Écoutez l'enregistrement "pot-de-caste" de cette chronique : sur le site de LUMIÈRE 101.com
Avec plus de 15 jours de retard sur le non-événement, le quotidien Le Monde (1) et une brochette de braves gens, incluant bien sûr l'inénarrable Figaro commentent défavorablement la couverture du Time date du 3 décembre et reçu par les abonnés le 29 novembre.
En tête le toujours jeune Maurice Druon signe une tribune dans le Figaro. "Non, la culture française n'est pas morte ! Ça recommence. Tous les quatre ou cinq ans, les Etats-Unis sont pris d'une fièvre antifrançaise que l'un de leurs grands médias se charge de communiquer à l'univers. La culture n'est pas dictée par le box-office de la semaine".
La chroniqueuse Agnès Poirier croit pouvoir écrire : "Pour certains Américains, il n'y a rien de plus émoustillant que le fantasme du déclin français. Le pays – elle parle des Etats-Unis – s'est barricadé entre quatre murs et a perdu son intérêt pour le monde extérieur. Seuls 2,1 % des livres publiés outre-Atlantique sont des traductions."
Bernard-Henri Lévy, auteur d'American Vertigo va jusqu'à considérer dans le Guardian, que "le discours des Américains sur la culture française en dit bien plus long sur eux que sur nous. Une culture qui n'intéresse pas les Américains est par définition faible. Les Américains n'ont jamais tort et à leurs yeux, l'art n'est rien d'autre que l'industrie de l'art".
La première réaction des abonnés du Monde me semble plus raisonnable : "Je suis un Gaulois émigré aux US, et en toute sincérité, si j'ai besoin par exemple d'une biographie sérieuse sur un personnage historique ou contemporain, ou si j'ai besoin d'articles de vulgarisation scientifique sur des sujets qui m'intéressent, à chaque fois, les publications américaines me donnent plus satisfaction que les européennes. A mon niveau, je crois qu'il y a réellement un déclin de la culture française. Les travaux US, conclue-t-il, sont beaucoup plus fouillés."
De quoi s'agit-il ?
Le grand magazine new-yorkais a osé publier une couverture choc sur la Mort de la culture française. Je ne trouve pas hélas cette évocation déplacée. Du reste j'avais scanographié cette couverture et classé cet article malheureusement fort documenté quant aux faits, accablant quant aux chiffres. Le seul reproche qu'on puisse faire à l'auteur du dossier, M. Don Morrisson correspondant du journal, vient de ce qu'il s'y montre finalement peu conscient des véritables ressorts historiques de cet indiscutable déclin français. Il demeure paradoxalement un admirateur du passé récent.
La grande année de la culture française fut, dois-je le rappeler, l'année de Corbie en 1636. Après avoir pris cette place de Picardie quand les Espagnols se trouvent aux portes de Paris. La France entrée à reculons l'année précédente dans la guerre de Trente Ans, après la Diète de Ratisbonne, voit son allié suédois en grave difficulté. Le peuple alors très catholique de Paris fait plus que murmurer… La résistance héroïque d'un humble village bourguignon donnera le signal. En quelques mois, Richelieu balayera la trahison des grands, y compris celle du duc d'Orléans, et des dévots jansénistes et il redressera la situation.
Or cette année-là Corneille se prépare au triomphe du Cid. Et l'année suivante il recevra du roi, à la demande même de Richelieu, ses lettres de noblesse.
Peut-on aller jusqu'à comparer le Théâtre du Marais créé en en 1634, et où Corneille présentera ses pièces, avec le cours Florent qui lui a succédé. Je ne le crois pas.
J'affirme au contraire que, s'agissant du recul de valeur de nos scènes comiques ou dramatiques, cet enseignement aberrant d'un jeu complètement décadent et destructeur porte une forme de responsabilité, ou occupe une petite place misérable dans le paysage du rabougrissement culturel national. Il en va de même de nos lettres et des beaux-arts.
Depuis ma jeunesse j'ai vu la France reculer sur tous les terrains. La défaite de Diên Biên Phu de 1954 aura été suivie d'une période que nous feignons de situer dans la soi-disant période des Trente Glorieuses, qui aurait commencé 10 ans plus tôt, et qui se serait éteinte au moment de la première grande crise pétrolière. À l'époque le baril de pétrole brut coûtait 2 dollars et les technocrates français pouvaient publier leur certitude du maintien de cette énergie bon marché. On se rapproche aujourd'hui du cours de 100 dollars. Imprévu n'est-ce pas ?
Eh bien il se produira encore d'autres choses inimaginables si, persistant à ne pas vouloir comprendre le déclin français, à tout faire pour en ignorer les causes on s'acharne finalement à abaisser encore ce pays.
En 40 ou 50 ans j'aurai observé la France, que j'aime, passer de pays relativement riche et influent en Europe, à celui de nation moyenne et de puissance médiocre.
Je désire son redressement mais pour cela je crois utile de rappeler que la cause de son recul ne se situe ni en 1968 ni en 1981 mais tout simplement entre 1792 et 1815. Il s'agit d'une série de phénomènes que d'assez bons auteurs je crois, ont su analyser. À ces auteurs peu connus j'ai eu la faiblesse de recourir en tant que lecteur d'abord, éditeur ensuite. Permettez-moi de citer ces historiens méconnus ou mal compris : Emmanuel Beau de Loménie mais aussi Charles Freppel, Maurice Talmeyr et Mallet du Pan.
Ceci n'est pas un appel à la consultation du catalogue de mes éditions. Ceci tend à éclairer un point de vue : celui des adversaires lucides du jacobinisme.
Les Français pourraient le comprendre et corriger les erreurs nationales. Les Américains ne peuvent qu'en mesurer les conséquences. Ne leur jetons pas inutilement la pierre.
JG Malliarakis
Notes
- Daté du 19 décembre et en ligne le 18.12.07 à 16 h 09 mis à jour le 18.12.07 à 21 h 11
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût…… pour les Éditions du Trident.
La force d'une culture est portée par celle de l'économie et des moyens de la politique (puissance militaire). Privée de ces supports, la culture française devient progressivement inaudible. Sa création contemporaine se nombrilise, s'auto-glorifie, affecte le mépris des autres cultures, en particulier celles qui dominent parce qu'elles bénéficient des supports précités. Les exceptions à cette règle non écrite sont rares (les romains fascinés par la culture grecque).
Rédigé par : Leclercq | vendredi 21 déc 2007 à 04:23