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Lors de sa conférence de presse du 8 janvier, la première à l'Élysée depuis son élection, le président de la république a répondu, parmi beaucoup d'autres, à une question de Mme Mireille Lemaresquier présidente de l'association de la presse présidentielle.
"En 2008, on fera ce texte" sur la protection des sources des journalistes a-t-il annoncé. "Un journaliste digne de ce nom ne donne pas ses sources. Chacun doit le comprendre, chacun doit l'accepter. (...) Je préfère les excès de la presse à l'absence de la presse".
Ne nous méprenons pas en effet sur l'indépendance et la valeur du journalisme d'État en France. On devrait d'ailleurs, d'abord, s'interroger sur le concept de "service public" appliqué à l'information.
Certes, le journalisme appartient au secteur primaire, celui des services. Dans plusieurs langues le mot le désignant renvoie même à l'ancienne notion de "l'écrivain public". Lui correspond en français le terme de "publiciste" annexé abusivement de nos jours par les "publicitaires".
D'autre part, dans une économie bien conçue tous les services fonctionnent, par définition, au service du public. "Les services s'échangent contre des services". Dans son introduction aux Harmonies économiques Georges Lane appelle cette formule "la loi de Frédéric Bastiat", perfectionnant la loi de Jean-Baptiste Say de restriction matérialiste.
Mais au-delà de telles considérations plus générales, au-delà de la sollicitude affirmée pour la presse le projet qu'évoque le chef de l'État se trouve inscrit dans un contexte événementiel précis.
Car l'arrière-plan du projet Sarkozy, promettant pour 2008 un texte de loi renforçant la protection du secret des sources journalistiques, découle de l'affaire Dasquié.
Sitôt évoquée dans certains médiats, trop rares, cette affaire assez scandaleuse est sortie de l'actualité comme si elle n'y était jamais rentrée. Nos princes, et surtout leurs courtisans, peuvent s'en féliciter. Car, sans cela, elle aurait été appelée à se développer dans plusieurs dimensions.
Je crois utile d'évoquer séparément ses divers aspects et je commencerai donc par celui qui tient à la liberté de la presse, et à une pierre angulaire de celle-ci, s'agissant du journalisme d'investigation : le secret des sources.
Guillaume Dasquié, journaliste indépendant collaborant au Monde en qualité de pigiste, avait été arrêté par la DST et gardé à vue pendant 40 heures les 5 et 6 décembre 2007 à la suite d'un article publié en avril (1) reposant sur un dossier de 328 pages de la DGSE dont il refusait de livrer aux enquêteurs le canal par lequel il l'avait obtenu. 8 mois de décalage entre la publication de cet article contraire au "secret défense" et les recherches policières : on ne saurait parler de précipitation.
Deux détails précisés par Dasquié donnent à réfléchir : "Le papier pour Le Monde, ça représentait trois mois de boulot, pour une pige de 800 euros." Faut-il commenter ?
En revanche, on sourira en apprenant que l'une des enquêtrices lui aurait confié qu'elle a "préparé les questions à partir de [sa] fiche sur Wikipédia". Il n'y a vraiment qu'à la DST qu'on prenne Wikipédia au sérieux. On mesurera cela dit la puissance diffamatoire de ce site, en reconnaissant toutefois qu'il offre une sorte de droit de réponse, contrairement aux dossiers non moins diffamatoires mais anonymes, des renseignements généraux d'État.
Les pressions exercées à l'encontre de M. Dasquié reposent, et ceci semble légitimer les promesses présidentielles de réforme, sur une interpénétration minimaliste de l'article 109 du Code de procédure pénale français supposé de nature à protéger le secret des sources.
Que dit cet article ?
Article 109 du Code de procédure Pénale.
Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal.
Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l'origine.
Suivent 3 alinéas énumérant les sanctions prévues à l'encontre des témoins récalcitrants.
On doit noter que la rédaction actuelle de cet article découle d'une accumulation récente de textes circonstanciels échelonnés de 1958 à 1993 (1) Chacun sait, ou plutôt chacun devrait savoir que depuis la fameuse Déclaration de 1789, les "libertés" concédées théoriquement par l'État ont toujours été contredites par l'interprétation concrète du système et de l'idéologie du jacobinisme.
Le secret des sources journalistiques ne fait aucunement exception.
