Écoutez l'enregistrement "pot-de-caste" de cette chronique :
Ainsi donc l'accord conclu, le 23 juin à 4 h 30, entre les 27 chefs de gouvernements constituant le Conseil européen ne consistera pas en une simple réécriture, dans une langue plus vernaculaire, du texte giscardien.
On ne se bornera pas à une volonté de simplification.
On n'élague pas seulement certaines branches supposées trop représentatives d'une supranationalité estimée effrayante. Le président du Conseil italien déplorait, quant à lui dans La Repubblica du 24 juin : "La persévérance de certains gouvernements à dénier à l'Europe tout aspect émotionnel m'a fait mal".
Ce marchandage intergouvernemental ne contente pas exclusivement la romantique Pologne inventant la représentation proportionnelle à la racine carrée.
Il prend à peine acte, enfin, du refus référendaire franco hollandais de 2005.
Il concède en effet au gouvernement de Londres une distinction nouvelle entre deux sortes d'Européens. Les uns répartis en 26 petits États devraient subir la Charte des Droits. Les autres assemblées depuis 1704 en un Royaume Uni bénéficieraient seuls de la Common Law, à peine amendée depuis les Tudors par l'introduction de l'Equity. Et la Cour de Luxembourg ne saurait y intervenir.
On se doit de le dire d'emblée : nous pouvons comprendre en grande partie les réserves permanentes de l'Angleterre.
Mais ai-je mal lu la dépêche d'Associated Press du 23 juin à 7 h 19 ?
"Les discussions ont été plus faciles avec Tony Blair, qui a obtenu des concessions sur ses "lignes rouges". Le Royaume-Uni bénéficiera notamment d'une dérogation sur l'application sur son sol de la charte des droits fondamentaux, à laquelle le futur traité donnera une valeur contraignante dans les 26 autres États-Membres."
Tiendra-t-on dès lors pour inconvenant de rappeler au Premier ministre britannique le remarquable discours qu'il prononça au parlement européen, à la veille de sa présidence de l'Union, le 23 juin 2005 :
"Je crois en l'Europe en tant que projet politique. Je n'accepterais jamais que l'Europe soit simplement un marché économique. Il y a une union de valeurs, de solidarité entre les nations et les peuples, et non pas simplement un marché social dans lequel nous échangeons mais un espace politique commun dans lequel nous vivons en tant que citoyens."
Ou bien faut-il comprendre que, l'ère blairiste finissant dans 3 jours, son successeur et néanmoins ami Gordon Brown inspirera désormais une politique beaucoup plus restrictive à l'égard des Continentaux ?
Personne ne saurait passer pour complètement innocent dans ce mécanisme.
Certes, on ne peut pas en vouloir au Times d'avoir imprimé le 20 juin un article fort lucide sur la situation française, ou la signature de M. Parris (avec deux r !) écrivant, à juste titre, me semble-t-il :
"Les Français ne semblent pas du tout dans le même état d'esprit [que celui des Anglais lorsque Thatcher arriva au pouvoir]. En clair, je ne pense pas que la France soit prête. Je ne sens pas dans la France profonde (sauf peut-être à Paris) ce sentiment palpable d'être arrivé à un tournant. La France a besoin de changement radical. Cela ne se fera pas sans douleur. Le choc sera rude et sera source de confusion. Nous, Britanniques, avons connu cela avec Margaret Thatcher. Mais, même à la fin de son premier mandat, alors qu'elle était déjà devenue un objet de détestation pour tout le pays, personne ne suggérait de revenir en arrière. Nous avions l'impression que 1979 constituait un point de non-retour que nous avions franchi en toute connaissance de cause."
On se trouve quand même perplexe lorsque l'on découvre, par ailleurs, la doctrine toujours plus protectionniste mise en avant par le gouvernement de Paris. Il se targuait même le 23 juin d'avoir obtenu un recul par rapport aux concept de concurrence libre et non faussé.
Or, pierre angulaire du traité de Rome depuis 1957, sa liquidation, sans mettre un terme à la construction européenne paraît-il, renforcerait, alors et de toute évidence à la fois le caractère technocratique de Bruxelles, et les marchandages autour des droits à subventions.
Un cauchemar, je le dis comme je le pense. Heureusement, on peut espérer que sur ce point les idées françaises ne seront pas suivies.
On se demandera si le pot aux roses n'a pas été révélé par Le Monde observant le 20 juin que la politique européenne menée par l'Élysée ne saurait se passer du feu vert de la gauche.
On doit certes reconnaître à cet accord le mérite de replacer la France dans le concert européen. L'en avaient fait sortir, progressivement, pendant ces 12 dernières années les bourdes et les mufleries de Chirac et de ses courtisans. Elles succédaient à 14 années d'inconsistance élégantes d'un Mitterrand et d'absences frivoles d'un Roland Dumas.
