Écoutez l'enregistrement de cette chronique : installé en date du 29 octobre sur le site de Lumière 101
Au moment où ces lignes étaient écrites, Air France entamait son dernier jour d’une grève déclenchée par les hôtesses et stewards.
La pagaille des aéroports de l’hexagone, l’impopularité de ce genre de situation rejaillissant à la fois sur les syndicats officiels, sur la direction de l’entreprise et sur le ministre, ne doivent pas nous égarer.
Dans ce cas précis, les centrales impliquées, où la CGT brille curieusement par son absence, prennent argument des résultats positifs et de la trésorerie de leur compagnie pour demander une hausse de salaires de 15 %. Ils agissent ainsi à l’heure où une concurrence acharnée se prépare à l’échéance très proche d’avril 2008 sur les vols transatlantiques. En même temps ne l’oublions pas le monopole intérieur recule tous les jours.
La contradiction, l’absurdité de ce conflit paraissent éclatantes.
Manifestement, 85 % des 15 000 personnels navigants s’opposent d'ailleurs à des gestionnaires eux-mêmes issus d’un mode de désignation technocratique.
On éprouve par exemple le sentiment que M. Jean-Cyril Spinetta compte moins que le ministre Bussereau. Certes, le chef nominal de l'entreprise consent, après la bataille à recevoir les délégations, mais c’est bien aux hommes politiques que ce personnage – remontant à l’ère Jospin, confirmé à la tête d’Air France par un décret signé en octobre 2003 par MM. Chirac, Raffarin et Bussereau – laisse le soin de communiquer.
Nous pouvons admirer ainsi en ce moment même, captée sur le site de l’AFP, la photo du gentil membre du gouvernement s’expliquant devant les micros et les caméras au milieu des passagers bloqués banalement en ce dimanche d’automne à Orly ouest.
Dans un tel désordre établi l’appareil et l’idéologie cégétistes risquent une fois de plus de tirer leur épingle du jeu.
La véritable crise sociale actuelle touche de plein fouet les personnels à statuts. Et, comme on a pu le constater par la grève du 18 octobre, la question essentielle porte sur les avantages obtenus au fil des temps, particulièrement dans ce que nous appelons secteur public, sur le terrain des retraites.
En examinant un peu attentivement les déclarations du secrétaire général de la CGT, le camarade Thibaut, on découvre un certain nombre de caractéristiques. Elles portent d’abord sur la nouvelle situation de sa centrale.
N’oublions jamais que Thibault, élu à l’unanimité lors d’un congrès apparemment syndical, doit sa désignation au parti communiste. La seule différence entre son rôle et celui de ses prédécesseurs tient au fait qu’avec moins de 2 % des voix le Bureau politique évanescent compte finalement moins que les deux grandes forces syndicales qui en théorie dépendent de lui. Je dis bien : deux, car désormais la FSU, majoritaire dans l’éducation nationale compte presque autant que la vieille CGT ouvrière.
Dans cette configuration, l’existence d’électrons gauchistes apparemment libres, dont les plus connus relèvent de " Sud", confère à Bernard Thibault une fausse position arbitrale auprès d’équipes dirigeantes familières.
On doit ainsi redouter avant tout la reconnaissance de l’appareil cégétiste comme force d’interposition.
Ne doutons pas de l’inquiétude des Français. Le Monde daté du 28 octobre cherche à les rassurer en soulignant qu’ils contribuent avec près de 300 000 naissances excédentaires sur les décès chaque année, à la plus forte poussée démographique d’une Europe vieillissante. Je crois tout de même qu’aucun usager du métro ne s’y trompe. Les fameux « jeunes » ne payeront sûrement pas pour ces générations précédentes, celles qui cotisent actuellement, non pour leurs propres parents mais pour ceux qui précisément n’ont pas voulu d’enfant, qui ont abandonné toute ambition pour leur pays et tout respect pour l’initiative individuelle.
Sur ce fond à la fois psychologique et social, dans ce contexte maintes fois chiffrable, le grand danger viendrait d’un désir d’ordre où le jeu trouble, et probablement personnel, des dirigeants de la CGT ira en renfort d’une politique strictement conservatrice de défense des acquis.
