Écoutez l'enregistrement "pot-de-caste" de cette chronique :
Les gros médiats s'interrogent ce matin sur le nombre et sur les détails des changements à venir, de manière incessante, dans l'équipe gouvernementale dirigée par François Fillon. La vraie question cependant me semble plutôt porter sur la nature et sur l'ampleur des réformes auxquelles le chef de l'État, et l'ensemble de la coalition législative majoritaire s'apprêtent à procéder. Et certains manipulateurs professionnels de l'opinion dirigeante cherchent même à tirer profit du léger effritement de l'UMP le 17 juin pour en entraver la mise en place. Une telle manœuvre d'intoxication et d'intimidation nous ramène deux républiques en arrière, sous la glorieuse IIIe du nom, dont l'illustrissime parti radical tente ces jours-ci de manifester, autour de Borloo, son improbable renaissance.
Le sentiment populaire français va pourtant clairement à l'inverse de telles réticences. Les électeurs ont voté à 53 % dans le sens des réformes le 6 mai, et ce pourcentage était même passé à 55 % le 10 juin, les adversaires se réfugiant provisoirement dans l'abstention. Et un récent sondage, diffusé le 18 juin et vite occulté, confirme pourtant le pourcentage présidentiel : 53 % des Français souhaitent des "réformes" rapides.
Osons quand même rappeler ceci : dès 1995, un sondage IFOP publié par "le Journal du Dimanche" en date du 10 septembre établissait que le même pourcentage trouvait, déjà, que les "réformes" du gouvernement Juppé n'allaient ni assez vite, ni assez fort.
Idem à l'époque du gouvernement Balladur, doublé par son concurrent dans la course présidentielle, et "ami de 30 ans" durant l'hiver 1994-1995, parce qu'insuffisamment "réformateur". Au refrain.
La question qui demeure porte seulement sur le contenu des dispositions gouvernementales envisagées. Elles pourraient se trouver en contradiction avec l'aspiration profonde des droites qui l'ont élu, faisant essentiellement, et heureusement, barrage au projet de Mme Royal dont on cherche vainement aujourd'hui à nous faire oublier l'éclatante inanité.
De quelle espèce de "réforme" parle-t-on en effet quand on prend connaissance des propositions de M. Frédéric van Roekheghem ? Cet illustre directeur de la Caisse nationale d'assurance-maladie, en poste depuis 2004, se présente pour le futur comme "sauveur de la sécurité sociale". Il ratiocinait encore ce 18 juin toujours autour du même type de réglementation : restriction de la consommation de médicaments, encadrement bureaucratique des actes médicaux, fonctionnarisation des généralistes, ceci sans jamais envisager le libre choix des assurés.
Tous ces technocrates ont-ils une seule fois réfléchi au fait que la gestion rationnelle du monopole n'existe pas, et que si sa simple possibilité s'était manifestée au cours du XXe siècle, où on y a beaucoup cru, le prix Nobel d'économie s'appellerait sans doute prix Staline ?
Lors de l'inauguration du TGV Est, le 9 juin à Strasbourg, le Premier ministre a beaucoup indisposé la technostructure dirigeant la SNCF en lui rappelant sa mission de servir le public, transporter de manière satisfaisante des hommes et des marchandises. À croire vraiment qu'il se serait nourri de la lecture de Frédéric Bastiat. Mme Idrac, présidente de l'institution, a ainsi laissé filtrer dans la presse l'accusation selon laquelle M. Fillon contreviendrait à l'intégrisme ferroviaire. Il avait osé se transporter de matière "multimodale", en passant par la Lorraine sans sabots, comme si l'usage ministériel de l'avion et de l'automobile devait porter atteinte à l'identité nationale.
