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Qu'on me permette d'abord de remercier le Café Philo de m'avoir donné ce 25 juin l'occasion de cette intervention. J'avais accepté de venir débattre ce soir-là parce que précisément je sentais quelque provocation dans le titre. Associer nos médiats contemporains au souvenir des années noires cela peut paraître violent tant les conséquences s'en montrent encore vivaces. Freud définit la maladie de l'hystérique sur la base de l'invasion douloureuse des réminiscences.
Nous déplorons toujours de ne pouvoir débattre. On se propose donc de partir d'un postulat sans doute commun quant à la médiocrité et même à la malfaisance de notre presse dans le traitement de l'information.
Inutile de détailler certains événements oubliés ou récents. Mieux que quiconque je pourrais témoigner personnellement le jour venu des effets de certaines campagnes médiatiques. Cependant, je ne m'y attarderais pas ici. Disséquer la manière dont un certain conformisme impose une présentation à la fois univoque et mensongère affadirait peut-être notre propos lui-même.
Nous savons que nous ne pouvons pas faire confiance aux grands moyens d'information.
Et en cela ne croyons surtout pas qu'une telle clairvoyance appartienne en monopole à tel secteur précis de l'opinion. Le peuple français en général n'ignore pas qu'on le trompe.
Et comme il dispose d'un reste de santé mentale il se détourne des grands journaux.
La baisse des tirages suffit à le démontrer. De 1946 et 2001, avant même l'incidence quantitative de la lecture en ligne sur la toile, le nombre de quotidiens dits d'information générale édités à Paris est passé de 28 à 10, dont 3 dominants, eux-mêmes Figaro + Monde + Libération en chute constante, et de 175 à 56 en province. Le tirage des quotidiens a reculé, de 15 millions en 1946 à 9 millions en 2001. Toujours sur la même période, le nombre d'exemplaires tirés pour 1 000 habitants a diminué de 370 à 150, soit une baisse de 60 %.
Le Français moyen écoute la radio le matin pour d'informer d'une météo incertaine. Il regarde le journal de 20 heures pour les résultats du podosphère et ou pour le joli sourire de la présentatrice.
Tout cela décline mais demeure encore puissant, intimidant, du fait notamment de la très faible alternative proposée.
Un phénomène non négligeable fait que Le Monde paraissant l'après-midi se trouve rarement démenti par Le Figaro, à peine par Libération, le lendemain matin. Or, on peut dire que sur de nombreuses questions le ton avait déjà été donné la veille au matin par L'Humanité que personne ne lit plus, sauf les journalistes.
En revanche, et nous entrons dans le vif de notre sujet, la passivité des populations, éprouvant le sentiment qu'elles ne peuvent plus écrire leur propre histoire, explique une bonne part de la situation.
Comment la caractériser ?
Nous nous trouvons en présence d'une presse, et de médias audiovisuels hexagonaux essentiellement uniformisés et centralisés.
Ce deuxième point mérite d'être abordé.
Si on le compare à des pays européens du même ordre de grandeur, l'Allemagne, l'Angleterre ou l'Italie il saute aux yeux que l'exception française de journaux paraissant tous dans la même ville, fabriqués par des rédacteurs dînant dans les mêmes restaurants, assistant aux mêmes spectacles, sortis de la même école, fréquentant probablement les mêmes maîtresses n'appartient qu'à notre Hexagone. Comme son nom l'indique la Frankfurter Allgemeine Zeitung ne vit pas au rythme du Berliner Tageblatt, de Die Welt ou du Spiegel. Les groupes médiatiques de Munich sont plus puissants que ceux de Berlin. Il existe certes une manière allemande commune de conformité correcte. De même et peut-être encore plus, en Italie, on écrit autre chose à Milan ou à Turin qu'à Rome. Or, on peut lire les journaux édités, rédigés dans ces villes du nord au sud de la Péninsule. Chez nous au contraire le concept même de "journaux de Province" les exclut d'une diffusion nationale. Personne ne lit la Voix du Nord à Toulouse, ou la Dépêche du Midi à Lille. Ouest France représente le plus gros tirage de la presse française mais pratiquement personne ne l'achètera à Paris sinon gare Montparnasse. Il va de soi que la situation des Etats-Unis comporte une part plus grande encore de décentralisation. Le cas britannique est plus particulier. La grande tradition journalistique vient du Guardian de Manchester mais la presse est aussi centralisée, encore plus que la politique du pays, à Londres, et même sur Fleet street. Simplement quel foisonnement, quelle concurrence, quelle diversité.