Cocorico soit, mais cocorico modeste et prudent. Car on tiendrait pour fâcheux qu'une certaine roublardise s'investisse exclusivement dans la préoccupation de jouer un rôle si celui-ci devait se révéler contraire aux impératifs nationaux et européens.
Je regrette donc pour tout dire que l'on ne tienne pas compte chez nous de ce qui assure depuis bientôt 30 ans le redressement de l'Angleterre. Nous ne pensons pas ici au blairisme, ce sympathique moindre mal ménageant son héritage depuis 1997, et le rongeant d'ailleurs doucement. Nous devons envier, bien plus, les acquis véritables et chirurgicaux de ses 18 années de thatchérisme.
Car ce sont des libertés analogues à celles reconnues outre-Manche que l'on désirerait ne plus cantonner au bénéfice de la seule monarchie de Grande Bretagne et de ses sujets, mais à l'ensemble de l'Europe, et au peuple créatif de France en particulier.
JG Malliarakis
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L'accord réalisé permet certes de sortir l'Europe de l'ornière. Mais la dérive nationaliste et protectionniste laisse un goût amer. La conscience de partager une histoire commune et la volonté de faire face ensemble aux défis du monde semblent s'être envolés. Je regrette moi aussi la disparition de toute émotion.
Rédigé par : Jacques Peter | lundi 25 juin 2007 à 16:24
Ce qui a été acté la semaine dernière c'est bien le changement d'orientation de la construction européenne qui se reconnaît enfin pour ce qu'elle est, c'est-à-dire un vaste Gosplan destiné à socialiser en douceur les nations européennes en faisant rentrer en catimini les pays de l'ex-Comecon dans le giron socialiste. Il serait temps de comprendre enfin que les institutions européennes ont été conçues sur le modèle des organes soviétiques de gouvernement: même principes de fonctionnement, même absence de responsabilité, même déficit de légitimité, même opacité des processus de prise de décision, même arbitraire des avis d'experts qui président à nos destinées dans les colloques du Conseil de l'Europe. Regardez donc le jeu d'échec mené ces jours-ci par Poutin au sommet des pays balkaniques avec ces piplelines qui sont autant de tentacules pour enserrer l'Europe balkanique dans la dépendance énergétique vis-à-vis du "grand frère" de l'est. Ce processus était déjà inscrit noir sur blanc dans les actes de la Trilatérale et du Bilderberg des années quatre-vingts qui prévoyaient avec vingt ans d'avance le futur fédéraliste d'une Europe enfin réunifiée autour de la bannière frappée de la faucille et du marteau. Elle vient d'ailleurs de refaire son apparition dans les forces armées russes. Les cris d'alarmes de quelques dissidents troubles-fête n'auront rien pu faire contre cet ultime manoeuvre du bloc socialiste pour contourner les résistances des forces réactionnaires européennes. Et pourtant un Bukovsky ou un Anatoliy Golitsyn auront essayé de la beugler à l'Occident cette vérité: le socialisme n'est pas mort, il évolue seulement sous des formes différentes. En plus le monstre rempant dispose de plusieurs têtes réversibles et mutantes: réchauffement climatique, pardon changement climatique, développement durable, développement durable, commerce équitable, corporate governance, etc. Tremblez citoyens les rouges sont partout: dans votre téléviseur, dans votre boîte aux lettres, dans vos journeaux, dans votre moteur, dans votre assiette. Qui nous sauvera du péril rouge planétaire conduit par ces mutants emblématiques que sont des Sarkozy, Blair (que n'a-t-il trahi son peuple celui-là!) ou la dernière passionaria du Bilderberg made in Eastern Germany, Frau Merkel!!
Rédigé par : Caton | lundi 25 juin 2007 à 19:02
Lorsque les politiciens ne font pas vibrer les émotions des foules, c'est que ces émotions leurs sont contraires ou qu'ils ne sont pas fiers des méthodes qu'ils emploient, ou les deux.
En l'occurence les deux, puisque la classe politique oligarchique s'inscrit en faux contre le "non" au T.C.E. et en reprend l'essentiel (personnalité juridique, etc...). Certes, avec un tel pavé, peu d'électeurs savaient vraiment pourquoi ils disaient "non"... ou bien "oui" ! La formulation même de la question avait quelque chose de léonin, c'est le moins que l'on puisse dire.
L'Union Européenne (qu'il faut distinguer de "l'Europe") est-elle en mesure d'échapper à ses propres excès ? Rien n'est moins sûr ! S'il s'agissait d'une entreprise non étatique, elle aurait déjà déposé son bilan.
Les dérives, l'enlisement et le manque de résultats économiques de cette U.E. sont sources de résurgences nationalistes et seront encore plus sources de poussées identitaires (nationalistes, communautaires...) dans l'avenir, puisque les leçons du passé sont systématiquement ignorées. Ceux qui essaient encore de croire en cette U.E. ont naturellement les nations, déjà très affaiblies face aux autres formes identitaires, comme bouc-émissaires.
Rédigé par : gros chat | lundi 25 juin 2007 à 21:18