Écoutez l'enregistrement "pot-de-caste" de cette chronique :
En août dernier à Bichkek capitale du Kirghizstan une conférence réunissait les dirigeants des 6 pays membres de l'Organisation de Coopération de Shanghai. Elle s'est prolongée les jours suivants par des manœuvres militaires dirigées contre le terrorisme et le séparatisme. Cela n'a fait l'objet chez nous que de commentaires un peu trop distants et superficiels.
Ce qu'on a pu en lire, dans les médiats français, se passionnait surtout pour les prestations, habituellement provocatrices, du président iranien. Or actuellement, M. Ahmadinedjad, ne figure à l'OCS qu'à titre seulement d'observateur et de candidat.
À la suite de cette réunion on a pu constater certes qu'un remaniement ministériel à Téhéran a renforcé encore le 30 août l'influence des fameux pasdarans. Ces gardiens de la révolution contrôlent le ministère de l'Intérieur. Cette force paramilitaire de 125 000 hommes, piliers du régime, ils ont étrangement reçu le 2 septembre un nouveau chef en la personne du général Jafari.
Mais une fois encore, se focaliser sur l'apparence, si souvent trompeuse, des rapports de pouvoirs en Perse, équivaut à une erreur de parallaxe.
Car, pour le nouveau bloc russo-chinois institutionnalisé par l'organisation de Shanghaï, l'essentiel ne se passe pas au Proche Orient, auquel touche l'Iran. La zone du monde où se construit le Triangle stratégique se situe d'abord en Asie centrale, et notamment dans les anciennes républiques musulmanes de l'Union soviétique.
Dans les années 1990 un certain triomphalisme occidental semblait attribuer cette région, que l'on estimait détachée de l'URSS et, pensait-on alors, définitivement arrachée à l'influence russe, à une zone d'expansion promise au monde turc. Ne s'agissait-il pas de frères de race que ces peuples d'Anatolie et des anciens Turkestan russe et chinois, locuteurs de langues turco-mongoles extraordinairement voisines ? Et, de fait, les premiers émissaires, venus politiquement d'Ankara et économiquement d'Istanbul, reçurent un accueil chaleureux. Aujourd'hui encore leur connaissance du terrain et leur proximité linguistique font de ces agents, de ces membres de confréries comme les naqshbendis, etc. la carte majeure jouée par les intérêts nord-américains et européens.
Disons simplement que leur influence recule.
En 1998 Evgueni Primakov le ministre russe des Affaires étrangères se rendait à New Delhi. Dans un important discours il proposait, aux Indiens comme aux Chinois, la constitution d'un triangle stratégique.
Je suis tenté de penser, depuis lors, qu'il constituerait la plus importante alternative à l'unilatéralisme américain. Et selon l'optique adoptée, on pourra le regarder comme un danger pour l'occident ou y voir, au contraire, une planche de salut pour le monde multipolaire.
Et, depuis lors, la tendance n'a cessé de se confirmer.
On gagnerait sans doute à se souvenir du dédain avec lequel la presse bien pensante française avait accueilli la démarche. À Paris on ne la prend toujours pas au sérieux. On se demanderait presque si l'antagonisme fondamental entre l'Inde et le Pakistan a été perçu un jour par nos professionnels de la diplomatie et de la stratégie, ou même si l'évolution de la Chine a été mesurée en Europe.
Un phénomène comme le retournement "eurasiatique" des cercles dirigeants russes ne peut donc qu'échapper à nos dirigeants et à leurs conseillers qui y voient une simple dérive autoritaire du gouvernement de Moscou ou un complot contre les Droits de l'Homme.
Pourtant, l'extension russe en Sibérie et en Asie centrale demeure une des grandes affaires de la Moscovie. Les préoccupations des modernistes, comme Pierre le Grand, ou des divers admirateurs de l'occident, pour lesquels l'histoire du monde a pour épicentre le continent européen, n'ont jamais constitué qu'une alternative à ce que d'autres tiennent pour l'aventure véritable du peuple russe, sa marche vers l'est, vers les grands espaces sibériens, et, à travers le Caucase, vers la Perse et vers l'Inde.
