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Le début du processus de ratification par voie parlementaire du traité de Lisbonne a commencé ces 15 et 16 septembre à l'Assemblée nationale. Ne doutons pas que les groupes souverainistes de droite et de gauche vont chercher, ils en ont déjà commencé la démarche, à développer une agitation sur le thème du recours référendaire croyant possible de renouveler le rejet de 2005 si largement occasionné par l'impopularité et les maladresses de Chirac.
Indépendamment de toute évaluation du rapport de force entre cette campagne et le pouvoir d'État, – lequel ne saurait se soustraire aux obligations européennes qu'il a souscrites, et largement annoncées lors de la campagne présidentielle de 2007, – il nous paraît intéressant d'évoquer la logique ultime, la doctrine sous-jacente des actuels souverainistes.
Contrairement à ce que l'on entend si souvent il peut difficilement être invoqué une filiation gaullienne. C'est le général De Gaulle qui, à partir de 1958, a joué le rôle décisif dans la ratification et la mise en œuvre du traité de Rome, et dans son évolution vers le concept de "construction européenne" dont tout découle. C'est son successeur immédiat et son collaborateur le plus fidèle Georges Pompidou qui a accepté, et fait avaliser par voie référendaire en 1971 l'entrée de la Grande Bretagne dans cette Europe en gestation. Ne parlons même pas du traité de 1963 associant la Turquie à l'union douanière dont, 30 ans plus tard, sous l'impulsion de M. Alain Juppé elle a été acceptée en tant que membre à part entière.
Ainsi donc le souverainisme d'aujourd'hui, en tant que courant de rejet de ce que ses sympathisants appellent "l'Europe de Jean Monnet", ne saurait se réclamer du gaullisme d'hier.
Il existe sans doute un souverainisme de gauche : il prend racine sans difficulté dans la filiation qui mène du jacobinisme de 1793 au parti communiste français tel qu'il fut relooké et rebaptisé après la liquidation formelle du Kominterm par Staline en 1943.
Nous pensons qu'un très petit nombre de nos lecteurs seaient éventuellement amenés à se poser des questions quant à la pertinence de ce dévoiement du patriotisme.
En revanche on peut s'interroger quant à la parenté possible du souverainisme et du maurrassisme.
Tel est donc mon propos du jour.
D'abord, reconnaissons que beaucoup de choses nous séparent de Maurras.
En relisant son Dictionnaire politique et Critique édité en 1932, nous mesurons à quel point certaines de ses ambiguïtés comme de ses imprécations sont devenues hors d'âge voire odieuses quand il s'en prend aux prétendus Quatre états confédérés. Inutile d'épiloguer : sur son antisémitisme nous nous permettrons quand même de rappeler que Marx et son compère Engels ont écrit encore pire.
Reste que l'ombre de Maurras plane encore, en bien comme en mal, sur la pensée politique française.
1° En négatif, n'hésitons pas à souligner son inculture économique absolue.
Quand en 1926 par exemple au plus fort du cartel des gauches "plusieurs milliers de commerçants et d'industriels réunis salle Wagram avaient émis le vœu que le parlement soit privé de tout pouvoir financier" (1), à cette préoccupation légitime dans son contexte de fiscalisme grandissant, ambiguë par sa formulation, Maurras répond doctement, par des considérations historico-littéraires.
Et il conclue par cette proposition inouïe : "le transfert du pouvoir financier d'une Chambre souveraine aux états particuliers, et le cas échéant aux États Généraux est devenue l'idée qui flotte dans l'air". On se rapproche ainsi de ce qui s'appellait déjà, depuis 1922, la Synarchie, drapée dans les plis de la corporation, ou plutôt dans l'illusion d'un ordre corporatiste, autre idée surannée. Mais Maurras et l'Action française trouvent cela très bien.
Il poursuit donc "la logique de la Nature, plus forte, plus vive et plus pénétrante que celle de l'Esprit, est en train de la fortifier, de la propager, de l'accréditer" [permettez-moi de trouver la phrase aussi belle que l'idée me semble fausse, et profondément païenne]. Et Maurras conclut : "elle l'imposera".
Myopie historique évidente ! L'idée dangereuse qui se fait jour au cours des années 1920, dans divers pays européens, et qui durera une dizaine d'années, avant de dégénérer, tendait alors à ce qu'on appelait la dictature du ministère des Finances. Avec sa dérivation corporatiste et antiparlementaire la droite française va se fourvoyer dans ce sens.