En France'uniformisation des idées apparaît à l'arrivée plus déplorable encore que la centralisation matérielle, qui la favorise largement au départ, et si je dois le déplorer, séculairement.
N'oublions pas que, sur le monopole parisien se superposent quelque 80 petits monopoles locaux. Mais à part le cas unique et charmant de Brive la Gaillarde où l'on pouvait lire, du moins autrefois la Montagne de Clermont-Ferrand, le journal de Limoges, Sud Ouest de Bordeaux et la Dépêche de Toulouse, pratiquement partout on doit se contenter d'un journal et d'un seul.
Et sans se rendre compte du ridicule de ce sous-titre, monopoliste dans plusieurs départements du sud ouest, le quotidien ex-radical devenu socialiste de la Ville Rose se prétend toujours "le" journal de la démocratie.
Cette profession demeure comme domestiquée par une telle habitude. Tous les grands moyens d'information, y compris les chaînes de télévision ou de radio, se révèlent centrés sur Paris : or, point très important à souligner, cette situation ne correspond plus aux mentalités françaises. À partir des années 1970, le solde migratoire des Français vers l'Île de France, et pour la première fois depuis 500 ans, est devenu négatif.
Donc ces médiats sur la défensive, en perte constante d'audience, vont se montrés naturellement sensibles à quelques mots d'ordre de défense de ce qu'ils appellent un "modèle", comme si la France ne pouvait vivre qu'au rythme du jacobinisme, de la laïcité, de la sécurité sociale étatique et de la tiers-mondisation repentante.
Toute cette misère morale et matérielle a ouvert toutes grandes les portes d'un assujettissement aux arrières boutiques du pouvoir. Aussi bien les mutuelles que les marchands d'armes ou les avionneurs fournisseurs de l'Etat se trouvent présents dans le capital de nombreux médiats, de nombreuses maisons d'édition où on perçoit mal le caractère positif de leur rôle civique ou intellectuel.
Ayons le ourage de poser la question : qu'y font-ils ?
Il est devenu naturel à trop d'hommes de plume de se situer docilement comme les domestiques de l'Etat : qu'ils ne s'étonnent pas de leur discrédit car je le répète les Français le savent.
Certains diraient : quand le peuple le saura il se révoltera. Hélas, je dois explorer une autre hypothèse, celle que les Français connaissent ou, au moins, qu'ils pressentent ce que nous décrivons et qu'ils votent avec leurs pieds en cessant d'acheter les journaux qui ne les intéressent plus ou en tournant le bouton des radios qui cherchent encore, vainement désormais, à les intoxiquer de leur langue de bois.
En revanche les sources d'informations francophones demeurent encore tributaires de l'AFP. Voila une question qui mériterait, à elle seule, un examen plus détaillé. Car dans la centralisation cette agence d'Etat détient un rôle clef. Sans aucun équivalent dans le monde occidental, elle semble esseulée depuis la disparition de l'Agence Tass soviétique. Cette structure, alimente en désinformations brutes tous ceux qui brodent des commentaires, y compris lorsqu'ils croient exercer une fonction oppositionnelle. Son réseau mondial fait illusion, du moins pour les Parisiens, mais là aussi je rassure nos amis, tout cela est devenu très fragile.