Ce "grand jeu" l'opposa pendant 200 ans à l'Empire britannique.
En somme il reprend son cours quoiqu'il demeure toujours inconnu du petit monde de l'intelligentsia parisienne. Les dirigeants russes possèdent toutes les raisons matérielles de s'accorder en ce moment avec l'Empire chinois, lui-même occupé à siniser la moitié de son territoire constitué de provinces allogènes récemment acquises depuis le temps des Qing.
Loin de se trouver condamnées à une stérile rivalité, Moscou et Pékin peuvent parfaitement envisager de coopérer pour maintenir en lisière la poussière des peuples qui les séparent.
De plus la complémentarité de leurs économies saute aux yeux.
Depuis 10 ans leur rapprochement, scellé par la crise du Kossovo de 1999, n'a cessé de se consolider.
En juin 2001 l'accord signé dans la capitale économique de l'Empire du Milieu concrétise, la réconciliation russo-chinoise. On doit bien se représenter l'antériorité de cet accord, et de la volonté qu'il affirme de lutter contre l'islamo-terrorisme, par rapport aux Attentats du 11 septembre de la même année.
En 2002 apparaît l'OCS, Organisation de Coopération de Shanghai. Elle regroupe aujourd'hui, en dehors des deux principaux partenaires quatre des cinq Républiques ex-soviétiques d'Asie centrale : l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Tadjikistan, et le Kirghizstan. Seul le Turkménistan ne l'a pas rejoint cependant que l'Iran, l'Inde, le Pakistan, l'Afghanistan et la Mongolie apparaissent en tant que membres observateurs.
En 2005 les Etats-Unis demandaient officiellement à se joindre au système de Shanghai : or, la réponse négative signifie bien qu'il s'agit de tenir à l'écart non seulement Washington mais également Ankara et Londres.
J'avoue, face à cette évolution du monde, n'éprouver qu'une seule véritable inquiétude. Elle ne vient ni de l'Amérique, ni de la Chine, ni de la Russie, encore moins de l'Inde. Elle tient, une fois de plus, à la frivolité des dirigeants parisiens et à l'inconsistance de ce que nous appelons vainement, depuis les années 1950, la construction européenne.
JG Malliarakis
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Si les Turcs s'intéressaient davantage aux turcophones d'Asie centrale, ils chercheraient peut-être moins à entrer dans l'UE.
Et tout ce qui peut accroître le pouvoir des Russes dans ces régions leur permettra de nous vendre le pétrole et le gaz au double de son prix.
Les Russes ne sont pas moins nos ennemis que les Turcs, et ils sont plus dangereux : car pour leur permettre de nous nuire, il ne suffit pas, comme pour les Turcs, de leur ouvrir stupidement la porte ; il suffit de ne rien faire pour les empêcher de monopoliser notre approvisionnement en énergie, et de les laisser commettre leurs agressions contre les peuples d'Europe qui ont le malheur d'être leurs voisins.
La meilleure solution serait au contraire que les Chinois mettent la main sur les réserves d'hydrocarbures d'Asie centrale : ça les dissuaderait d'aller en chercher en Amérique latine et en Afrique, où ils apparaissent comme des intrus, et comme eux ne peuvent pas monopoliser notre approvisionnement , cela nous épargnerait la rançon que la bande à Putin veut nous faire payer.
Rédigé par : hunden | mercredi 05 sep 2007 à 10:15
On peut considérer que c'est le 31 août 1907 que s'acheva le « Grand Jeu » : signature d'une convention entre la Grande-Bretagne et la Russie partageant la Perse en deux zones d'influence, reconnaissance de la prédominance britannique en Afghanistan et neutralisation du Tibet.
Un siècle plus tard, c'est le contrôle de l’exportation des réserves de pétrole et de gaz d’Asie centrale qui est au centre de toutes les attentions : le 1er juin 2007, Gazprom et l’entreprise publique kazakhe KazMunai-Gaz ont signé un accord de 15 ans visant à créer une entreprise conjointe destinée à traiter chaque année les quelques 16 milliards de m3 de gaz issus du gisement de Karachaganak (Kazakhstan) dans le complexe gazier d’Orenburg (Russie).
