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L'ancienne Rhodésie du sud peut sembler sans doute lointaine, peut-être même insignifiante aux yeux de la plupart des Français. Ce pays de taille presque modeste, recouvre un territoire de 391 000 km2. Première étrangeté, à signaler, on en comprendra vite l'origine : sa population estimée à 13,1 millions d'habitants par la Banque mondiale en 2006 ne compterait plus à en croire Le Monde cette année que 11,7 millions d'être humains. La croissance y est évaluée à - 6,2 % pour l'année 2007. Voilà qui doit certainement satisfaire à la fois les sophistes s'affirmant partisans de la décroissance et les beaux esprits s'alarmant de la surpopulation de la planète. N'en doutons pas, à leurs yeux, il existe une sorte de "modèle" zimbabwéen.
Hélas, ces dernières années, trois millions de personnes ne l'ont pas ressenti comme tel. Elles ont quitté ce petit paradis, pour s'établir notamment en Afrique du Sud – et en Angleterre.
Autrement dit la faillite des régimes étatistes du Tiers-Monde se répercute bel et bien en Europe.
Mais comment trouver de l'intérêt, nous rétorquera-t-on, pour une petite nation n'exportant traditionnellement ni pétrole ni matières premières, simplement du tabac, horresco referens, mais aussi du coton et surtout des cultures vivrières. Or, la misère s'y étend de manière frappante, en même temps que l'hyperinflation, passant de plus de 100 000 % à un rythme évalué à 165 000 % cette année, cela ne semblant guère émouvoir la prétendue "Communauté de développement d'Afrique australe" (SADC), zone d'influence du pouvoir sud-africain. Pourtant, quatre adultes zimbabwéens sur cinq sont au chômage et les produits de base, comme le pain, l'huile ou le sel, ont disparu des magasins. L'espérance de vie est tombée à 36 ans. La Rhodésie d'autrefois pouvait être considérée comme le grenier à céréales de l'Afrique australe. Elle dépend aujourd'hui, pour sa nourriture quotidienne de l'aide alimentaire.
Or, le 29 mars, les 5,9 millions d'électeurs de ce malheureux pays votaient pour élire leurs président, députés, sénateurs et conseillers municipaux. Pudiquement, les dirigeants des pays voisins se sont alors bornés à demander la publication la plus rapide possible des résultats. Ils se savent en fait confrontés à un enjeu considérable, et qui dépasse largement les capacités autonomes d'intervention de la diplomatie régionale.
Mugabe, doyen des dirigeants africains, âgé de 84 ans, détient le pouvoir depuis l'indépendance en 1980. Quelques jours avant l'élection, le "Herald" quotidien gouvernemental de Harare, prévoyait un score de 57 %, le décrivant en route pour un sixième mandat. Banalement le vieux despote fondait sa propagande sur le rejet de l'Occident, accusé de vouloir dicter l'avenir du pays. Et, en toute courtoisie, il qualifiait ses adversaires de "traîtres et de vendus", de "prostitués politiques" et de "charlatans politiques". Suprême injure, il les dénonçait comme "des lécheurs de bottes des Britanniques".
Dans ce genre de vieux pots on croit trop souvent pouvoir faire une confiture invariante.
Il semble, en effet, un peu trop facile ici d'accuser le poids de l'Histoire.
La Rhodésie du Sud, colonie de la Couronne depuis 1923, avait proclamé en 1965, par la voix de son Premier ministre Ian Smith représentant de la minorité blanche une véritable rupture unilatérale avec Londres. Et c'est la Grande-Bretagne qui, finalement a imposé un accord pacifique entre ce régime politiquement incorrect mais économiquement prospère, et les chefs indépendantistes, Mugabe et Nkomo. En 1982 ce dernier, accusé de complot, fut éliminé du pouvoir. Une répression féroce s'abattit sur ses partisans. Elle fera au moins 20 000 morts. En 1989, dernier acte : le parti de Mugabe (Le "Zanu-Pf" union nationale du Zimbabwe front patriotique) absorbe de force le mouvement rival et se transforme en formation monopoliste au service du dictateur. Schéma d'une grande pureté classique.
En 1991, le même Zanu-Pf, comme d'autres pays et partis de la sphère soviétique renonce formellement au marxisme-léninisme et déclare se rallier à ce qu'elle appelle l'économie de marché.
En 2002 après une élection truquée [1] il avait fait l'objet de sanctions relativement douces. Celles-ci visent seulement certaines personnalités proches du pouvoir. Elle comporte pourcertains des interdictions de séjour sur le territoire de l'Union européenne et le gel de leurs comptes bancaires personnels. Mais elles n'ont jamais touché pas la population zimbabwéenne et n'pont occasionné aucun dommage à l'économie du pays.
Bien entendu Mugabe s'est employé à proclamer le contraire, et aussi, très classiquement à diviser ses rivaux. Et, en vue d'affaiblir son principal adversaire Morgan Tsvangirai, chef du Mouvement pour le changement démocratique, on a inventé la candidature de Simba Makoni, "ancien ministre dissident".
Dès le 30 mars cependant Tendai Biti secrétaire général du MDC pouvait déclarer : "Il ne fait aucun doute que nous avons gagné cette élection". Au parlement, le MDC a remporté, dans les deux plus grandes villes respectivement les 12 sièges de députés à Bulawayo et 28 sur 29 à Harare la capitale. Au scrutin présidentiel l'estimation officieuse était que le chef de l'opposition M. Tsvangirai obtenait 50,3 % des voix, contre 42,9 % à Mugabe et 6,8 % à Simba Makoni.