Il suffit de lire et de connaître la manière dont est rédigé un journal comme le Courrier International pour savoir qu'on n'a plus besoin, techniquement, de cette source de renseignements qui dans ma jeunesse, faisait les délices du Monde.
Donc, tous ces gens ne peuvent plus fonctionner sans subsides tirés des deniers publics. Et ceci explique largement leurs prises de positions systématiques en faveur de l'économie de subventions.
Sur la base de tous ces traits structurels, que l'on peut repérer comme une sorte d'étatisme intrinsèque de la presse française, les partenaires privés ne faisant souvent figure que d'obligés du pouvoir ou de simples prête-noms de ses réseaux, se greffent naturellement des tics déformant le réel, qui se révèlent comme autant d'usines à fabriquer le mensonge, parfois même sincèrement.
Le journalisme d'information s'est ainsi transformé en son propre contraire. Nous nous sentons quadrillés, comme dans le fameux roman d'Orwell "1984" : Big Brother nous regarde via ses télécrans. Mais il le fait d'autant plus efficacement, ici, à Paris, que ses agents finissent par croire en leurs propres désinformations. Pis encore, si on évoque la singularité de l'idéologie décadentielle hexagonale, ils s'y rengorgent comme d'un motif de fierté.
Je m'intéresse beaucoup en ce moment à l'œuvre de Mallet du Pan : eh bien, dès ses Considérations sur la Nature de la Révolution publiées en 1793, il annonçait à l'Europe cette extraordinaire identification patriotique des Français aux causes de la destruction de leur pays. Malgré son talent et même son génie, dont je dois la découverte à Jean-François Chiappe, on conçoit que Mallet du Pan ait mauvaise presse y compris à droite.
J'exagère ? Pas du tout : je vous invite à analyser froidement les discours récurrents, à chaque crise, sur l'effondrement proche du capitalisme.
Les gens qui nous le servent récitent, parfois même sans l'avoir lu, le fameux "Foulan". Ce petit livre bleu destiné à la formation des trotskistes lambertistes a été rédigé par Pierre Lambert et Pierre Fougeyrollas comme "Introduction à l'étude du marxisme". Dans sa lecture, la plus bornée, des écrits de Trotsky, les deux auteurs, réunis sous l'unique pseudonyme de Pierre Fou-lan, ont tiré la conviction que la catastrophe économique adviendra inéluctablement. Or ce groupe a formaté les raisonnements de centaines de cadres politiques et médiatiques français qui à leur tour ont propagé le catéchisme.
Trotsky n'a-t-il pas "établi" dès 1938 dans son "programme de transition" que désormais la production ne pourrait plus augmenter ? Les thèses un peu oubliées de Marx sur la paupérisation, — relative aux yeux des modernistes, absolue aux dires des perroquets, — trouvent ainsi toujours une nouvelle jeunesse. Nier cette stagnation, ce recul, cette catastrophe inéluctable fait de vous un fasciste, hier, (sachant que sous cette appellation extensive le communisme a toujours englobé quiconque ose le combattre) et on vous qualifiera comme un ultralibéral aujourd'hui.
Or si la foi explicite dans le trotskisme, s'est quelque peu affadie, le souvenir de l'antifascisme, et les mots d'ordre de l'antilbéralisme demeurent d'autant plus forts.
De plus le catéchisme reçu n'a été remplacé que par le doute. Aucune conviction forte ne lui a été substituée.
Il existe de nombreux cercles assurant le passage du cauchemar des sectes trotskistes au monde réel celui d'une gauche plus respectable ou moins hallucinatoire. L'une de ces associations, sous le nom de Carré Rouge s'emploie même à maintenir le lien entre les anciennes différentes obédiences rivales, sectes violemment opposées les unes aux autres, de la Quatrième Internationale.
En 1979, quand le quotidien Rouge édité par la Ligue communiste révolutionnaire dépose son bilan, 110 journalistes se retrouvent licenciés. Pratiquement tous ont été recasés. Les métastases ont proliféré. Le Monde est devenu le dernier salon où causent les anciens trotskistes. Les anciens maoïstes ont fait Libération.
