Écoutez l'enregistrement "podcast" de cette chronique :
Curieusement, la dernière décision prise sous la présidence de Jean-Louis Debré de l'Assemblée nationale partait sans doute d'une louable intention. Le lièvre avait d'abord été levé par Le Canard Enchaîné du 7 février 2007, puis l'information, a circulé sur la toile, suscitant l'indignation de tous les pamphlets, incitant tous les courriels à l'accélération de sa diffusion, puis elle s'est trouvée reprise par d'excellents journaux. Elle demeure cependant absente de la liste des textes promulgués affichés sur le site de l'Assemblée elle-même.
Dans toutes les démocraties, l'indemnité parlementaire doit son institution au désir de voir accéder les classes laborieuses aux responsabilités politiques, à égalité avec les bourgeois et les propriétaires fonciers. Personne n'imaginerait en remettre en cause le principe. De même la question se pose aujourd'hui sérieusement en France, de permettre aux rares élus issus du secteur privé de participer à la vie politique dans des conditions équivalentes à celles des fonctionnaires et de quelques professionnels assurés de se recaser en fin de mandat.
Les parlementaires des quatre gros partis, représentés au Palais Bourbon, UMP comme socialistes, centristes comme communistes se seraient donc ralliés comme un seul homme nous assure-t-on, à cette proposition Debré, avilissant hélas un peu plus la représentation nationale dans l'esprit des citoyens.
Car depuis lors, les boîtes aux lettres électroniques voient s'accumuler les protestations dénonçant le "scandale" du nouveau système d'indemnisation des députés battus. Jusqu'ici leur filet de protection durait 6 mois. Ils en bénéficieront désormais pendant 60 mois, 5 ans, autrement dit le temps de retrouver un nouveau mandat électif. Ils recevront ainsi au départ une indemnité nette de 5 178 euros par mois déclinant lentement, de 70 % le 7e mois, jusqu'à 20 % la 5e année. Ce régime d'assurance chômage d'un genre particulier, financé en théorie par un prélèvement de 0,5 % sur les rémunérations des parlementaires en fonction connaîtra probablement un taux de couverture inférieur à celui des intermittents du spectacle. Olivier Pichon dans Monde et Vie du 7 avril évaluait à 3 ou 4 députés battus seulement le financement possible couvert par les cotisations propres à ce régime. Autrement dit, pour une assemblée dont 100 députés seulement mordraient la poussière en juin, ou pour s'en tenir aux chiffres de 2002 communiqués par l'actuel président de l'assemblée M. Ollier, c'est-à-dire pour le cas où 79 députés battus se retrouveraient en difficulté de reclassement professionnel, la couverture "non cotisationnelle" du régime dépasserait 90 % : enfoncés les comptes de la MSA, subventionnée à 85 % ou ceux de l'Organic, renfloués à plus de 80 %, etc. Et c'est à de tels subventionnaires que notre système a imaginé de confier, sur le papier, par la grâce d'un vote annuel, la prétendue fixation d'un taux directeur d'évolution des dépenses sociales ! [Cette surpenante dévolution a pris son envol au début des années 1990, depuis les suggestions du rapport Teulade de 1992, les premières dispositions de la Loi Veil de 1994, depuis les rodmontades du plan Juppé de 1995, et enfin la réforme constitutionnelle instituant les lois de financement de la sécurité sociale en 1996. Malgré l'échec patent, on n'a jamais songé à revenir en arrière...]
Hélas si une telle décision s'expose en elle-même aux critiques protestataires nous devons déplorer que ces dernières alimentent une vague nouvelle d'antiparlementarisme. Dans la lignée funeste de son glorieux géniteur, Jean-Louis Debré aura de la sorte contribué à l'édifice du pouvoir technocratique français, fondé sur la soumission et le désarroi des citoyens – plus encore que dans le texte constitutionnel formel adopté en 1958.
Au-delà en effet de la compétition présidentielle, cette dérive, aggravée de législature en législature, et de présidence de l'assemblée en présidence de l'assemblée, aura donné tout le pouvoir à une caste non élué d'incapables et de courtisans. Elle se trouve assurément associée au discrédit de la classe politique.
Aucun sursaut civique ne saurait donc s'abstraire du devoir de la corriger.
Le dernier quinquennat par la présidence Debré, imposée par Chirac a encore abaissé la représentation parlementaire. Le devoir bien compris du prochain président impliquerait qu'il s'efforce de la relever.
excellent article.
Je viens de vous découvrir, et j'ai énorménent apprécié votre entretien avec Monsieur Philippe Nemo.
Rédigé par : raph | vendredi 13 avr 2007 à 02:59