Or si on veut bien comparer son discours, certes "réformateur", et nécessaire, à ceux qui l'ont précédé il y a 30 ou 40 ans, on découvre avec stupeur que la défunte Union Soviétique connaissait à peu près les mêmes débats, les mêmes interdits monopolistes, sanctionnés plus durement il est vrai, mais pas plus efficacement, et les mêmes mini-scandales, tempêtes artificielles dans un verre d'eau, ou plutôt de vodka. Les mêmes discours "antibureaucratiques" revenaient de manière constante dans tous les torchons officiels. Françoise Thom a même démontré le rôle pionnier de Beria dans la découverte des faiblesses, et même de la faillite, du système communiste, présageant dès 1947 de la ruine du pays et de l'Empire. Le maître de l'espionnage soviétique disposait, à vrai dire, de sources d'informations très supérieures à celles de ses compatriotes et camarades du Parti. Âme damnée de Staline, il ne survécut guère à son maître, après l'avoir probablement assassiné.
Dès l'été 1953 le Politburo l'éliminait.
Puis vint le "réformateur" Khrouchtchev (1953-1964).
Puis arriva le "réformateur" Brejnev (1964-1982).
Après le "réformateur" Andropov (1982-1984) – et après Tchernenko cette misérable loque (1984-1985) – survint en 1985 le "réformateur" Gorbatchev lequel mit fin en 6 ans à une expérience de 70 ans.
La France aura-t-elle les moyens d'attendre si longtemps ? Après tout l'étatisation du chemin de fer date de 1937 et celle des assurances sociales remonte à 1945.
Sans trop rêver d'une idéale Thatcher française, je crains donc qu'il faille nous contenter de commencer par un Gorbatchev français.
JG Malliarakis
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Cher Jean-Gilles,
Vous venez confirmer mon sentiment qui est que bien souvent, ce sont aussi des hommes (qui furent) de Gauche qui réformèrent la France.
Seule, peut-être, une longue intimité avec les militants et les organisations de Gauche peuvent faire naitre le mépris nécessaire pour les combattre et les écraser.
D'autre part, contrairement aux Droites protestantes, les Droites Françaises, de culture majoritairement Catholique et Gallicane, sont trop pénétrées de la hantise de "l'argent qui corrompt tout" pour se différencier significativement de la Gauche dans le domaine économique.
La haine du bourgeois, et par extension du patron, ou du riche, au coeur de tous les blocages sur les réformes passés et à venir, doit beaucoup plus, en France, à la tradition féodale qu'à Karl Marx.
Notre pays n'est pas tant, en Europe, le musée du Socialisme, que celui du Christianisme médiéval.
Le rêve profond de la majorité de nos concitoyens reste bien de vivre miséreux (le fameux "petit chez soi") sur un maigre lopin de terre "à la campagne", sous la protection tutellaire d'un baron local ayant droit de haute et basse justice, c'est à dire le droit de bastonner chacun...également, et en toute fraternité, bien entendu.
Lequel baron, fauché car perclus de dettes, infoutu de gérer correctement son domaine, et toujours en partance pour défendre je ne sais quel lieu Saint, bénéficie d'une bienveillance réelle quoique un peu apeurée, alors même que le drapier ou le négociant local, rasé de frais et gras, semble la réincarnation de lucifer en personne.
Les clercs, dont la fonction est la fabrication et l'entretien des mythes, afin de légitimer leur prébendes, abondent dans cette détestation, et justifient par quelques aumônes les privilègent exhorbitants dont ils bénéficient, eux et leur famille.
Toute ressemblance avec notre haute fonction publique, "la France d'en bas", et Alain Touraine ou Pierre Bourdieu n'est pas fortuite.
Rédigé par : Marc | mercredi 20 juin 2007 à 00:39
Votre comparaison avec l'URSS est excellente. Nous sommes dans le même type de système qui s'auto-entretient en pondant des rapports, des réformettes, des circulaires et est totalement improductif.
Surtout en ce qui concerne la Sécu, que j'ai la prétention de connaître étant médecin, on continue à raisonner comme en 47, alors que les maladies, les malades, les médicaments, les examens complémentaires, bref tout a changé.
Si on ne remet pas tout à plat, pour reformer en profondeur, le système s'effondrera, comme l'URSS.
On pourra alors reconstruire sur les gravats.
Plus que dix ans à tenir.
Rédigé par : gourbetian | mercredi 20 juin 2007 à 11:08