On n'accablera pas non plus l'absence de sensibilité musicale d'un auteur dont la "Musique intérieure" reste malheureusement paralysée par sa surdité – dont il décrira lui-même non sans esprit "la tragi-comédie". Hélas cette infirmité l'empêchera de comprendre quoi que ce soit à l'Allemagne, en laquelle il ne veut voir que la terre des "nuées philosophiques".
2° En bien, au contraire, on reconnaîtra à cet héritage la volonté d'une nécessaire rupture avec le jacobinisme.
Une première curiosité toutefois : la place finalement petite et tardive (l'Action française est née en 1899) de l'analyse du fait révolutionnaire. Car contrairement à tous les auteurs monarchistes du XIXe siècle, de toutes nuances, contrairement à un Hippolyte Taine qui consacre la deuxième partie de ses "Origines de la France contemporaine" à la "Conquête jacobine", contrairement au magistral Charles Freppel, Maurras n'a pas écrit véritablement de critique générale ou d'étude systématique de la Révolution française.
L'intéressant volume intitulé "Réflexions sur la révolution de 1789" ne date que de 1948, c'est-à-dire, de la fin de sa vie, certes consacrée à la lutte contre les idées révolutionnaires, mais tout cela ne constitue qu'un recueil de textes disparates. Cette compilation d'articles épars se révèle parfois éclairante, consacrés à Jean-Jacques Rousseau, à la démocratie en général, etc… Mais les périodes si contradictoires de la Constituante, de la Législative, des diverses phases de la Convention, du Directoire, du Consulat et de l'Empire ne semblent guère le préoccuper.
Pour lui comme pour Clemenceau "la Révolution est un bloc".
En 1932 lorsque paraît l'immense Dictionnaire politique et critique aucun article ne répond à la question du jacobinisme. À la lettre "J" on trouvera en revanche un article instructif consacré à l'inoubliable Janicot Gustave, etc…
Ce sont ses deux principaux disciples Léon Daudet d'une part avec "Deux idoles sanguinaires. La Révolution et son fils naturel Bonaparte" publié en 1939 et Jacques Bainville avec son magistral "Napoléon" en 1931 qui nous fournissent les meilleurs éclairages sur le sujet.
3° Au total, cependant, cet héritage contrasté ne saurait se voir en aucun cas assimilé ou annexé à ce qu'on appelle aujourd'hui le souverainisme qui n'exprime jamais que la synthèse dégénérée des filiations jacobines et bonapartistes, en aucun cas la continuation du félibre de Martigues et du Chemin de Paradis.
En 1900 Maurras reconnaît admirablement, selon moi:
"Je ne sais pas du tout en quoi réside la souveraineté, ni si elle réside en quelques-uns.
"Les lois de l'Univers sont seules souveraines et quand aux "droits du peuple", "droits imprescriptibles et inaliénables", cette mythologie très pure ne me dit rien". (2)
En 1912 Maurras écrit :
"Ni implicitement, ni explicitement nous n'acceptons le principe de la souveraineté nationale". (3)
N'oublions quand même pas que ce "nationaliste", mot totalement dénaturé de nos jours, distingue très fortement sa pensée de celle de Déroulède et de sa Ligue des patriotes. Sous sa plume le terme"nationaliste" a donc un sens précis, fort différent de celui auquel s'attendent les lecteurs actuels. Rappelons que jusqu'à son dernier souffle, celui qui disait "Je suis de Martigues, je suis de Provence, je suis de France, je suis Romain, je suis humain" appartenait au Félibrige, association des poètes de langue provençale, généreusement étendue aux Occitans, et c'est en langue provençale rhodanienne qu'il publia depuis sa prison son Breu de Memori (5) pour répondre devant cette académie poétique et régionaliste illustrée par Mistral et Roumanille de sa politique pendant l'occupation.
Il y a dans Maurras un sens des libertés beaucoup plus aigu que ne le laissent deviner ses disciples. Il y a dans Maurras un sens particulièrement élevé des liens culturels que la France peut entretenir avec l'Italie, l'Espagne, la Roumanie, le Portugal et certains pays d'Amérique latine, et bien entendu avec la Grèce. Aucun Grec bien né ne saurait l'ignorer. Et je ne passe jamais par Athènes sans rendre une petite visite à la statue de son disciple et ami Jean Moréas dans le petit paradis ombragé du Jardin national.
