Écoutez l'enregistrement "podcast" de cette chronique :
À quelques jours du scrutin Le Canard Enchaîné a encore tenté de lancer un certain trouble au sein de la classe politique et dans l'opinion. L'increvable palmipède républicain, dans son édition du 11 avril, affirmait en effet l'existence d'un accord secret entre le candidat et le locataire de l'Élysée en fin de bail. Ce pacte tendrait à éteindre les enquêtes judiciaires visant le chef de l'État sortant. Et, à en croire le journal satirique institutionnel "en échange du soutien de Chirac à sa candidature, Sarkozy s'est engagé, en cas de victoire, à éviter au président sortant tout retour de flamme judiciaire" .
Il semble un peu futile, pour dire le vrai, de s'interroger même sur ce genre de conventions. Elles paraissent, en fin de compte, difficilement évitables. Manifestement elles ont existé, et fonctionné, par le passé, tout particulièrement entre chiraquiens et socialistes. On ne peut pas dire, par exemple, que les procès de l'après Mitterrandie aient vraiment correspondu au degré de corruption présomptible des années 1980. Personne n'a élevé la voix sur ce terrain. Aucune épuration ne laisse de bon de souvenirs, sauf aux crapules sanguinaires communistes ou totalitaires, qui, en général, se révèlent incomparablement pires que leurs victimes.
On devrait plutôt s'inquiéter des verrouillages institutionnels. Destinés à paralyser les réformes, légués sans mesure par l'équipe sortante, ils pèseront lourd dans la balance.
Ainsi convient-il de revenir sur l'apparition de M. Jean-Louis Debré à la présidence du conseil constitutionnel.
Ne succombons pas en ce genre d'évocation à la convention creuse consistant à proclamer, d'abord, que l'on ne développe pas un grief quelconque contre un tel personnage, effectivement placé à une fonction dont on ne le juge pas digne.
Je trouverais, au contraire de cet usage rhétorique, beaucoup de choses à reprocher à M. Debré lui-même.
Mais en l'occurrence, dès le moment où fin décembre on a commencé à parler publiquement de Jean-Louis Debré comme président possible du conseil constitutionnel la perspective véritable s'est dessinée.
Il s'agit d'un mouvement d'ensemble, au sein duquel la petite personne du plus sot des Debré jouera simplement un rôle d'exécutant.
Nous allons nous trouver, nous pataugeons à l'avance dans les conséquences d'une stratégie conservatrice à retardement, entièrement montée par les équipes chiraquiennes. Celles-ci ont clairement entrepris de miner le terrain des réformes nécessaires sur lequel le gouvernement futur cherchera à se mouvoir, et s'en verra empêché.
Pas besoin d'un prisme antigaulliste systématique pour voir les faiblesses des institutions de 1958, supposées pourtant faciliter l'action gouvernementale.
La paralysie du pouvoir réformateur futur a fait l'objet de deux séries de tirs de barrages.
La première manœuvre avait consisté à chercher qui, dans le personnel majoritaire, pourrait diviser suffisamment la droite pour frayer la voie à une poupée de cire mitterrandienne commode. Cette recherche s'est révélée vaine.
On a assisté, de la sorte, à l'effacement du bellâtre Villepin, définitivement déshonoré mi-décembre par l'effet boomerang de cette affaire Clearstream, montée de toutes pièces pour salir certains concurrents.
Puis on a vu se dérober l'hypothèse, assez grotesque tout de même, d'une nouvelle candidature de Chirac lui-même. Certains professionnels de la désinformation ont même alors cherché à faire courir le bruit, auprès des naïfs, d'une dramatisation de la situation internationale imposant un tel recours. Trois petits tours et pffuit : peine perdue pour les folliculaires. Imprimées d'une encre évanescente, immédiatement jaunie, ces coupures de presse ont rejoint des poubelles qu'aucun archiviste ne consulterait plus jamais. L'époque de M. Chirac venait inexorablement à son terme et, après avoir fait durer le plus longtemps possible l'écoulement du sablier, il a bien fallu en venir à son renoncement et au ralliement du dernier carré.
La garde impériale n'a même pas disposé de l'occasion pour donner la parole à quelque hypothétique Cambronne.
