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Au moment où ce texte sera en ligne, le film magnifique de Pavel Lounguine sera probablement très difficile à voir sur les écrans français. Apparu le 9 janvier, ce 6 février, au bout de 4 semaines 15 cinémas en France le diffusent encore. Profitez-en avant qu'il disparaisse et que sa circulation se limite au DVD (1).
De nombreux amis avaient eu l'occasion de le voir en Russie, ou dans diverses projections privées. Tous ont eu la même réaction : il s'agit d'un chef-d'œuvre et d'un film authentiquement chrétien et spécifiquement orthodoxe.
Hélas, en dehors du site orthodoxie.com qui permet de se tenir au courant au jour le jour de tous les événements intéressant cette communauté en France, et qui a diffusé une intéressante et fort élogieuse recension du Responsable officiel de la communication de l'Assemblée des Évêques Orthodoxes de France M. Carol Saba - ces jugements très positifs ont été fort peu rendus publics. On se consolera par conséquent en se représentant une carrière plus confidentielle en France. Dès qu'il sera disponible le CD circulera de main en main. Et finalement cette circonstance permettra peut-être une meilleure explication, loin des débats piégés de l'actualité tapageuse. Cette discrétion sera peut-être plus conforme au génie de la vraie foi.
Une fois n'est pas coutume je citerai d'abord deux recensions du film, l'une du Nouvel Observateur en date du 10 janvier, l'autre de l'Humanité, eh oui ne date du 9.
Voilà ce qu'écrit le critique du Nouvel Obs, M. Pascal Mérigeau :
"Un miracle pour commencer l'année, ça vous dirait ? Si oui, vous adresser à Anatoli, un moine opérant sur une île au milieu d'un océan de neige et de glace, quelque part très au nord. Un peu loin et compliqué, peut-être ? Soit. Plus simple, alors, et plus sûr aussi : courez voir le nouveau film de Pavel Lounguine. Le cinéaste y retrouve Piotr Mamonov, rock star russe qui tut le saxophoniste de son premier film, «Taxi Blues». Une manière pour Lounguine de refermer une boucle, lui qui a passé plusieurs années en France à réunir les fonds qui lui permettaient de financer les films qu'il tournait en Russie. Les sources se sont taries, c'est en Russie qu'aujourd'hui l'argent coule à flots, c'est là-bas qu'il vit et travaille désormais, là-bas que «l'Ile», sorti en novembre 2006, a remporté un succès considérable et fait ainsi la nique aux superproductions hollywoodiennes. Il a fallu plus d'un an pour qu'un distributeur français (le coup de chapeau va à Rezo Films) se décide enfin à le sortir, mais peu importe, le film est là, dont la beauté sereine et la profondeur font le prix. «L'Ile» vient au moment opportun, son triomphe russe en témoigne, et répond sans se pousser du coude à un besoin de spiritualité jamais plus réel que quand non proclamé."
Plus surprenant encore, nos ennemis préférés de la bonne vieille Huma, qui tout en passant à côté de la dimension religieuse qui leur échappe bien évidemment, impriment malgré tout :
"Il arrive qu’une image qui s’attarde, apparemment inutile dans le fil d’une action, et qui à coup sûr serait vite expédiée, sinon coupée, dans un film soucieux d’aller droit au but de la démonstration, fasse qu’on s’attache à une histoire qu’elle colore tout à coup. Ainsi en va-t-il de ce bateau d’enfant, bout d’écorce de pin, minuscule voile en papier qu’un moine met à l’eau dans la mer Baltique. C’est dans l’Île, de Pavel Lounguine, et l’on suivra ce jouet ridicule un bon moment, tournant en rond, donnant de la bande, chavirant mais insubmersible et qui porte à Dieu les voeux de ce moine passablement détraqué. On aime que le cinéaste consacre tant de temps à cette navigation, car on sait alors que c’est tout ce film un peu fou qui avance comme cet esquif lancé sur une mer trop grande pour lui. On pourrait, comme pour l’Homme qui marche, dire que Pavel Lounguine est tombé un jour sur ces îles du grand Nord, mer glauque, neiges fondues, maisons de bois et qu’il s’est dit qu’il ne pouvait se passer là que des évènements extraordinaires. Ainsi est né son personnage moine demeuré, rongé par le souvenir d’un meurtre qu’il commit par lâcheté dans une autre vie, sa vie sociale. Chauffeur de chaudière cloué à son travail de forçat, il s’est inventé un double caché, le père Anatoli faiseur de miracles à sa place. On pense bien sûr à Dostoïevski, poids et délectation du péché qui sauve les âmes, mais le film est loin de s’y réduire. C’est la folie d’un lieu perdu qui est ici première et parce que, de l’antre noir où opère le moine chauffeur aux horizons noyés de brumes d’où émerge un bateau, un vrai, le cinéaste filme jusqu’à l’obsession ce paysage, on sait bien que ce n’est pas l’histoire d’un seul homme qu’il raconte, aussi singulier soit-il. Cette île est l’image d’un monde malade, rongé par le mal, assoiffé de beauté. Qu’il ait su le dire sans grand discours, en arpentant patiemment quelques kilomètres carrés de terre et d’eau fait sa force."