Au secours d’une telle démarche, simplificatrice et même simpliste, on voit poindre l’arithmétique toujours fausse des gens de Bercy. Pivotant l’ensemble de cette baleine vague appelée sécurité sociale, un bel et bon accord avec les cégétistes sur le niveau des pensions, prépare leur affaire ; ils en rêvent. La mission d’un Thibault et de son spécialiste et compère Le Duigou, consiste, et ils l’ont accepté, à en préparer les conditions.
La manière la plus fausse d’aborder la question des comptes sociaux consiste en effet, à envisager les soldes, autrement dit les déficits, et à poser le problème du financement.
Ceci devient dès lors : comment combler le trou ? Et très rapidement on en arrive à feindre de demander : qui va payer ? La réponse n’a pas varié depuis Maurice Thorez et les belles années 1936 : inévitablement les riches. Ils de contribuer à soulager le désastre.
Car le fond de la situation doit tout de même faire l’objet de ce lancinant rappel : en France, le système de la retraite par répartition n’aura globalement fonctionné que durant une génération, en très gros des années 1940 jusqu'aux alentours 1981, c’est-à-dire aussi longtemps que la masse des bénéficiaires n’avait pas correspondu à flux de 40 années de départs en retraite.
Dès 1984 André Babeau entreprenait d'écrire sur la Fin des retraites(1). Et, plus de vingt ans plus tard, la France ne mesure toujours pas la portée de la situation.
Commençons par un historique sur les sources du système français des retraites.
L’intervention de l’État dans une garantie du revenu en fin de vie peut toujours faire l’objet de références plus antérieures. Ainsi, le fondateur, si souvent cité, de la protection sociale, Otto von Bismarck chancelier du Reich allemand, de manière presque continuelle entre 1871 et 1890, peut se voir objecter Colbert, qui au XVIIe siècle avait fondé un régime social de la Marine, élargissant les dispositifs existant en matière de pensions pour les serviteurs de l’Etat. De même, parallèlement à la Prusse, les royaumes scandinaves et même certaines républiques sud-américaines avaient cherché à mettre en place une protection des vieux travailleurs contre les misères de la vieillesse.
On peut, en tout état de cause, souligner l’innovation bismackienne et l’esprit qui l’anime. Dès 1863-1864, l'artisan de l'unité allemande avait développé des contacts avec un personnage tout à fait significatif : Ferdinand Lassalle (1825-1864). Aujourd’hui honni par toute l’école marxiste c'est à lui que le ministre prussien avait emprunté l’idée d’un socialisme d’Etat. L’idée d’attacher la classe ouvrière à un nouvel ordre féodal adapté à l’âge industriel, le poussa à instituer en 1883 un fond d’assurances sociales couvrant le risque de maladie, en 1884 les accidents du travail puis en 1889 des caisses de retraites et d’invalidité.
Au début du XXe siècle et jusqu’aux années 1930, les dispositions adoptées par la IIIe république en France demeuraient beaucoup moins étatistes, beaucoup plus confiantes dans l’épargne des individus et dans le progrès du syndicat (1884), de la mutualité (1898) ou de l’association (1901) dont la liberté se trouva progressivement reconquise sur l’abolition des anciennes corporations, nécessaire en 1791, mais dont l'influence de l'idéologie jacobine avait interdit malheureusement toute forme de reconstitution.
En 1928 quand le gouvernement de centre droit présidé par André Tardieu institua de la sorte les assurances sociales, le parti communiste les dénonça comme une « loi fasciste ».
Le concept même de sécurité sociale n’apparaît cependant qu’en 1935 aux Etats-Unis sous le gouvernement de Roosevelt. Mais son Social Security act ne vise alors que la garantie d’Etat à un système de retraite minimale. Cette révolution correspond aux besoins tragiques nés de la grande crise et elle cherche à couvrir une détresse que la dépression boursière laisse désemparée. Jusqu’à cette époque, aucun pays au monde (en dehors de l’Italie fasciste avec l'INPS, Institut national de la prévoyance sociale, créé par Mussolini) n’avait envisagé un fond de l’importance et de la généralité socialisante de ce trust rooseveltien.
