Vous pouvez écouter l'enregistrement de cette chronique sur son lien permanent sur le site de Lumière101.com
La diversité française m'a toujours fasciné. Et en m'arrachant à la Touraine en cette fête provençale de Sainte-Estelle pour me rendre aux confins du Maine et de la Normandie j'eus encore ces derniers jours l'occasion, le temps d'un beau dimanche de printemps, d'admirer cet assemblage de l'Histoire.
Pendant ce temps à Saint-Denis, se tenait, le 25e rassemblement de l'Union des organisations islamiques de France. Mais qu'apprend-on à propos de ce rendez-vous (1), voilà qu'il "se tient en pleine crise des institutions représentatives musulmanes" du fait d'une menace proférée, en date du 3 mai, par le président du Conseil français du culte musulman, "de ne pas participer aux élections visant à renouveler les instances régionales et nationales".
Or de telles déclarations de M. Dalil Boubakeur, recteur de la grande mosquée de Paris, à un mois des élections prévues le 8 juin au sein du CFCM ne devraient prendre personne au dépourvu. Cette institution ne saurait en effet représenter l'islam, ni la communauté théorique des Français d'origine mahométane, mais depuis 1999 une volonté précise du ministère de l'Intérieur.
Lancée par Chevènement, venant lui-même après Joxe et Pasqua, l'idée d'une instance permettant à l'administration républicaine, laïque et obligatoire de négocier collectivement, à propos de leur vie religieuse, avec nos concitoyens de confession musulmane et avec leurs nombreux coreligionnaires établis dans notre pays fut reprise à son compte en 2003 par un ministre devenu depuis lors chef de l'État. De la sorte, ne prêtant qu'aux riches, on lui attribue couramment cette "décision" pourtant votée par l'Assemblée nationale avec l'accord du Sénat, après avoir été proposée par le gouvernement Raffarin et promulguée par le président Chirac. Si l'on doit parler de la mise en place d'un tel dispositif comme d'une erreur, on doit observer qu'elle implique la classe politique dans son ensemble.
On appelle, après tout, ministres réformateurs ceux qui s'emparent des cartons traînant dans les administrations dont ils détiennent pour un espace de temps habituellement court le portefeuille ministériel.
On appelle ce processus une "prise de décision".
Oui, habituons-nous à mesurer comment une telle loi, foncièrement laïciste dans son principe a pu rencontrer depuis son adoption une sorte de nécessité ou de tentation de réviser la loi de séparation de 1905. De celle-ci, accord de circonstance, votée article par article par des majorités différentes, combinaison de désirs contradictoires, les constituants de 1946, et plus encore ceux de 1958, avaient imaginé de l'établir comme un principe intangible, pour ne pas dire : religieux. Erreur sans nul doute, vieillerie certainement, puisque le système considéré n'incluait pas, ne s'appliquait pas à une religion qui depuis lors a pris dans notre pays une importance grandissante.
Dès le départ, à tort ou à raison, le projet d'un islam institutionnalisé "à la française" a donc suscité un certain nombre de réticences. On critique couramment, à gauche, l'actuel président de la république pour son "catholicisme culturel". Un homme qui fait l'éloge du catéchisme, qui considère que "la France de 2004 est majoritairement catholique", qui se rend à Saint-Jean de Latran en qualité de chanoine honoraire de cette basilique et en profite pour faire un vibrant éloge de la foi, ne peut pas donner toute satisfaction aux intégristes barbus de la laïcité, aux gens qui depuis 1877 ont rayé le Grand Architecte de l'Univers de leurs références symboliques et qui gèrent avec tant de talent(s) quelques monopoles historiques bien gardés.
Mais comme le chef de l'État observe également que notre pays n'est "plus seulement catholique", que "si les musulmans ont les mêmes devoirs que les autres Français, ils ont aussi les mêmes droits" ou que "les musulmans ne sont pas au-dessus des lois, c'est vrai, mais prenons garde à ce qu'ils ne soient pas non plus en dessous !", il s'expose bien évidemment à d'autres critiques, d'autres procès d'intention, d'autres formes de dénigrement. Le cardinal Lustiger était allé jusqu'à lui reprocher de vouloir organiser l'islam en "une religion d'État". (2)
L'honnêteté consisterait plutôt à reconnaître que cette institutionnalisation correspond à une très ancienne intention de l'État. L'administration coloniale ne s'en est jamais privée et, contrairement à une imagerie souvent reconstituée le pari n'a pas toujours été perdu. Rappelons au besoin que la laïcité de l'État s'est généralement arrêtée aux limites du territoire métropolitain.
Et puisque nous réalisons l'Algérie française sur un territoire restreint pourquoi ne pas reprendre les bonnes veilles méthodes, et recommencer aussi les bonnes veilles erreurs…
Car en fait d'islam "à la française", depuis 5 ans, on a surtout assisté à une foire d'empoigne entre les influences de divers pays étrangers : État algérien, traditionnellement tout puissant à la Grande mosquée de Paris, marocains, Turcs, fondations séoudiennes, frères musulmans égyptiens : où sont donc les imams français ?
Depuis le départ aussi on doit signaler que Dalil Boubakeur, s'il demeure invariablement le favori de l'administration française n'a jamais été majoritairement mandaté par ses coreligionnaires. En vue des élections du 8 juin, le cher homme remet en cause la règle de proportionnalité entre le nombre de représentants des mosquées et la superficie de la salle de prière, 1 000 m2 donnant droit à 10 délégués. Ceci à l'entendre défavorise sa "fédération nationale de la Grande mosquée de Paris". Celle-ci veut bien participer aux élections, aux dires de son secrétaire national, l'excellent Chems Eddine Hafiz, à condition de garder la présidence et de "garantir la pérennité de notre surface au CFCM, qui est en l'état actuel de 15 %". "Élections, d'accord, si vous m'en garantissez le résultat !" Où sommes-nous ? Dans la crise du Conseil français du culte musulman, ou dans la crise de rire ?
La logique même d'un islam proche de l'État français entraîne, il est vrai, le soupçon et même la nécessité d'une intervention administrative pour "favoriser" cette religion, et en son sein la tendance jugée la plus docile.
Nous nous trouvons ici en face d'une situation d'autant plus complexe, qu'aux ingérences étrangères s'ajoutent les infiltrations fondamentalistes. La peur des musulmans, car phobie, cela veut dire crainte plutôt que haine, génère "l'islamophobie" que nos princes se proposent ordinairement de réprimer : comme si on pouvait aimer qui que ce soit de force.
Au passage M. Boubakeur nous révèle que sur les 25 conseils régionaux du culte musulman, 80 % seraient en état de "faillite" (3) ou plutôt de déliquescence car "ils ne se réunissent même pas".
Cette belle réussite nous semble hélas confirmer le dessin de cette jolie Marianne aux yeux bandés par le vert de l'islam choisi pour illustrer la réédition du livre de René Marchand "La France en danger d'Islam".
JG Malliarakis
Notes
- cf. Le Monde du 10 mai
- Ne parlons même pas des rumeurs répandues, sur le mode "tout sauf Sarkozy", par les réseaux d'une certaine droite extrême, extrêmement obtuse, réseaux adossés aux ex-chiraquiens et pour qui les soupçons d'une complaisance pour l'islamisme n'entrent pas en contradiction avec le reproche d'un alignement allégué sur les États-Unis.
- cf. Le Monde du 4 mai
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût…… pour les Éditions du Trident.
Les commentaires récents