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Ce 24 janvier les éditions du Cerf annonçaient la publication d'un Livre Noir de la Révolution Française auquel de remarquables auteurs (1) ont apporté chacun leur pierre.
Cet édifice rendra certainement d'éminents services. Il corrigera par exemple l'erreur commune à tous ceux qui considèrent naïvement encore que cet épisode affreux de l'Histoire a jeté les bases du modèle mondial pertinent d'une société de liberté.
Sur cette référence abusive on greffe de manière encore plus dérisoire les termes "d'égalité" et de "fraternité". On récusera respectivement la récupération de l'une comme de l'autre.
Le premier concept prête singulièrement à rire eu égard aux immenses enrichissements d'un petit nombre d'accapareurs de biens nationaux, de munitionnaires et de profiteurs (2). Le second sonne encore plus faux pour peu qu'on accepte de prendre en compte les terribles déchaînements de haine et de ressentiment qui préfigurèrent alors l'entreprise totalitaire communiste (3). Globalement ces mots de fraternité comme d'égalité ne veulent rien dire dans un tel contexte. Même au paradis, ce lieu de verdure et de repos auquel je crois, l'égalité n'existe pas.
Dans toutes les bonnes bibliothèques ce nouveau livre voisinera donc utilement avec l'indispensable "Coût de la Révolution française (1987) de René Sédillot, richement complété par le "Coût de la Terreur" (1993) (4).
En gros donc, il faudra bien un jour ou l'autre se rendre, par ailleurs, à l'évidence que cette "farce sinistre et inutile" (Nietzsche) s'est traduite globalement par l'abaissement et par le discrédit durables de la France en Europe. Sédillot, après d'autres, l'avait démontré de manière comptable, froide, mécanique, objective. Le Livre Noir du Cerf y ajoutera une touche morale : l'erreur se traduit par l'horreur.
Reste à entreprendre, ou plutôt à restituer une autre vérité. Oubliée de nos jours quoique le XIXe siècle n'ait jamais cessé de s'en persuader, elle se formule de la sorte : non, la Révolution n'est pas un bloc !
Le fameux apophtegme auquel il s'agit de répondre fut énoncé par Clemenceau et il fonctionne très efficacement à l'état de slogan. Il fait aujourd'hui le bonheur de gens qui se contentent de citations coupées de leur contexte.
Rappelons-leur le cadre dans lequel le "bloc" fut ainsi théorisé. La scène se déroule à l'Assemblée nationale en 1891, exactement le 29 janvier. Le gouvernement radical-socialiste de Freycinet (5) vient d'interdire une pièce de Victorien Sardou, intitulée "Thermidor", et dont le blasphème consistait simplement à faire l'apologie de Danton face à Robespierre. On s'achemine vers la formule du bloc des gauches qui caractérisera la politique laïciste d'Émile Combes. En 1901 encore Waldeck-Rousseau affirmera : "Il faut choisir : être avec la Révolution et son esprit ou avec la contre-révolution contre l'ordre public". Les Français durent attendre 1907 pour que soit abolie, enfin, la censure du théâtre.
Lorsqu'elle fut formulée, en 1891, l'affirmation de la théorie faussement historienne du "bloc" tendait donc seulement à justifier, une mesure liberticide et mesquine.
Dans l'esprit du vieux républicain radical Clemenceau, fils spirituel d'Auguste Blanqui, adepte du programme de Belleville déclamé par Gambetta en 1869, écarté de la vie politique comme "chéquard" de Panama en 1892, la France était donc née en 1789 et ses vagissements criminels d'août-septembre 1792 et autres fureurs sanglantes de 1793-1794 doivent être applaudis comme on le fait, des exploits incertains de l'enfant, dans trop de cercles de famille. Tout adepte d'une autre vision de la patrie, tout homme de droite par exemple, flétri par avance du parfum de l'opprobre attaché à la réaction, ne pouvait à ses yeux servir que d'appoint occasionnel à son jacobinisme.