Le programme du Front populaire dans la France de 1936 promettra bien quelque chose d’équivalent.
Mais Léon Blum renoncera très vite à cette « retraite des vieux travailleurs », trop coûteuse aux yeux du gouvernement de gauche.
L’instauration de cette avancée sociale attendra la Charte du travail du printemps 1941. Les circonstances l’imposaient car on ne pouvait imaginer, dans le contexte d’alors, faire appel aux marchés financiers pour gérer une épargne collective quelconque. À vrai dire, aucun fond de garantie ne se verra chargé dans le mécanisme, largement dicté par l’urgence, d’assumer la contrepartie de cet engagement de la puissance publique. La déclaration du chef de l’Etat demeura fameuse : « Je tiens toujours mes promesses. Je tiens même celle des autres lorsqu’elles sont fondées sur la justice. ». En somme, Philippe Pétain reprenait à son compte une revendication socialiste Mais il ne préjugeait pas de la manière dont cette répartition, autoritaire et arbitraire, essentiellement destinée à empêcher les vieux ouvriers de mourir de faim dans les difficultés du ravitaillement, pourrait continuer après guerre.
Car la retraite par répartition tend à la pérennisation des économies de pénurie.
Les générations suivantes ont largement oublié combien les misères du temps de l’occupation se sont effectivement aggravées, à bien des égards, une fois la liberté retrouvée. Le premier plan proposé par Jean Monnet en 1945 portait sur la modernisation et l’équipement. Mais la rareté des biens de consommation, de l’électroménager, cette inflation galopante, même les tickets de rationnement, durent au-delà de l’année 1950. Il suffit de lire le Procès du Maréchal Pétain pour comprendre que, pas une seconde, ses pires adversaires, y compris les communistes ne remettent en cause sa politique économique. À peine ironise-t-on sur les velléités corporatistes: il convient quand même de se reporter aux doctrines subséquentes du parti gaulliste à partir de 1947 et même sous la Ve république pour constater une grande continuité avec notamment l’idée de participation et la pratique d’une planification nationale souple.
Or, il se trouve que l’occident en général, – "occident" englobant toutes les sociétés privilégiant le marché sur la programmation étatique – a connu dans la même période un développement, un épanouissement et une diversification considérables des productions. Dans le même temps bien évidemment, les innovations technologiques sont entrées dans la liste des besoins diversifiés de la consommation populaire.
De ce fait, aucun modèle global de consommation ne saurait plus servir de référence à un État central, à peine capable d’arbitrer entre des intérêts régionaux, et totalement désarmé face aux forces intrinsèques au marché mondial et à ses prospérités diversifiées.
Retirer l’étatisme de la gestion des retraites.
Politiquement sans doute, on doit donc souhaiter la victoire du parti des réformes sur celui de la conservation pure et simple du système actuel. En revanche, telles les ordonnances Barrot de 1996, telle la réforme Fillon de 2003, la feuille de route du gouvernement actuel, adossée elle-même aux mots d’ordre électoraux s'apprête à commette une double erreur.
Première erreur : faire de l’intervention étatique le deus ex machina d’un théâtre classique où l'on aimerait à pouvoir sauver le pauvre peuple à partir des gracieuses sauvegardes émanées d’un "prince ennemi de la fraude". Ce scénario ne tient plus. Si honnête qu’on veuille bien l’imaginer aucune équipe gouvernementale en façade, aucune administration financière en coulisse, ne détient la moindre parcelle de compétences pour gérer les besoins de la fin de vie, ni pour l’immédiat, ni au terme des 40 ou 41 années de cotisations que l’on prélèvera aux actifs actuels pour subvenir aux besoins de leurs aînés.
Deuxième erreur : l’alignement systématique sur les principes du régime général réputé celui de tout le monde.