Le 12 mai 2007, la Russie, le Turkmenistan et le Kazakhstan s'étaient déjà mis d’accord à Achkabad sur la construction d’ici à 2012 d’un gazoduc d’une capacité de 20 milliards de m3 par an le long de la côte caspienne et la modernisation du principal réseau de transport de gaz centre-asiatique afin de porter ses capacités à 90 milliards de m3 par an.
Enfin, le Turkménistan vient de lancer la construction d’un gazoduc géant vers la Chine.
Quant à l'Europe... Rapportant tous ces faits, le quotidien "La Tribune" (édition du mardi 4 septembre 2007) rappelle que le gaz "assure près d’un quart des besoins énergétiques des vingt-sept pays de l’Union et 20 % de sa production d’électricité" et que "l’UE importe 63 % de son gaz naturel dont 45 % en provenance de Russie".
Rédigé par : Philippe JOSSELIN | mercredi 05 sep 2007 à 11:15
Lors de la signature des accords de Shanghai, j'avais proposé à B.I. (Balkans Infos) un article sur ce thème : il me fut refusé, les autres collaborateurs ne parvenant pas à prendre au sérieux une alliance russo-chinoise. L'ignorance des Français et de beaucoup d'Européens quant à l'Asie, le vague mépris dont on l'entoure m'a toujours paru ahurissant. Pourtant Brzezinski a rédigé deux de ses derniers livres (Le Grand Echiquier, puis en 2004 Le vrai choix) pour tenter de conjurer ce qui lui semble un risque majeur pour l'hégémonie américaine.
Reprise du Grand Jeu ? Certes, mais à l'époque où l'Angleterre et la Russie rivalisaient en Asie Centrale, la Chine était entrée dans une phase de déclin, de désagrégation, devenant un enjeu plutôt qu'un joueur. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.
Quel est l'intérêt de la France dans cette nouvelle donne géopolitique ? L'Angleterre retrouve avec les USA une mémoire commune, quoique un temps conflictuelle ; l'Allemagne se voit coincée entre ses allégeances atlantistes et ses besoins d'importation de gaz russe ; mais la France ?
Nous ne sommes pas si dépendants des importations gazières, puisque notre électricité provient surtout du nucléaire. Est-ce notre intérêt de suivre une politique "européenne" qui semble surtout une politique allemande ?
Je n'ai pas de réponse toute faite ni définitive mais il me semble que la question se pose.
Rédigé par : Guinevere | jeudi 06 sep 2007 à 16:49
La "Marche vers l’est" de la Russie se poursuit sous nos yeux : la première visite à Jakarta du président Putin s'est ouverte hier (6 septembre 2007) sur l'annonce la vente d’équipements militaires à l’Indonésie pour un milliard de dollars. On évoque également ("La Tribune", édition du vendredi 7 septembre 2007) la signature d'accords entre des sociétés publiques indonésiennes (Pertamina : pétrole et gaz ; Antam : nickel) et des entreprises proches du Kremlin (Lukoil Overseas : pétrole ; Rusal : aluminium), le tout pour un montant estimé à 5,5 milliards de dollars.
Rédigé par : Philippe JOSSELIN | vendredi 07 sep 2007 à 16:23
Comment être surpris de la diplomatie russe ? Comment ignorer l'antagonisme profond qui oppose Russes et Etats-Uniens et ses fondements religieux ? Et la France dans tout ça ? Comme vous, son inexistence me consterne... Et ceux qui pensent que notre nouveau président a un jeu plus subtil que son européisme pro-atlantique ne me convainquent pas vraiment... Les Russes sont, eux, un grand peuple, et Poutine un grand Tsar... Et je ne mets aucune malice dans ce propos. Libre à nous de leur emboiter le pas...
Rédigé par : ROUCOURT | vendredi 07 sep 2007 à 21:27