L'espoir suprême et la suprême pensée s'incarnent encore, au sein du sérail, en la personne de M. Juppé. Or celui-ci, légèrement plus fin que les autres membres du clan, s'avère trop soucieux de conserver l'image d'un réunificateur : il savonnera donc à peine, et le plus discrètement possible, la planche sur laquelle évolue le candidat officiel. Juppé se situe personnellement en réserve pour des temps meilleurs pour lui-même, autrement dit pour une hypothèse d'échec de son rival.
C'est donc, de guerre lasse, au verrou du conseil constitutionnel que l'on a fini par penser en imaginant de le confier à la garde du président, assurément antiparlementaire, de l'Assemblée nationale, l'inepte mais fidèle Jean-Louis Debré.
En septembre 2006 on s'acheminait tranquillement vers la nomination de M. Renaud Denoix de Saint-Marc, alors vice-président du Conseil d'État. Il aurait succédé de manière naturelle et justifiée à Pierre Mazeaud dont le mandat venait à expiration.
Puis, les semaines passant, Chirac a changé d'optique. Et, dès le mois de décembre on pouvait savoir qu'il placerait à ce poste le fils du principal rédacteur de la Constitution de 1958. On se souviendra que jusqu'à la présidence de Badinter, qui l'exerça de façon si habile 1986 à 1995, le Conseil constitutionnel avait joué un rôle assez effacé en France. Mais désormais certains voudraient en faire l'équivalent de la Cour suprême des États-Unis, à défaut de la Chambre des lords britannique.
Entre-temps, une révolution constitutionnelle discrète était survenue en 1971, invisible à l'œil nu du peuple inexpert, perceptible seulement au regard des spécialistes, avec la théorie pervertie du prétendu "bloc de constitutionnalité".
Car, en mettant Jean-Louis Debré à la tête du conseil de la rue Montpensier, le bunker chiraquien n'a pas seulement casé un de ses plus fidèles serviteurs, aux capacités personnelles limitées.
Le clan préserve la possibilité de bloquer certaines évolutions indispensables, en invoquant par exemple le préambule de 1946, insidieusement inséré dans le fumeux "bloc de constitutionnalité", en se cabrant sur les thèses souverainistes les plus tirées par les cheveux, en réaffirmant le caractère d'identité nationale de la sécurité sociale monopoliste, et des prétendus services publics à la française, en réinventant une laïcité constitutionnelle pour en faire autant d'instruments de blocage et de chantage.
Cette possibilité d'un verrouillage malsain se sera frayé une voie en bafouant les réticences d'un certain nombre de juristes qui s'opposaient à voir un Debré accéder ainsi à de telles éminentes fonctions, après avoir notoirement abaissé lui-même le rôle de l’Assemblée nationale.
Il serait à espérer que ces mêmes malcontents fassent alors preuve de vigilance en empêchant que ledit personnage impose ses blocages au nom d'une rhétorique d'inspiration socialo-chiraquienne contraire aux aspirations légitimes des Français à plus de liberté et à ce que l'on appelait ces temps derniers, la Rupture.
Très bonne et pertinente analyse sur l'action conservatrice Chirac "Post mortem". Les nominations finales que les citoyens oublient ou ignorent dans le creuset bruyant de la campagne, sont la forme achevée et "constitutionnelle" du népotisme!
Rédigé par : Henri Gizardin | mardi 17 avr 2007 à 08:31
Pas sympa le Chirac ....
Rédigé par : Clavier | mardi 17 avr 2007 à 12:02
On se demande pourquoi J-L DEBRE est-il aussi fidèle à J. CHIRAC, alors que la candidature de son père, Michel, fut un échec à la présidentielle de 1981, à cause de lui. Malgré un dîner visant à réconcilier les deux hommes, organisé par Christian de la Malène en 1980, J.C. torpilla M. Debré en se présentant (comme il avait trahi Chaban-Delmas en 1974).
J-L Debré a même prétendu qu'il ne fallait pas poursuivre son idole en justice, car il avait tant fait pour le pays.(sic)
- Louis FAVOREU et Loic PHILIP. Le Conseil Constitutionnel. PUF/Que sais-je?
Rédigé par : Coriolan | samedi 17 jan 2015 à 20:17