimisme fondamental quant à une nation que, par ailleurs, ce parti feint d'idolâtrer, trouve sa contradiction dans les faits. Matériellement si le régime politique, si le carcan fiscal et si les monopoles sociaux de la France la pénalisent dans la compétition internationale, ses atouts et ses capacités demeurent. On peut même dire que son handicap vient d'avoir pu alimenter, jusqu'ici, par les fruits séculaires d'une richesse humaine incontestable l'entretien d'une classe prédatrice et stérile comparable à celle des pays producteurs de pétrole. La spoliation étatique perdure de la sorte aux frais d'une nation encore docile, mais de plus en plus parfaitement consciente du mal que lui font ses technocrates et autres accapareurs.
Observons que l'adhésion de principe de la majorité des Français à une proposition de réforme et de rupture est devenue une donnée dont les vainqueurs des deux élections du printemps 2007 ont su tirer parti. À partir de l'automne, le journalisme dénigreur, se manifestant plus que jamais, non comme métier à vocation d'informer mais comme désir professionnel d'intoxiquer, a cherché à nier cette réalité nouvelle de l'opinion française.
Cela se traduit par une sorte d'affrontement à front renversé. Une sorte de conservatisme démagogique et corporatiste "à gauche" tente d'exploiter les mécontentements inéluctables inhérents à toute réforme. En face, une manière de socialisme intelligent se retrouve à "droite". Cette inversion prouve surtout l'affadissement des notions de droite et de gauche dans la vie politique française.
Ainsi un entretien de M. Jacques Attali publié en date du 4 juin par Le Monde attirait à ce sujet mon attention. Non que je me sente porté d'enthousiasme ni par la composition de la commission constituée autour de cet ancien collaborateur indiscret de François Mitterrand, ni par l'idéologie sociale démocrate commune à la plupart de ses membres, ni même à la totalité de ses 300 propositions de réforme. Je me demande aussi si la maladresse fondamentale n'en a pas consisté à tenir le parlement trop éloigné. Mais, tout simplement, sans avoir ni la radicalité ni la clarté des conclusions du rapport Rueff-Armand d'il y a un demi-siècle, elles semblent quand même aller dans un sens moins stupide que celui préconisé par S. Royal, M. Aubry ou H. Emmanuelli. Oui Gorbatchev, pour rester dans notre espèce de soviétologie hexagonale, reste préférable à Brejnev, Tchernenko ou Andropov. Ne parlons même pas de la tentative de Ligatchev.
Or, M. Attali, vis-à-vis duquel je revendique tout sauf l'allégeance inconditionnelle, révélait tout simplement début juin que sur 300 propositions formulées – et révélées peut-être trop vite – en janvier 2008, 160 avaient été d'ores et déjà adoptées.
Je vais donc risquer ici une remarque provocatrice, peut-être même franchement très insolente. L'adoption 160 mesures sur 300 suggestions en moins de 6 mois, pour un gouvernement qu'on nous dépeint chaque jour à la veille de l'écroulement sous le poids de son impopularité cela ne me semble pas un score déshonorant.
J'ose même, parce que j'aime la France, formuler l'espoir qu'il ira en s'améliorant.
JG Malliarakis
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût…… pour les Éditions du Trident.
Salut,
je partage ton point de vue pour dire que le gouvernement est évidemment loin d'être au bord de l'écroulement, et peut-être même est-ce finalement un bon début que de passer toutes ces mesures qui, si elles ne vont pas toutes dans le sens libéral que je souhaiterais, ont le mérite de remettre en mouvement les choses, de manière habile et non-conflictuelle.
Mais on peut s'interroger, tout de même, sur la justesse de l'indicateur que tu choisis en fin d'article : 160 mesures / 300 passées, ok. Mais est-ce que ce dont nous avons besoins est de passer de nouvelles mesures, de nouvelles règlementations, ou bien de simplifier ce qui existe, de dérèglementer, de libérer les individus ?
j'opte pour la deuxième, et me dis qu'il y a encore un chemin très long à parcourir...
à bientôt, et merci pour tes billets que je ne prends pas suffisament le temps de commenter...!
Petite réponse
Je n'ai pas "choisi cet indicateur".
Je mentionne simplement ce que dit Attali, qui est loin d'être mon maîtr à penser...
À bientôt j'espère.
Rédigé par : LOmiG | jeudi 19 juin 2008 à 08:45
300 mesures, 160 mesures... rien que ces chiffres sont ridicules : une dizaine de mesures bien choisies, bien réalisées et menées, pas dévoyées, suffiraient à débloquer la situation. Le rétablissement suivrait par lui-même. Imaginez que ce soient des médicaments sur une ordonance !
A propos de chiffres, je ne vois pas le régime actuel tenir indéfiniment sans au moins stabiliser la dette. Les dérives continuent de manière systémique : seul le temps médiatique existe, le long terme n'existe plus. On peut toujours compter les mesure(ttes) ou compter les moutons. C'est pareil.
Rédigé par : gros chat | mardi 24 juin 2008 à 00:44
Cher Jean-Gilles,
En constatant la désaffection syndicale, je me suis fait le même genre de réflexion que vous :
Et si les nombreuses réformes adoptées, même si chacune semble insuffisante, remettaient la France en mouvement?
Merci pour vos chroniques.
Rédigé par : le Révolutionnaire bleu | mercredi 02 juil 2008 à 17:30