Écoutez l'enregistrement "pot-de-caste" de cette chronique :
La disparition du grand musicien russe Mstislav Rostropovitch endeuille le monde. Ne cherchons pas à discriminer les hommages sincères des tartufferies, des ignorances et des dissimulations.
Voila au moins un événement qui nous arrache à la chronique d'une campagne électorale où les malentendus ne manquent pas.
Que cette mort intervienne entre les deux tours de l'élection présidentielle ne permettra pas, du moins je l'espère, d'accuser la droite française de l'avoir aidée, afin d'en manigancer invraisemblablement la récupération. Quant aux amis de Ségolène Royal, totalement ignorants du rôle civique de Rostropovitch, on ne les imagine pas non plus monter au créneau, ni François Bayrou même pour tenter de continuer à capter l'attention.
En 1970, Rostropovitch se révélait l'un des tout premiers témoins de la culture russe, acceptant de se compromettre publiquement en faveur de Soljenitsyne, et en cela il contribua à l'ébranlement du mur beaucoup plus que tous ceux qui, près de 20 ans plus tard en recueilleront les morceaux.
Privé par le pouvoir soviétique de sa citoyenneté, il refusera d'en acquérir une autre non parce que "citoyen du monde", mais parce que Russe : cette nationalité avait juridiquement disparue dans le magma soviétique et, réhabilité par Gorbatchv en 1990, il pourra devenir citoyen russe enfin, comme ses compatriotes, après la liquidation de l'URSS par Eltsine en 1991. On oublie souvent que, de toutes les nations captives de l'est elle bénéficiait, si l'on ose dire de l'antériorité.
Que ceci se produise au moment où, depuis Moscou, certains prétendent à nouveau interdire à la petite et vaillante Estonie d'écrire librement sa propre histoire, en gommant la fiction criminelle de la "libération" par les soviéto-staliniens de leur pays, livré à l'URSS par l'alliance hitléro-communiste de 1939, annexée à l'Union soviétique en 1940, soulevé contre elle en 1941, puis à nouveau réoccupée par les anciens alliés de Hitler par la grâce de la conférence de Téhéran de 1943 et des accords de Yalta de 1945, nous prouve seulement que tout le processus de libération et de reconstruction morale ne saurait être considéré comme totalement achevé en Russie même. Il y faudra encore une génération, certainement, de la persévérance et beaucoup de vigilance, mais au moins entrevoit-on le processus et le goupillon du chef de l'État sur le cercueil de Rostropovitch dans la Cathédrale du Christ Sauveur, dynamitée par Staline en 1931 et rebâtie sous Eltsine à partir de 1991 en constitue le symbole.
L'Estonie appartient à l'Union européenne. Or l'Eurocratie politiquement correcte vient pratiquement de renoncer au souvenir des crimes staliniens, khrouchtchéviens, brejneviens et de tous les fidèles continuateurs de Lénine et de son entreprise.
Quel sort fera donc cette mémoire, figée par les États, à l'Histoire des pays baltes, mais aussi à celle de la Pologne, de la Finlande, ou de la Roumanie, où personne de doute, puisque chaque famille en a porté les stigmates, de l'alliance et de l'équivalence entre le communisme et l'hitlérisme.
La Russie également fait partie de notre espace, musical, artistique, philosophique et spirituel européen. Les horreurs du Goulag concernent chacun d'entre nous. Or, si la diffusion de l'Archipel du Goulag à partir de 1974 a marqué un coup de tonnerre dans le silence entourant à l'ouest la réalité concentrationnaire soviétique, rappelons à nos lecteurs ce qu'Alexandre Soljenitsyne raconte dans son très émouvant livre consacré aux "Invisibles", publié en France en 1992 : l'écriture même, la confection des manuscrits, le passage à l'ouest, l'impression de son livre n'auraient pu matériellement se produire sans le soutien de ses amis estoniens, et celui de ses éditeurs orthodoxes russes parisiens.
L'Eurocratie politiquement correcte doit donc cesser d'effacer, de fermer réglementairement sa mémoire à de telles réalités.
Mais avant de battre notre coulpe sur la poitrine des autres demandons-nous combien de temps encore durera la déjacobinisation de la République française et la liquidation des séquelles de l'idéologie stalinienne en France même ? Avons-nous même entrepris cette tâche ? Quand certains Français acceptaient, dans les années 1970, de saluer Soljenitsyne qu'osait déclarer un Jean Daniel sur les prétendues souffrances provoquées, symétriquement au Goulag affirmait-il, par le capitalisme en occident ?
On ne disait pas encore "libéralisme" : on utilise ce terme désormais pour stigmatiser la liberté.
On ne peut pas laisser passer une telle manipulation frauduleuse.
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