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En évoquant, de plus en plus clairement désormais, l'hypothèse d'une alliance socialo-centriste, les camarades Rocard, Allègre et Kouchner ont relancé évidemment le débat sur le retour à la Quatrième république.
En 1969, où l'on vit un second tour opposant le candidat gaulliste Pompidou au centriste Poher, président du Sénat, le spectre du retour au parlementarisme avait suffit à effrayer la majorité de l'électorat. Et, depuis lors, pendant quelque 30 ans, le parti socialiste, allié au parti communiste, aura préféré se servir des institutions de la Ve république plutôt que de les remettre en cause.
Étrangement en effet, les institutions apparemment fortes mises en place par la droite ont essentiellement bénéficié à la réalisation des programmes définis par la gauche dans la ligne du préambule constitutionnel de la Quatrième.
Ce fameux Préambule de 1946 n'a vraiment été pris au sérieux, d'ailleurs, qu'à partir de la Cinquième république, et surtout depuis qu'en 1971 le Conseil constitutionnel a commencé à s'en emparer.
Or ce texte, outre son caractère dangereux, mérite aussi de se voir regardé comme fondamentalement dépassé.
Il correspond en effet à une époque où doit-on le rappeler une fois de plus, le stalinien Thorez siégeait en qualité de ministre d'État. Le parti communiste faisait partie de la coalition gouvernementale, alors appelé Tripartisme.
Cette alliance avait été scellée au lendemain du départ du général De Gaulle (en janvier 1946) entre les démocrates chrétiens du MRP, les socialistes de la SFIO et le parti communiste.
Peut-on considérer qu'elle préfigure en quelque sorte la coalition qui pourrait se retrouver au pouvoir avec une présidence Bayrou ?
C'est bien cette alliance qui a rédigé et fait adopter par référendum l'ensemble des dispositions constitutionnelles dont le préambule passait alors plus ou moins inaperçu.
Des institutions de l'époque la nouvelle constitution adoptée en 1958 ne reprendra en définitive que le préambule. Et elle le mettra pratiquement à égalité avec la Déclaration des droits de l'Homme de 1789.
Il semble donc aujourd'hui, paradoxalement utile, de rappeler certains points de ce texte de 1946 dans le contexte actuel :
"4. Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République.
8. Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises.
9. Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.
13. La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État.
14. La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. Elle n’entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple.
17. L’Union française est composée de nations et de peuples qui mettent en commun ou coordonnent leurs ressources et leurs efforts pour développer leurs civilisations respectives, accroître leur bien-être et assurer leur sécurité.
18. Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s’administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ; écartant tout système de colonisation fondé sur l’arbitraire, elle garantit à tous l’égal accès aux fonctions publiques et l’exercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés ci-dessus."
La simple lecture permet de comprendre comment l'esprit de ce texte, à l'égard de l'immigration "droit d'asile", de l'étatisme, du collectivisme ou du laïcisme milite systématiquement aujourd'hui dans le sens voulu par les forces de gauche.
L'ambiguïté ou le déphasage de certains points découlent d'ailleurs du point 2 lui-même, précédant l'énumération des autres :
[Le peuple français] "proclame, en outre, comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après".
Que veut donc dire ici l'expression "notre temps" ?
Sommes-nous encore tributaires du (mauvais) temps de 1946 ?
N'avons-nous pas commencé à en sortir dès la doctrine Truman de 1947, suivie, la même année par le départ des communistes du gouvernement Ramadier en France ?
Déjà dans son livre La Guerre en Question Jules Monnerot soulignait en 1951 combien nos pays, en guerre avec cette forme de subversion qui s'appelait alors le communisme ne pouvaient en supporter la complaisance. Or celle-ci se trouvait clairement incluse dans l'interprétation dominante des points 17 et 18.
Ceci entraîna la culpabilisation de la France et de l'occident face à la décolonisation : et aujourd'hui comment esquiver le même phénomène s'agissant du conflit, où l'Europe se situe bel et bien en première ligne, face à l'islamo-terrorisme ?
Recyclée par la repentance, l'ancienne complaisance, hier qualifiée de "progressiste", peut se voir analysée comme le prolongement des idées fausses de 1946.
Tous ces thèmes la Quatrième ne s'est pas révélée assez forte pour les imposer : la Cinquième, au contraire, a concrétisé toutes les lubies héritées de la république précédente.
Le choix entre Quatrième et Cinquième république porte donc exclusivement sur les moyens. Les objectifs n'ont jusqu'ici jamais beaucoup différé. En cela on peut regretter d'entendre de moins en moins parler de Rupture.
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