À l'inverse dans la presse de droite, j'aurais la charité de ne pas publier de liste de ce long martyrologe jamais, ni les armateurs de ces expéditions, ni les sergents recruteurs, ni les serre-files ne se sont inquiétés de laisser 80 ou 90 % des journalistes sur le carreau, avec une belle pancarte d'ancien de telle carlingue certifié inemployable à vie partout où sévit la CGT du Livre ou le syndicat national, etc.
Au contraire la presse de la droite bourgeoise accueille à bras ouverts les anciens gauchistes.
Inutile d'épiloguer sur de telles carences.
Efforçons-nous d'en tirer les conséquences qui s'imposent.
Ne nous étonnons pas qu'un certain nombre de mécanismes destructeurs fonctionnent à plein dans ce que Monnerot repérait déjà comme l'émotionnel et dans le registre "nihiliste", au sens que Nietzsche donnait à ce mot, la destruction décadentielle de toute qui constituait notre civilisation.
Dans le tome III de sa Sociologie du communisme publié en 1949 et dans son volume sur La Guerre qui date de 1950, Jules Monnerot soulignait déjà que tous ces mécanismes correspondaient à une entreprise alors bien précise mais qu'il fut pratiquement le premier à retirer du strict étiquetage géopolitique : non ce n'étaient pas les Russes, mais le communisme qui menaçait l'occident et particulièrement la France. Or il écrivait à une époque où, en dépit d'une pression physique infiniment plus forte du PCF et de la CGT, la Quatrième république donnait beaucoup plus de libertés, et dans tous les domaines.
Depuis les années Mitterrand, jamais corrigées pendant l'interminable et mortifère double mandat de Chirac, la domination des post soixante huitards s'est installée sans droit de cité pour ceux qui la contestent.
Ainsi la vague soixante huitarde a bénéficié de plusieurs facteurs :
Premièrement : la complaisance de fait du pouvoir gaullien puis pompidolien entre 1968 et 1973, s'expliquant elle-même
Deuxièmement par l'autisme technocratique des années 1960 mais également le tracé tunnelier auquel avait excellé un Malraux avec ses soi-disant maisons de jeunes et de la culture, avec un ministère dont l'existence même supposait déjà des effets dévastateurs et décadentiels annonçant ceux du gauchisme.
Et troisièmement, principalement, la technocratie centraliste elle-même, par sa mainmise sur l'Information, sur l'ORTF, etc.… rendant possible le noyautage gauchiste ultérieur.
Remarquons bien les étapes et les enchaînements dont on doit accabler autant les politiciens de la droite jacobine que ceux de la gauche tout au long de ce parcours. Jamais les gens élus par le peuple de droite n'ont su ni voulu s'y opposer, encore moins concevoir des alternatives présentables et durables.
Or un espoir apparaît aujourd'hui.
Les politiques ne jouent aucun rôle dans ce phénomène libérateur.
Il vient de l'obsolescence pratique de toutes les institutions centralisées dont s'étaient emparés les maîtres du mensonge marxiste. Leur bateau coule. Leur audience recule. Leur discrédit les submerge.
Les nouvelles techniques de diffusion ne permettront plus ce système d'un autre âge, caractérisé par l'alliage du tabou et du monopole, du syndicat du livre, de ces messageries sous contrôle cégétiste, des attributions administratives de fréquences hertziennes ou de l'agence unique d'informations tout simplement parce que tous ces rouages disparaîtront et que cela permettra, si nous retrouvons le courage de nous retrousser les manches, une expression plus libre et plus vraie.
JG Malliarakis
Notes
- sur les pressions qui avaient été faites pour tenter (vainement) d’empêcher mon intervention on consultera le fil de discussion du "forum libéré"
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût…… pour les Éditions du Trident.
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