La fameuse Union sacrée de 1917 répondit à ce funeste besoin. Rappelons que sa guerre à outrance conduisit, entre autres catastrophes, au système européen explosif issu des traités et autres échafaudages montés à Versailles et à Trianon, Saint-Germain-en-Laye, Neuilly et Sèvres en 1919-1920. Le refus en 1917 de la proposition d'une paix séparée, qui eût pourtant évité tant de drames et d'humiliations à l'Europe, devrait suffire à disqualifier l'autorité péremptoire de son jugement historique parfaitement faillible.
Hélas, encore aujourd'hui, la si courte mémoire légendaire des Français n'entend se souvenir, quand elle y parvient, que d'un Clemenceau "Père la Victoire", et à oublier le reste.
Il faudra donc bien entreprendre la démonstration patiente de la vérité à propos du jacobinisme dans le paysage d'ensemble de la période commencée dès 1787 et qui se prolonge jusqu'en 1815.
Cet amas de crimes, de guerres, de vandalisme et d'utopies n'exprime aucune logique architecturale. Ses décombres ne forment, en fait, aucun bloc pas plus, d'ailleurs, que ni les diverses strates de l'émigration, ni les partis modérés successivement écartés entre 1789 et 1794, ni non plus les victimes de la Terreur, ne peuvent être considérés comme formant de part ou d'autre, des réalités homogènes.
À ne lire que les tableaux contrastés des excès indéniables ou des quelques bienfaits de la période, classés en débit et crédit, on entre aisément dans une erreur de perspective. On en retient l'impression que le drame ne se serait déroulé qu'entre deux camps, celui de Robespierre et du comité de salut public d'un côté, celui de Calonne et des frères du roi de l'autre. Cette vision réconcilie d'ailleurs les deux partis extrêmes. Absolutistes et jacobins d'hier et d'aujourd'hui s'en accommodent parfaitement et s'en nourrissent.
Tout bilan trop schématique des événements commencés au milieu des années 1780 induit une logique historiquement fausse. N'oublions pas que dès Thermidor (juillet 1794) et plus encore à partir de Brumaire (novembre 1799) la France cherche à se reconstruire sur des bases écartant précisément les deux ornières du jacobinisme et de l'absolutisme. Au contraire les monarchiens de la Constituante et de la Législative (Jean-Joseph Mounier comme Pierre-Victor Malouet notamment) persécutés par les plus sectaires imbéciles de l'émigration, se rallient à l'œuvre du Consulat, tout en récusant tous (5) la marche de Bonaparte vers la dictature et vers l'empire. La pensée dominante du XIXe siècle, celle qui inspire les travaux d'un Thiers, rejette à la fois la Terreur jacobine, la centralisation et le bonapartisme. Il faut attendre un Thomas Carlyle, dont "l'Histoire de la révolution française" sera traduite en 1864, pour que ce long drame soit sérieusement envisagé comme un tout. Encore s'agit-il d'une œuvre essentielle méprisante cependant que d'autres écrivains comme Michelet ou Louis Blanc cherchent, alors péniblement, à faire accepter leurs thèses par le parti républicain.
Doit-on considérer comme exclusivement de droite le programme de Nancy se proclamant "républicain socialiste nationaliste" ? Je ne sais. On doit, en tout état de cause, regretter qu'à droite, l'influence nationaliste qui se développe à partir des années 1890 affichant d'ailleurs des raisons différentes, chez Barrès et plus encore chez Maurras, ait conduit à évacuer les distinctions entre les diverses tendances et phases de la révolution et de son héritage.
Opposons un seul exemple : la première conception, celle qui prévaut entre 1787 et l'été 1789, celle qui s'affirme encore lors de la fameuse messe du champ de Mars du 14 juillet 1790, se réclame du fédéralisme.
