Écoutez l'enregistrement "podcast" de cette chronique :
On m'a récemment assuré, ou plus exactement on m'a délivré l'avertissement, d'avoir de manière instante à distinguer l'assistance de l'assistanat. Sans vouloir trop entrer dans un tel débat langagier, je retiens malgré tout le transfert sémantique d'un terme vers l'autre, désormais à la mode pour démonétiser la redistribution. Et d'une telle condamnation, même implicite, on doit se féliciter.
Plus exactement la dénonciation de "l'assistanat", comme dans Le Point cette semaine, met-elle enfin l'accent sur une dimension redoutable de cet enfer pavé de si bonnes intentions.
Sur un tel terrain, que cela plaise ou non aux inquisiteurs de la droite dure, comme aux puristes de la langue, on doit se féliciter de l'apparition à la faveur de l'actuelle campagne, d'un thème enfin critique dirigé contre la redistribution.
Pour comprendre la situation dans laquelle la société française se trouve aujourd'hui embourbée, on doit se représenter l'image d'une pyramide.
Certes, dans l'Histoire européenne récente, les pyramides financières ont terni l'image de la présidence, réputée mafieuse de Sali Berisha en Albanie, chassé du pouvoir en 1997, puis revenu, comme Premier ministre de centre droit par les élections victorieuses en 2005. Le phénomène s'était d'ailleurs manifesté en Russie, en Roumanie, en Bulgarie ou en Macédoslavie.
De ces pyramides-là, personne ne prétend vouloir, bien sûr, dans l'Europe sociale démocrate politiquement correcte : on les dit frappées d'escroquerie et de malhonnêteté.
Faudra-t-il cependant considérer comme plus saine la pyramide dans laquelle nous demeurons enfermés, "très attachés" que nous nous montrions, à ce qu'il paraît, à la protection sociale dont bénéficient certains ?
En l'occurrence nous nous trouvons en présence d'une figure de pyramide égyptienne ou de ziggourat babylonienne à plusieurs niveaux.
Au sommet de l'édifice fonctionne une authentique nomenclature, éventuellement prospère nonobstant le désarroi général du pays.
Dans les années 1960 s'imposait le concept et le terme de technocratie, renvoyant lui-même au thème développé 15 ou 20 ans plus tôt, celui de la synarchie. Ces deux idées, comme mythe et comme réalité, s'articulaient alors l'une comme l'autre sur des conceptions considérées aujourd'hui comme périmées ou passées de mode.
Il reste cependant possible de comparer notre structure dirigeante et accapareuse à son homologue de la période prégorbatchévienne en Union Soviétique.
Cette mince couche forme en effet seulement le sommet de la pyramide : elle ne pourrait en aucun cas maîtriser à elle seule la situation dont elle tire parti.
Le strate médiane de la pyramide redistributrice comprend les populations entièrement ou partiellement assistées. Certes, la plupart pourraient vivre autrement, et sans doute mieux, sans le système d'assistanat et de redistribution. Mais, tout compte fait, elles croient quand même bénéficier d'un bilan positif. Les définitions se recoupent, bien que, dans chacune des sphères de la redistribution (logement social, emplois aidés, économie subventionnaire, couverture maladie réputée universelle, etc.) ces catégories soient désignées à notre misérabilisme toujours comme "les plus démunies".
Si nous nous en tenons aux ratios du logement dit social, il viserait en théorie 20 % de la population ; si nous envisageons les emplois dépendant du secteur public, ils concerneraient 26 % des actifs…
Au total on avoisinera en France au maximum un étiage de l'ordre de 30 %.
On ne doit pas éliminer de ces contingents les regards subjectifs : ainsi les syndicats médicaux propagent-ils le mythe de la solvabilisation de la clientèle grâce à l'assurance-maladie. Il s'agit là d'un contresens ridicule. Au contraire, en effet, les cotisations ruinenet les Français, les rendant par conséquent insolvables. Mais, hélas, une partie non négligeable des praticiens s'y laisse prendre encore.
De même, nombre de femmes au foyer françaises croient que l'État fait quelque chose pour elles, et pour les familles, en leur redistribuant la moitié ou le quart de ce qu'il prélève à ce titre, en moyenne sur les actifs salariés, cadres ou indépendants.
Au total, cependant, la population vraiment assistée, additionnée à la précédente, incontestablement privilégiée, ne dépasse en aucun cas les 35 %.
On retrouve actuellement un pourcentage analogue dans les sondages de ces dernières semaines : il correspond aux personnes désireuses de voter vraiment pour un parti de gauche.
Tenons cette coïncidence, largement fortuite, pour un symbole.
Remarquons bien que, pour imposer sa volonté cette minorité a besoin, de toute manière, d'un support. Celui-ci constitue la base de la pyramide de ce système. Il se trouve fondé sur l'intimidation de l'opinion, sur la culpabilisation des forces de résistance assimilées à la droite et au plus affreux des égoïsmes sociaux. Il suppose bien entendu la division politique des droites.
Pour citer un seul exemple, on considérera celui du logement. À ce titre, les gens qui, pendant 18, 20 ou 25 ans, ont payé au prix fort des mensualités d'emprunt pour devenir propriétaire d'un appartement, d'un pavillon ou d'une maison, ces familles qui représentent aujourd'hui 56 % au moins de la population française, devront, s'incliner devant d'autres populations. On leur répète qu'il serait indécent de les laisser sous les tentes du canal Saint-Martin, etc. Ah il ne fait pas bon appartenir ainsi aux classes moyennes, à cette petite bourgeoisie supposée franchouillarde, prise en tenaille par le superprofitariat d'en haut et le lumpenprolétariat d'en bas.
On ne se situe plus ici dans l'ordre de la raison, de loi ou de la justice, on entre dans le registre de la repentance, du transfert éhonté du religieux dans l'ordre temporal, de la profanation systématique et impudique des aspirations les plus nobles.
La base sur laquelle repose ainsi la redistribution, pyramide ou ziggourat, apparaît donc comme essentiellement culturelle, pyschologique et subjective, aux racines historiques fort anciennes sans doute.
Mais au fond on doit considérer comme prioritaire de jeter d'abord ces vieux oripeaux et ces vielles outres puisqu’aucun vin nouveau ne s'y versera plus jamais.
"Ce qu'il y a d'insolent dans le triomphe de la tyrannie, c'est que ses victimes, tout en la maudissant, se font ses disciples et ses apôtres. Ecoutez parler les esclaves : ils ont beau haïr leur maître, ils répètent à l'envi ses maximes."
Victor Cherbuliez, Le comte Kostia (roman pré-publié dans la Revue des Deux Mondes en 1862, puis en un volume in-8° chez Hachette en 1863)
P.S. le néologisme Macédoslavie est particulièrement bien venu : en êtes-vous l'auteur ?
Réponse :
Euh... Je crois pouvoir me dire effectivement l’inventeur de ce néologisme, proposé au début du conflit pacifique [mais passionnel] gréco-”skoplien” en 1992. Mes amis grecs n’y ont pas prêté attention. Merci de votre soutien.
JGM
Rédigé par : Philippe JOSSELIN | jeudi 19 avr 2007 à 09:16