Ce qui demeurera vivant de cette pensée se situe donc aux antipodes du chauvinisme, imbécillité exaltée par la gauche au XIXe siècle, reprise on ne sait pourquoi par la droite, et depuis quelques années sous l'étiquette, putride à force d'ambiguïté de "souverainisme".
JG Malliarakis
Notes
- cf. L'Action française 1er.3.1926
- cf. Le Soleil 20.5.1900.
- cf. L'Action française 10.6.1912
- (Abrégé d'un Mémoire) "par Carle Maurras, ancien majourau dou felibrige, ancian membre de l'académi franceso, coundana de la cour d'injustici de Lioun".
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Monsieur,
Je lis vos articles avec entrain et je ne puis m’empêcher d’être plus que déçu par votre article.
En effet, vous semblez indiquer que tous ceux qui réclament un référendum pour le traité de Lisbonne sont des souverainistes. Cela est loin d ‘être le cas.
Ensuite vous semblez vouloir jeter l’opprobre sur les souverainistes parce qu’ils seraient liés à Maurras. La belle affaire). Vous ne démontrez rien malheureusment.
E, effet : depuis quand Maurras a été respectueux de la liberté politique -liberté politique qui n’a jamais trouvé mieux à s’exprimer que dans un système démocratique – et donc depuis quand Maurras serait-il le père des souverainistes actuels qui ne jurent que par la démocratie ?
C’est en suivant la même logique consistant à plaquer l’opprobre du passé sur les gens actuels que certains immigrés actuels – particulièrement les musulmans – rejettent la France et les blancs européens. Ces derniers sont coupables d’un pêché héréditaire : celui d’avoir justifié idéologiquement la colonisation ou l’esclavage. Ils sont les héritiers de cette France ; ergo ils sont des « souchiens ».
Votre démarche intellectuelle me semble donc plus que choquante … elle me semble passez moi le mot : « putride ».
Troisièmement : je ne vois pas comment un homme qui se dit libéral peut soutenir le projet européen et traite les justement « souverainistes de « putrides ».
Ma note serait trop longue (je reviendrai dessus si vous le voulez) mais il vous sera difficile de prouver que l’UE est un réel « projet » (elle ne sait pas où elle va) ni que les Etats ayant construit l’UE respectent la démocratie et la séparation des pouvoirs (puisque un référendum est purement et simplement balayé -les français et hollandais ont mal voté donc tant pis pour eux- et parce que le processus de décision communautaire permet de se passer des parlements nationaux, donc de la contestation politique.)
Or un libéral ne peut être un libéral s’il ne conçoit pas que le pire danger pour la liberté de chacun vient de l’Etat.
Rappelez la conclusion de Tocqueville dans « de le Démocratie en Amérique »…
L’UE m’apparaît comme l’anti politique et l’anti nation : elle a été construite contre les guerres entre nations (la nation est donc mauvaise mais qu’importe si la démocratie ne peut que s’inscrire dans un système national puisque la nation est l’expression sublimée du vouloir vivre ensemble) et contre les politiques (la BCE est séparée des politiques ce n(est pas un hasard et nos élus ne peuvent rien faire tout seuls), qu’importe aussi si aucun citoyen à part quelques experts comprennent quelque chose à l’UE et reconnaissent dans le parlement européen le représentant qu’un quelconque peuple européen.
Un libéral digne de ce nom ne peut pas être d’accord avec l’UE politique telle qu’elle a été idéologiquement pensée avec Maastricht.
Finalement : je me demande si l’UE n’est pas contre les peuples européens : elle ne s’oppose pas à l’immigration substitut de population, instaure en 2008 l’année du dialogue interculturel (donc du dialogue avec les musulmans), elle a rejette les racines chrétiennes de l’Europe pour ne pas être un « club chrétien » et son but ultime est d’être un pionnier dans un Etat monde dans lequel elle se dissoudrait.
Votre article est plus que décevant. Peut être êtes vous comme Jean Quatremer finalement. Sauf que vous êtes chrétien… fort bien. Mais ça ne sert à rien sur dans 70 ans il n'y a plus d'européens mais que des serfs ou des dhimmis.
Petite réponse
Cher Monsieur,
Mon article n'est pas consacré au traité de Lisbonne mais au maurrassisme.
Rédigé par : raph | mercredi 16 jan 2008 à 13:51
Cher JGM,
Je ne sais pas si les souverainistes se recommandent de Maurras ou se reconnaissent en lui.Ils sont sûrement conscients de ce que la pensée française lui doit: ce n'est déjà pas si mal.