Dans La Croix du 8 janvier M. Nicolas Senèze avait publié l'excellent papier suivant que je cite donc intégralement :
"Une plongée au coeur de l'âme russe.
Engageant son héros sur le chemin de la rédemption, Pavel Lounguine part à la découverte du trésor spirituel de l’orthodoxie
«Pour dire du bien de la Russie, Pavel Lounguine a dû venir explorer l’âme orthodoxe de son peuple !» Cette remarque d’un spectateur, à la sortie d’une avant-première de L’Île, résume bien l’atmosphère du huitième film du réalisateur russe, surtout connu pour ses satires sociales de l’ère post-communiste.
Dans cette description de la vie d’un petit monastère du nord de la Russie à l’époque soviétique, Pavel Lounguine (prix de la mise en scène à Cannes en 1990, avec Taxi Blues) plonge au tréfonds de l’âme russe. Sans aucun doute, les spécialistes noteront nombre d’invraisemblances sur la vie monastique orthodoxe. Mais là n’est pas le propos de ce film magnifique qui est avant tout un portrait de la Russie spirituelle, entre prière du cœur et psaumes maintes fois remâchés.
Au centre du film, le P. Anatoli (campé par l’incroyable Piotr Mamonov), ancien marin qui, après avoir trahi son ami pendant la Seconde Guerre mondiale pour sauver sa propre vie, s’est échoué sur une petite île où des moines l’ont recueilli. Devenu un « starets », dans la tradition de ces pères spirituels si importants dans la vie religieuse russe, le vieux moine fantasque, tout à la fois guérisseur, devin et conseiller, a acquis une réputation de sainteté.
De toute la Russie soviétique, on vient le visiter, lui demander conseils et prières. Mais le vieil homme, tourmenté par la faute qui l’a mené au monastère, se sent indigne de cette sainteté et sème le trouble dans son monastère.
Car le P. Anatoli est aussi un «fol en Christ» facétieux et farceur, un vagabond de Dieu, personnage clé de l’orthodoxie russe, qui simule la folie des hommes pour mieux symboliser celle de la vie chrétienne. Pour le "fol", le renversement des valeurs morales, les jongleries du non-sens, de la déraison, manifestent une très sérieuse quête du sens, résume ainsi le P. Michel Evdokimov, qui leur a consacré un livre(2).
Portant la faute de sa jeunesse comme un fardeau, le P. Anatoli est en quête de rédemption. Jouant sur le thème de la culpabilité, Pavel Lounguine reprend un sujet cher à la littérature russe, de Dostoïevski à Tolstoï. Et essentiel dans la spiritualité orthodoxe où le pécheur n’est jamais confiné dans sa faute.
C’est en bousculant son supérieur, le P. Philarète (Viktor Soukhourov), à qui il rappelle sans cesse la nécessité de la pauvreté, en scandalisant le P. Job (inquiétant Dmitri Dioujev) par ses questions qui ramènent l’ambitieux moine sur le chemin du sens de la foi, que le P. Anatoli finira par trouver le pardon."
Pavel Lounguine est un grand cinéaste.
Né à Moscou en 1949, il est connu pour des œuvres parfaitement profanes, comme Taxi Blues (1990) ou Un nouveau Russe ("Oligarkh" 2002) dont les critiques parisiens ont aimé à dire des clichés du genre : ils "expriment l'absurdité de l'âme slave", ou qu'ils "n'en finissent pas d'autopsier la Russie".
Ici, tout au contraire d'une autopsie, il est invoqué une renaissance : celle du christianisme, et elle s'affirme très précisément sur les lieux de la plus grande et de la plus sanglante persécution subie durant toute l'Histoire. Et cette œuvre-là exprime une dimension évidemment beaucoup plus profonde de sa société et des aspirations intimes de son peuple.