Il n'est pas inutile de rapporter cet article aux dispositions évolutives actuellement définies par les articles 226-13 et 226-14 du Code pénal relatifs au secret professionnel (auxquels renvoie l'article 109 du Code de procédure pénale).
L'article 226-13 du Code pénal dispose ainsi que
La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende.
Mais une Loi de 1998 le complète en le démentant par un article 226-14 qui précise
L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable :
1° A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes sexuelles dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique ;
2° Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices qu'il a constatés dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences sexuelles de toute nature ont été commises.
Et la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation a vu singulièrement évoluer des notions aussi sacrées que
- le secret médical remontant à la Grèce antique et au fameux serment d'Hippocrate
- ou que le secret de la confession remontant aux plus anciennes traditions du christianisme.
En 1947, dans une affaire médicale la Cour reconnaissait encore :
L'obligation au secret professionnel, établi pour assurer la confiance nécessaire à l'exercice de certaines professions et de certaines fonctions, s'impose aux médecins comme un devoir de leur état. Elle est générale et absolue. Il n'appartient à personne de les en affranchir. (2)
Clair et net!
Mais à partir de la Ve république le courant s'inverse.
Les lois successives n'ont cessé, depuis un demi-siècle, de restreindre la portée du secret médical, de plus en plus dangereusement en créant des obligations de dénonciation de maladies. À ce jour, une cinquantaine de maladies sont soumises à déclaration. La liste comprend, bien évidemment, la peste, le choléra, la fièvre jaune et la lèpre, mais également la scarlatine, la rougeole, les toxi-infections alimentaires collectives, la coqueluche, le paludisme, la grippe épidémique, les oreillons, la rubéole, la varicelle. Et on a ajouté, toujours pour la bonne cause, l'interruption de grossesse pratiquée dans des conditions non conformes à la loi et le cas des enfants victimes de sévices ou lorsqu'on peut présumer qu'un viol ou qu'un attentat à la pudeur a été commis.
Tout cela procède d'intentions certainement excellentes.
Mais que reste-t-il du secret médical ?
La limitation du secret des avocats complète le dispositif et confirme l'évolution.
Ainsi, la jurisprudence estime que les droits de la défense ne peuvent tendre à protéger les illégalités et indélicatesses des avocats. On estime nécessaire de préserver l'image, bien écornée pourtant, de la justice. L'avocat, s'il se révèle le complice d'un inculpé, ne peut donc invoquer le secret professionnel. De plus une législation rampante l'oblige à dénoncer les soupçons de ce qu'on appelle le blanchiment d'argent. Et cette tendance s'étend à toutes les professions juridiques, les notaires ou les comptables. Ne parlons même plus du secret bancaire.
Le secret de la confession demeurait encore jusqu'à une époque récente, le seul vraiment reconnu et protégé par la Cour de cassation. Telle était du moins la situation en 1959 à l'aube de la Ve république. (4).
Depuis une jurisprudence complexe de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (5) en date de 2002 on est en droit comme le dit le juriste catholique André Damien de "trembler pour la défense du secret professionnel en tant que liberté nécessaire dans une société civilisée"
Car voici ce que proclame cet arrêt de 2002:
L'obligation imposée aux ministres du culte [et on pourrait, dit M. Damien, ajouter : aux médecins et aux avocats] de garder le secret des faits dont ils ont connaissance dans l'exercice de leur ministère ne fait pas obstacle à ce que le juge d'instruction procède à la saisie de tout document pouvant être utile à la manifestation de la vérité.
Le secret professionnel n'est plus un absolu, et le juge d'instruction peut décider arbitrairement ce qu'il estime secret et ce qu'il n'estime pas secret.
Toute cette inquiétante évolution française va à l'encontre de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 qui affirme dans son article 12
Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes.
Ce qu'on retrouve d'ailleurs dans l'Article 9 de notre Code civil énonçant que "Chacun a droit au respect de sa vie privée." Et disposant pour cela que Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.
Une telle réaction des juges n'est pas intervenue dans l'affaire Dasquié, attentatoire à la vie privée comme au secret des sources de ce journaliste d'investigation indépendant.
Nous en sommes arrivés à ce point que la soi-disant "patrie des Droits de l'Homme" (oh l'expression absurde dès lors qu'on tient ceux-ci pour "universels") se trouve régulièrement mise en accusation par les instances européennes du chef de violation des libertés. La chose est claire dans de nombreux domaines allant du droit de propriété aux libertés religieuses.