Et jusqu'à l'épisode de Varennes (juin 1791) rien ne permet de penser que la France serait devenue majoritairement républicaine, et encore moins jacobine etc.…
À vrai dire je suis porté à penser et à dire ici que le peuple français ne prendra vraiment sa place dans l'Europe en construction qu'en revenant aux aspirations fondatrices de ce que le comte de Chambord appelait "le grand mouvement de 1789", tout en rejetant la part putride de l'héritage.
Non par conséquent la révolution ne doit pas être considérée comme un bloc.
JG Malliarakis
Notes
- Pierre Chaunu, Jean Tulard, Emmanuel Leroy-Ladurie, Jean Sévillia, et Jean-Christian Petitfils sous la direction du P. Renaud Escande.
- Ceux dont la descendance constitue les Dynasties bourgeoises.
- Cf. Monnerot Sociologie du communisme.
- Je n'ose évidemment citer les titres que j'ai moi-même édités sur la matière, pensant faire œuvre utile.
- Dans le tome II de ses Dynasties bourgeoises Emmanuel Beau de Loménie évoque les méfaits de la politique subventionnaire de ce praticien des "grands travaux", ancêtre du néo-keynésianisme et de la "relance budgétaire" dont se gargarisent aujourd'hui aussi bien un François Fillon ou un Strauss-Kahn dans leurs interventions à Davos les 24 et 28 janvier qu'un George Bush dans son discours sur l'état de l'Union du 28 janvier à Washington.
- Le cas du génial journaliste monarchien Mallet du Pan, mort à Londres en 1800, doit être mis à part. Il ne se fût certainement pas rallié à l'Empire, mais dénonçant dès le départ et de manière prophétique la dimension militaire du phénomène jacobin rien ne permet de considérer qu'il se serait rallié. J'essaye d'en exposer le cas dans ma petite introduction à ses Considérations sur la Nature de la Révolution la suite du titre est importante puisqu'il explique en 1793 "les causes qui ne prolongent la durée"…
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût…… pour les Éditions du Trident.
Quelque soit l'intérêt des lignes qui précédent , je me dois de rappeler que la révolution dite francaise c'est fondamentalement la persecution de Dieu et du roi.
La révolution s'est fidélement tenue à ce programme au moins jusqu'en 1801 (Concordat) , s'agissant de Dieu et 1814 pour le roi (retour de Louis XVIII).
Clémenceau a donc raison, la révolution constitue donc bien un bloc, et nous ne pouvons donc la condamner qu'en bloc.
Rédigé par : Charte de Fontevrault (Alain TEXIER) | lundi 04 fév 2008 à 14:04
J.G.M. se laisse abuser par son anti-jacobinisme.Certes il a raison de le dénoncer, mais le fédéralisme révolutionnaire s'inspire des mêmes faux principes de "liberté" sur la nature de l'homme et de la société, qui n'en ont que l'apparence,mais s'éloignent de la stricte conception des corps intermédiaires et de la subsidiarité. A.Texier ( Charte de Fontevrault) a tout à fait raison: le mal révolutionnaire est beaucoup plus profond: c'est en cela que la Révolution forme un bloc.
Michea a très bien analysé la situation. JGM devrait relire le "Pour qu'il règne" de J. Ousset.Il éviterait ainsi de s'égarer dans le libéralisme destructeur des vraies libertés.
Rédigé par : Guillemaind | jeudi 07 fév 2008 à 22:37
Le carreleur qui se prend pour un économiste devrait nous faire grâce des trois mauvais livres qu'il a lus et s'interdire de parler du libéralisme auquel il ne comprend rien, et ne comprendra jamais rien.
Est-ce que Jean-Gilles Malliarakis se prend pour un carreleur? Non. Pourtant, lui non plus n'a jamais appris ce métier, comme Guillemaind n'a jamais appris celui d'économiste, et ne saurait même pas comment faire pour l'apprendre.
On peut commencer par lire les Harmonies sociales de Frédéric Bastiat aux Éditions du Trident
Rédigé par : Vincent Jappi | samedi 16 fév 2008 à 04:56