"Souverainiste", c'est sauf erreur une jolie expression de nos cousins du Québec et, chez eux, cela a un sens.
Souverainiste, en France, me paraît s'appliquer:
- à des gaullistes qui peuvent désormais difficilement se réclamer du gaullisme, pour deux raisons: 1/ le gaullisme sans de Gaulle - et peut-être même avec lui: Charles de Gaulle n'y a jamais fait référence - ça n'existe pas. 2/ n'importe quel clown peut, de nos jours, se réclamer du gaullisme, et cela même, horresco referens, en toute sincérité;
- à des nationalistes, au sens où Maurras et d'autres moins grands penseurs de son époque l'entendaient. Mais, et là je vous rejoins, très peu de monde est capable de saisir ce sens et surtout plus personne ne le revendique.
C'est donc en définitive parce-que ces deux références - d'ailleurs parfaitement compatibles sur l'essentiel, vous le savez bien - ne sont plus significatives, que des Français ont cru bon d'adopter ce néologisme. A mon sens, ils ont tort. Cela ne suffit pas à condamner leur bonne foi, certes souvent maladroite, mais il me semble qu'ils ne sont pas si éloignés de certains qui en 73 votaient "non" au référendum sur l'élargissement de l'Europe.
Sur de Gaulle et l'Europe, je vous trouve un peu partiel : en bon pragmatique, de Gaulle a vu tout ce que le marché commun pouvait apporter à la France. S'agissant de la souveraineté nationale il n'a, face aux apatrides et aux libre-échangistes de tout poil, jamais transigé. Et il n'a jamais eu besoin de chercher à définir ce qu'était l'Europe: il lui suffisait de s'appuyer sur l'Histoire et la Géographie.
Sans rancune, et vive les deux Charles...quand même!
Rédigé par : akela | mercredi 16 jan 2008 à 21:38
Je m'interroge aussi sur les perspectives de cet article, qui semble surtout une promenade sur le thème de certaines évolutions de courants et d'idées politiques, sujets que maîtrise admirablement JGM. Je comprends donc la tentation de la promenade, mais je reste sur ma faim.
Rédigé par : gros chat | mercredi 16 jan 2008 à 23:19
J'ai écouté cette chronique sur LUMIERE101 et j'y ai laissé un commentaire ;
Le voici : LUMIERE101 est à la fois chrétienne, européeenne et libérale ; il a manqué à MAURRAS un peu de tout cela et on peut le regretter. Mais il y avait en lui un côté lumineux autant qu’un côté noir ; côté noir que de nombreux Français avaient d’ailleurs embrassé et dans lequelil était plongé : ” que celui qui n’a pas des pensées anti-juive ou anti-allemande me jette la première pierre ” , aurait il pu écrire.
Je garde de lui ce : ” la patrie, cette famille des familles ” ; ne convient il pas de comprendre cette magnifique définition au sens des nations selon l’Ancien Testament ?
Les pays fondateurs de l’Europe moderne, celle dont il est question ici, ce sont précisément des nations au sens biblique ; et cela ne doit pas nous étonner puisque les racines de l’Europe sont judéo-chrétiennes (et non pas marxistes ou, encore moins, islamiques).
Retirons en pensée Maurras de son siècle et déplaçons le ici et maintenant ; je prends le pari qu’il ne serait pas souverainiste mais au contraire européen. Et mon pari vaut bien l’inacceptable récupération de ceux qui s’appellent souverainistes. Ils restent comme la rouille sur les baïonnettes des soldats de 14. Ils n’ont rien compris et ne comprendront rien, englués qu’ils sont dans les boues de Verdun. Laissons les.
Européens, Chrétiens, et Libéraux : en avant!
Rédigé par : Sparte | samedi 19 jan 2008 à 13:12
ca fait vraiment pitié de voir des gens parler de Maurras sans rien y connaître !
et je signale que le libéralisme a été condamné par l'Eglise
Rédigé par : Marigny | samedi 25 août 2012 à 11:56
Ce que montre cet article c'est, notamment, que beaucoup de "maurrassiens", et notamment les gaullo-maurrassiens connaissent fort mal l'œuvre de Maurras. L'auteur me semble au contraire maîtriser assez bien le sujet, sous un angle qui certes leur déplaît.
Quant à la "condamnation par l'Eglise" (avec un grand E), vous entendez sans doute par là les Papes, ils ont condamné à peu près tout. Y compris l'Action française.
Rédigé par : Emile Koch | samedi 25 août 2012 à 13:42