Qui aurait naguère imaginé de voir la France accusée sur un tel terrain.
On ne peut donc qu'approuver l'annonce d'une disposition nouvelle renforçant le secret des sources du journaliste comme point de départ d'un mouvement plus vaste de restauration des libertés françaises.
Dois-je ajouter que dans les jours à venir nous serons amenés à examiner cette affaire sous d'autres angles, en particulier quant au fond des révélations ou des prétendues révélations qu'elle présuppose quant à l'abus du "secret défense" et quant aux véritables menaces de l'islamo-terrorisme.
JG Malliarakis
Notes
- Le Monde l'a mis en ligne le 16 avril à 11 h 08.
- ordonnance n° 58-1296 du 23 décembre 1958, ordonnance n° 60-529 du 4 juin 1960 art. 8, loi n° 89-461 du 6 juillet 1989 art. 20, loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 art. 13 et 326 Journal Officiel du 23 décembre 1992 en vigueur le 1er mars 1994, Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 art. 56 Journal Officiel du 5 janvier 1993.
- arrêt du 8 mai 1947 (D-1948.109
- Chambre criminelle de la cour de Cassation, 11 mai 1959 cf Gazette du Palais 1959-2-79
- arrêt n° 7490 du 17 décembre 2002 cf. la Semaine juridique du 24 janvier 2003.
- cf. Esprit et Vie novembre 2003.
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût…… pour les Éditions du Trident.
"le secret de la confession remontant aux plus anciennes traditions du christianisme".
Ne serait-il pas plus exact de dire, non pas du christianisme, mais du catholicisme ?
Rédigé par : Girard | lundi 14 jan 2008 à 16:15
Pour une fois je réponds, amicalement : non. Après avoir hésité...
Car
1° les catholiques ne sont pas seuls à pratiquer la confession. Les orthodoxes le font également particulièrement en face de fautes graves (ce qui nous ramène au sujet).
2° les "anciennes traditions" renvoient précisément à une époque où la division entre catholiques romains, protestants et orthodoxes n'existait pas.
En cette Semaine de l'Unité des Chrétiens je me fais donc un devoir de l'évoquer "chez moi"...
Merci de l'intérêt que vous prenez à l'Insolent.
Rédigé par : JG Malliarakis | lundi 14 jan 2008 à 16:54
Salut à tous...à part le petit détail sur la confession, ce qui agrémente mon érudition, je ne suis pas tout à fait d'accord dans ce cas ci: admettons que la source d'un journaliste soit une indiscrétion d'une personne tenue au secret...la loi s'applique?
Rédigé par : minvielle | mardi 15 jan 2008 à 20:02
J'ai bien peur que ce commentaire soit le signe que vous n'avez pas compris ce que signifie le secret des sources dans l'affaire Dasquié.
C'est un peu de ma faute car je souhaite étudier cette affaire "en pièces détachées".
Bien évidemment la personne qui a communiqué le rapport de la DGSE à M. Dasquié l'a fait de manière irrégulière (à moins qu'elle n'ai voulu l'intoxiquer ou le manipuler sur ordre de ses supérieurs, ce qui ressemble au cas de nombreuses affaires, judiciaires notamment).
En ce sens toute "source" a transgressé une règle dans le cas de n'importe quelle information "non officielle".
Si l'on suivait votre raisonnement on ne lirait plus dans les journaux que des communiqués de presse.
Rédigé par : JG Malliarakis | mercredi 16 jan 2008 à 00:41
Si l'on en croit l'abbé Ambroise Guillois (Recherches sur la confession auriculaire. Le Mans, Fleuriot, 1836) le principe du secret de la confession serait bien antérieur au christianisme :
"On se confessait dans les mystères de Bacchus, de Vénus et d'Adonis. Les prêtres qui entendaient les confessions portaient une clef pendue aux épaules; c'était le symbole du secret qu'il devaient garder."
Pour ce qui concerne l'institution catholique, le quatrième concile œcuménique de Latran (1215), sous le pontificat d'Innocent III, imposa au confesseur le devoir de garder le secret sur ce qui lui a été dit au confessionnal. Le pape Clément VIII rappela ce principe par un bref du 20 mai 1594.
Rédigé par : Philippe JOSSELIN | mercredi 16 jan 2008 à 20:01