Hélas, dès le 30 mars, au lendemain du scrutin, le réseau ZESN [Zimbabwe Election Support Network] regroupant 38 organisations non gouvernementales du pays, et auquel le statut d'observateur a été reconnu, dénonçait le fait que "le délai dans l'annonce des résultats alimente les spéculations selon lesquelles quelque chose se trame".
Les forces de l'ordre étaient maintenues en état d'alerte maximum.
Le pouvoir avait refusé, cette année, la présence d'observateurs européens et américains.
Craindre des violences, à l'instar des troubles que vient de connaître le Kenya relève hélas du réalisme : "seule une personne, affirment les observateurs bien informés, empêche encore le président désavoué quitter le pouvoir, le chef de l'armée" Constantine Chiwenga.
Or, comme dans tout régime marxiste léniniste qui se respecte, les forces armées ne sont nullement négligeables : elles comptent 29 000 hommes [2] auxquels il convient d'ajouter 22 000 paramilitaires. Le Zimbabwe est même intervenu militairement en 1998 au Congo-Kinshasa, ses derniers soldats n'ayant quitté le pays que fin 2002.
La désastreuse réforme agraire de 2000 s'est elle-même basée sur des occupations souvent violentes de fermes expropriées au profit des partisans de Mugabe. Elle s'est soldée par le départ de quelque 4 000 des 4 500 fermiers.
Tsvangirai et Makoni se sont tous deux engagés, s'ils sont élus, à revenir sur cette réforme et à essayer de faire rentrer les exilés.
Au contraire, Mugabe n'entend pas changer de politique économique. Il a seulement promis des tracteurs et des engrais, ce qui ne saurait suffire pour relancer la production agricole, en chute libre depuis la réforme agraire.
Pis encore, au début du mois de mars 2008, Mugabe a officialisé une "loi d'indigénisation", destinée à empêcher le retour de fermiers dont le principal tort consistait en leur origine européenne. Désormais selon cette loi raciale plus de 50 % du capital de toute entreprise devra être détenu par des Zimbabwéens noirs.
Et, bien entendu Mugabe rejette la faute des difficultés sur les sanctions occidentales. Sa démagogie ne connaît pas de limite. Un correspondant étranger rapportait récemment les propos d'une jeune mère de famille, qui "ne lui tient pas rigueur de ses difficultés actuelles : Je vais voter pour le président Mugabe. Ainsi, je suis sûre d'avoir un logement décent. Le gouvernement l'a promis et je le crois".
Hélas le vieux dictateur fait aussi confiance à des "arguments" plus forts que la simple démagogie… Il compte sur l'aide des "pays amis comme la Chine ou le Venezuela".
Tiens donc ! Le 16 avril, le cargo chinois An Yue Jiang, transportant des armes et des munitions à destination du Zimbabwe était autorisé par les douanes sud-africaines à décharger sa cargaison sur le port de Durban. Le quotidien sud-africain Beeld, qui a révélé l'information [3], a précisé que le bordereau de livraison, émis le 1er avril de la marchandise destinée au ministère de la défense à Harare incluait des fusils d'assaut, des mortiers et des grenades, et qu'il datait de 3 jours après le scrutin.
La Chine n'a cessé d'apporter son soutien à Mugabe. Elle use de son droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU pour bloquer tout débat sur le Zimbabwe.
Le feu vert de l'Afrique du Sud à la livraison d'armes chinoises souligne également la complaisance de Pretoria. Et chacun remarque que le funeste président sud-africain Thabo Mbeki, mandaté il y a un an par les pays d'Afrique australe pour relancer le dialogue entre le pouvoir et l'opposition au Zimbabwe, observe un silence assourdissant.
Parallèlement l'organisation de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch (HRW) a dénoncé le 19 avril l'existence de "camps de torture", où le parti au pouvoir passe à tabac des sympathisants de l'opposition.
Le message [4] de l'ex-archevêque anglican et prix Nobel de la Paix sud-africain Desmond Tutu reflète une grande inquiétude. À l'attention du président désavoué, il déclare en effet : "Quand votre temps est écoulé, votre temps est écoulé !" et il reconnaît qu'une "force mixte composée d'Africains et autres" risque fort de se révéler bientôt indispensable au maintien de la paix et à la protection des droits de l'Homme. "Je suis tout à fait enclin, souligne-t-il, à apporter mon soutien à tout ce qui pourrait éviter un éventuel carnage."
Mme Rice qualifie désormais dans ses discours le président Robert Mugabe, de "honte pour l'Afrique australe et pour le continent africain tout entier".
Mais comme jusqu'ici l'Amérique paraît occupée ailleurs l'idée se fait jour d'une intervention européenne et dès le 2 avril, le ministre slovène des Affaires étrangères Dimitrij Rupel, au nom de la présidence de l'Union européenne, prenait position constatant que Mugabe "avait perdu les élections".
L'Europe attendra-t-elle le 1er juillet et la présidence française pour passer à une phase plus active ? La question me semble mériter d'être posée. Car la faillite des régimes tiers-mondistes se répercute bel et bien en Europe.
JG Malliarakis
Notes
- La même année, son modèle et ami Chirac l'emportait lors d'un scrutin régulier mais atypique.
- évaluation 2006 par l'Institut international des études stratégiques
- rapportée par Le Monde dans son édition du 19 avril
- entretien sur BBC 4 le 16 avril
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