Entrant dans une telle et double logique, le pouvoir s’exposerait, et il doit effectivement se préparer à l’heure qu’il est, à une prévisible épreuve. On pourrait assister à plusieurs passes d’armes dont la grève du 18 octobre suivie à 74 %, taux d’exception à la SNCF, constitue un hors d’œuvre en dépit du désaveu des usagers. Puis viendra la montée en puissance de tous les syndicats de fonctionnaires autour du 20 novembre, dans un contexte de conflits et d’escamourches artificiellement montés en épingle.
Alors viendrait un arrangement. Quand on nous parle des accords de Grenelle, souvenons-nous de l’historique. La CGT, la main dans la main avec un certain Chirac, au bout de l’agitation de 1968, largement fomentée par d’autres, concocta un protocole vicieux par lequel l’économie française entra pour 20 ans dans le chaos inflationniste. Tout simplement alors la bureaucratie de Montreuil obtint de revoir à la hausse, très au-delà de la productivité du travail, les rentes de situation des bénéficiaires de l’emploi empêchant pour longtemps, l’accès au travail de la partie la plus pauvre de la population.
Ce que semblent actuellement désirer les promoteurs d’un pacte technobureaucratique entre centrales et administration produirait inévitablement un effet analogue. La catastrophe durable consisterait à rehausser sinon de 20 à 25 % revendication cégétiste, mécaniquement ramené à 10 %, en échange de leur alignement les pensions des personnels à statut.
Or, d’autres solutions existent : elles reposent sur le désengagement de l’Etat, la responsabilisation et la libre mutualisation.
Bien entendu, le pronostic du probable va dans le sens de telles accointances périlleuses : la tradition gaulliste et chiraquienne s’est en toujours accommodée.
On doit quand même rappeler brièvement l’existence d’autres pistes.
La première consiste à libérer le contribuable du coût de ces régimes déséquilibrés. Tous les régimes spéciaux reposent aujourd’hui sur des transferts financiers provenant précisément de populations ne bénéficiant d’aucun des avantages correspondants.
La seconde suppose dès lors un esprit de responsabilité individuelle privilégiant l’épargne personnelle et remettant la pension sociale à sa vraie place, celle d’un secours mutuel.
À partir d’une telle logique enfin, on doit envisager une libre mutuellisation de la protection sociale : si les syndicats de cheminots veulent défendre les intérêts de leurs adhérents qu’ils gèrent les caisses auxquelles on adhérera librement.
De telles solutions, sous des visages différents, se sont mises en place ces 30 dernières années dans de nombreux pays. Il faudrait une singulière dose d’ingénuité pour tenir encore le système français pour le meilleur du monde. Personne ne l’adopte à l’Étranger. Débarrassons-nous en progressivement, raisonnablement certes mais résolument.
JG Malliarakis
Notes
- Livre paru en coll. Pluriel/Hachette en 1985.
Et pourquoi pas une petite ligne de publicité de bon goût…… pour les Éditions du Trident.
Bravo pour votre conclusion. C'est l'avenir et l'évidence même c'est à dire la responsabilisation individuelle.
Une question; pourquoi les 40 ans de cotisation ont été imposés au privé alors qu'il faut négocier pour la fonction publique?
Il faut croire qu'en France il y a deux catégories de gens: les privilégiés et les autres.
Et l'on nous parle d'égalité......
Sur un célèbre monument parisien, il est gravé dans la pierre "Liberté Egalité Fraternité". Il est vrai que l'égalité est la pire des injustices mais il faut arrêter de divulguer que c'est une spécificité française (symbolique favorite de nos dirigeants et opposants et syndicats). Un retraité de la fonction publique a-t-il plus de valeur qu'un retraité du privé?
A croire que l'inégalité est une spécificité française maintenue par la gauche et leurs amis les syndicats.
Encouragements sincères pour vos prises de position. Quel dommage de ne plus vous entendre sur une certaine fréquence.
Je continue néanmoins de vous lire et vous écouter sur le net.
Amicalement
Rédigé par : Jean | vendredi 02 nov 2007 à 14:17