Une infinité de détails mériteraient d'être soulignés. Car au cinéma on les suppose toujours parlants et jamais fortuits.
Tout d'abord si le temps et le lieu du film le situent indiscutablement à tel endroit (une île de la Mer Blanche) et à telle époque (40 ans peut-être après la seconde guerre mondiale) aucune indication plus précise ne nous est donnée.
On sait par exemple qu'il s'agit en fait des îles Solovki.
De cet horizon aucun Russe ne peut ignorer l'histoire terrible, celle de milliers de fusillés notamment au cours de l'année 1938.
Mais son drame n'est jamais évoqué. La (petite) communauté monastique se trouve dépeinte en dehors de toute surcharge passagère : on ne sait quelle part elle a subi d'une persécution infligée à toute l'Église.
Dans chaque symbole chacun pourra investir sa propre interrogation, comme pour l'exorciser.
Faut-il donc voir par exemple dans la jeune veuve possédée par un démon précis qui crie comme un oiseau, la représentation d'une nation cherchant à se voir délivrée de ses péchés ? Sans doute, estimera-t-on, puisqu'il s'agit toujours de cela en définitive, et ceci depuis la plus ancienne Histoire d'Israël.
C'est en effet la fonction de toute symbolique et de toute parabole de s'exprimer de la sorte.
On doit aussi insister sur le caractère spécifiquement orthodoxe de l'œuvre. Pour un catholique, le paradigme du chrétien c'est probablement le prêtre, voire le prince lorsqu'il est proche de l'évêque. Pour un orthodoxe la figure du moine, celle du "fol en christ", celle du pèlerin priment toute autre conception, toute hiérarchie. Dans l'île on entrevoit un desservant du culte, probablement de passage. Ce prêtre est venu assurer un office liturgique. Nulle notion non plus de ces grands ordres monastiques si importants dans l'Histoire de l'Occident.
Cela confère au drame – car dans son apparente immobilité, l'île est le lieu d'une action spirituelle, d'une quête de délivrance – un ton de liberté absolue, celle des enfants de Dieu.
Mais que raconte donc cette Histoire, lente, poétique, bercée des images d'une nature à la fois sublime, blanche et désolée ? Le meurtre du frère.
Elle ne commence pas en 1942, comme on le croit au début, quand deux marins se trouvent confrontés à ce que Staline appellera bientôt la "Grande guerre patriotique".
C'est en fait une affaire de tous les temps, qui remonte à Abel et Caïn. Pourquoi celui-ci a-t-il tué son frère ? Parce que l'Éternel n'avait pas reconnu à sa juste part la valeur de son offrande ? La Bible nous laisse donc entrevoir, au-delà de cette explication un peu mystérieuse, bien autre chose sans doute : une structure de péché beaucoup plus profonde que la "lutte des classes entre les éleveurs et les agriculteurs", à savoir la puissance secrète et diabolique du ressentiment.
Reste à reconnaître d'ailleurs que rien de tout cela n'explique la faute si lourde dont le Père Anatoli cherche la délivrance.
Très belle aussi l'évocation de l'exorcisme et de la guérison : car l'orthodoxie, et elle d'abord, a quelque chose à dire à notre époque sur les maladies de l'âme qu'on voudrait toujours ne réduire qu'à la psychiatrie et, même pour certains qu'à la seule chimiothérapie.
Mais tant d'autres choses resteraient à dire sur ce film… À pied, à cheval, en voiture, cherchez à le voir et à le faire connaître autour de vous !!
JG Malliarakis
Notes
- → À ce jour voici le lien des salles le projetant encore : http://www.allocine.fr/seance/film_gen_cprojection=129494.html
- Pèlerins russes et vagabonds mystiques, Cerf, 224 p., 24 €.
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût…… pour les Éditions du Trident
Ça m'a donné envie de le voir. J'aime bien les films inquiétants au fond historique.
Rédigé par : meilleur site de casinos | mercredi 26 nov 2008 à 23:47
Film en effet remarquable, profond, juste montrant le sens de salut et de sainteté tel que l'Eglise Orthodoxe l'enseigne. Hélas peu diffusé en France et souvent mal compris de la part de français (parfois prétendus "orthodoxes") qui ont perdu les clés d'interprétation d'un tel film. Disponible à La Procure et à http://www.librairiecatholique.com. Fideliter
Rédigé par : Sava | jeudi 11 déc 2008 à 16:32